Au Maroc, le jeu des partis nourrirait-il le pessimisme ?

Par Hassan Alaoui

C’est devenu un lieu commun de se cramponner à cet argument devenu fallacieux que le Maroc réalise des performances inouïes, se hisse au faîte des pays émergents, qu’il réussit à surmonter le virage sensible et difficile de sortir, mieux que les autres, de l’ornière du sous développement et de la crise générale du monde. C’est se mentir et induire les autres en erreur que d’avancer impunément que notre pays échappe à la crise ou en sort mieux que les autres.

Comment ne pas verser dans le ridicule quand des chiffres, parfois contestables certes, viennent nous jeter une réalité si dure à la figure ? A savoir un taux de chômage élevé, un désœuvrement des jeunes tentés au mieux par la migration à l’étranger, au pire par le fanatisme religieux ou la drogue. D’aucuns y voient comme le fléau à double détente, et s’alarment – à juste titre – que le gouvernement, représenté par six formations politiques ait été à ce point inefficace voire anéanti face à cette dégradation progressive. D’autres, ils sont légion, versent dans une hystérie d’explications pour le moins sans prise réelle sur la réalité. Ils sont les « docteurs tant pis », munis de tous les arguments, fatalistes, éclaireurs de conscience bien évidemment, hissés sur leur tour d’Ivoire pour nous édifier sur tout ce qui constitue l’actualité marocaine depuis deux ans.

Le gouvernement travaille, il ne travaille peut-être pas au goût préféré de ses détracteurs, mais il travaille. Sa responsabilité est solidaire comme l’on dit, autrement dit partagée. Il a des objectifs, mais sans doute n’a-t-il pas la capacité ou les moyens des les réaliser, il incarne cependant une majorité composite voire, comme on dit, hétéroclite du fait du système électoral marocain et du mode de scrutin ne favorisant aucun parti pour gouverner seul. Nous sommes en présence, quand bien même certains le critiqueraient, d’un gouvernement d’union nationale qui ne dit pas son nom.

Et c’est tant mieux, contexte politique et diplomatique obligent .

Il reste que lorsque notre pays est confronté à une ou à des crises spasmiques, lorsqu’il est mis à l’épreuve – il n’en a pas été épargné depuis deux ans – cette majorité de façade s’effrite. De composite elle devient décomposée et sa cohésion mise à rude épreuve. Chaque parti, chaque leader, et selon le cas, s’efforce de tirer la couverture à soi dans la meilleure hypothèse ou se protéger et s’engouffrer dans sa coquille dans la pire. En tout état de cause, face à certaines conjonctures exigeant réactivité ou réponse immédiate, il est mis longtemps avant que le gouvernement ne réagisse, ou alors c’est une féria de déclarations précipitées des uns et des autres, contradictoires et officieuses. Face à cette situation caractéristique d’un flottement où l’improvisation le dispute à l’incohérence, le sentiment diffus chez le peuple est une inquiétude, celle-ci s’installant et devenant le leitmotiv que ne dissipent pas les déclarations rassurantes et les vœux pieux.

Nous sommes dans l’expectative. Depuis que le paradigme politique a changé en instaurant, nouvelle Constitution oblige, le système des majorités partisanes au gouvernement, renvoyant aux calendes grecques celui du choix des technocrates pour gouverner le pays, le Maroc a sensiblement reculé en matière de gouvernance et donc de cohérence. Le parti de l’Istiqlal qui a succédé au gouvernement de l’alternance des socialistes dans les années 90 et vu monter en puissance la majorité de Abbès El Fassi en 2007, s’est surtout illustré par un certain immobilisme, outre d’avoir planté le décor pour le PJD après le scrutin de novembre 2011. Le Parti de l’Istiqlal a bien entendu caracolé, mais n’a pas su échapper au cercle vicieux partisan, tant et si bien que ses successeurs islamistes, débarqués en « libérateurs »( ?) ont accentué le caractère partisan de gouvernance et d’organisation de la société.

De 2011 à 2018, la donne partisane n’a guère changé et les admonestations, naguère professées contre les gouvernements technocratiques, se sont embuées avec le marasme qui est allé bon train. Depuis 2007, nous avalons les couleuvres d’une gestion à la petite semaine, et jamais le pays n’a vécu si gravement – je dirais dangereusement – cette infernale succession de crises, politique, économique et sociale. Et maintenant humaine et morale…Les événements d’al-Hoceima, déclenchés à partir d’octobre 2016 ne constituaient à vrai dire que le prolongement de l’affaissement multiforme que cinq ans de  bavardage et de dérision ont infligé à la nation. Nous commençons à ressentir les effets d’une gestion à tout va, d’une incompétence économique avérée, de décisions prises à l’emporte-pièces, le tout mâtiné d’une démagogie accentuée.

La critique ne concerne pas uniquement le PJD, mais également les autres formations qui composent la majorité oui qui sont dans l’opposition. Le « changement » de la formation gouvernementale en avril 2016 qui ne fut qu’un replâtrage avec quasiment la reconduction des mêmes personnages, ne dupa personne. Saad Eddine El Othmani, nommé chef du gouvernement, n’était pas moins un homme d’Etat que son prédécesseur. Comme lui, il est arrivé aux responsabilités sur le tas et a imposé nolens volens son autorité face à la gronde, nourrie par les partisans de son prédécesseur notamment. Si l’équipe gouvernementale a changé, rien d’autre autrement n’a changé, les problèmes et les difficultés auxquels sont confrontés les citoyens restant insurmontables et les mêmes. On dira que les seuls vrais changements ont été opérés par le Roi Mohammed VI qui a pris le devant, en limogeant les ministres responsables des retards dans les projets d’al-Hoceima et celui de l’Economie et des finances tout dernièrement.

Dans la foulée, Sa Majesté Mohammed VI a relancé les réformes urgentes et décisives en matière d’enseignement, de l’éducation , de la formation et du registre social qui devient le socle d’un aggiornamento impératif. Non content de prendre en main lui-même les dossiers en suspens, il a consacré son discours de l’ouverture du Parlement aux mêmes thèmes sur fond d’une doctrine nouvelle envers la jeunesse dont il devient à la fois l’irrésistible défenseur et le promoteur. La tâche nouvelle et exaltante ne fait que commencer, il faut espérer que face à des enjeux inédits chacun en prendra la mesure.

→ Lire aussi : Haro sur les apôtres du déclin

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