Bariza Khiari : « la culture soufie permet le maintien d’une flamme d’intelligence du cœur »

Par Taoufiq Boudchiche

Madame Khiari est une Ex Sénatrice, Présidente de l’Institut des Cultures de l’Islam (Paris), Vice-Présidente du projet Alliance internationale pour la protection du patrimoine (ALIPH) dans les zones de conflit, représentante du Président Emmanuel Macron au sein de ce projet. Le vendredi 7 Octobre dernier elle a organisé, comme  chaque année,  dans le cadre des activités de l’Institut, une cérémonie du Mawlid Annabawi réunissant citoyens du monde, originaires d’Europe,  des Balkans,  du Maghreb, d’Afrique au Sud du Sahara,… Un heureux  moment de communion dans la joie et la spiritualité qui a offert l’occasion de l’interroger sur son engagement dans l’Islam soufi en lien avec sa vision de la religion, de la politique et de la citoyenneté…

Maroc diplomatique : Votre présence à la conférence de presse annonçant la 15ème édition du festival de la culture soufie démontre votre attachement à l’islam soufi comme culture et mode de pensée. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Bariza Khiari : « C’est au-delà de l’attachement !  En réalité, je baigne dans cette eau spirituelle depuis très longtemps ce qui explique pourquoi j’attache du prix à accompagner tous ceux qui, comme Faouzi Skali, Président du festival de la culture soufie de Fès, offre la grande diversité de la culture soufie à un public de plus en plus nombreux.

La programmation du Festival de la Culture soufie qui est enrichie chaque année par des débats d’une grande qualité permet le maintien d’une flamme d’intelligence du cœur. Le choix pour la quinzième édition du thème « Science et conscience » n’est pas neutre en regard d’un monde troublé et en perte de repères. Contrairement à d’autres pays de l’aire islamique, c’est possible au Maroc qui dispose d’un éco système culturel d’une grande ouverture et ce n’est pas étonnant que ce festival se déroule à Fès, ville spirituelle du Royaume.

Votre ouvrage Soufisme et citoyenneté qui avait connu une grande notoriété lors de sa publication a été visionnaire en faisant le lien entre l’islam soufi et intégration de la jeunesse musulmane en mal d’identité en Europe et en France. Vu les tensions qui s’accumulent sur le sujet, en quoi votre réflexion et plaidoyer pourraient être appliqués à la situation actuelle ?

Tout est une question d’éducation et de transmission. Il y a évidemment beaucoup à faire. D’abord, il faut expliquer ce qu’est le soufisme et ce qu’il n’est pas.  Ce qu’il n’est pas : Ce n’est pas un système de pensée et ce n’est pas une réalité séparée de l’Islam.

Ce qu’il est : Il est le cœur du cœur de l’Islam, sa voie spirituelle et ésotérique. C’est une science spirituelle qui se nourrit autant de gnose que d’Amour. Elle peut être abordée autant pas les sachants que par les plus humbles. C’est une initiation, un chemin, un voyage sur la voie du retour à l’origine. Pour illustrer ce propos, quoi de mieux qu’un poème de Jalal Eddine Rumi à propos de la lamentation du ney :

« Depuis qu’on m’a coupé de ma jonchaie, ma plainte fait gémir l’homme et la Femme. Quiconque demeure loin de sa source aspire à l’instant où il lui sera à nouveau uni »

C’est aussi un engagement séculier stimulé par la spiritualité, c’est ce que j’essaye d’expliquer à la jeunesse quand je le peux, ainsi que dans cet opuscule « Soufisme et citoyenneté » dont vous parlez.  Il n’y a pas d’incompatibilité entre foi et citoyenneté. Elles se nourrissent l’une de l’autre. Il faut le faire comprendre pour apaiser les esprits et ne pas hésiter à en faire la pédagogie.

Dès lors pour approcher la définition du soufisme, il ne suffit pas de dire que c’est une mystique initiatique ; ni que c’est un humanisme ; et, au-delà de la praxis, il faut ajouter que c’est aussi un engagement civique. En fidélité à l’esprit de l’héritage mohammadien, tant dans l’aspect spirituel que dans la gouvernance de la cité, la véritable citoyenneté prend ses racines dans les profondeurs de l’être et la véritable spiritualité s’incarne dans les actes citoyens de chaque jour. A titre d’exemple, c’est respecter les lois du pays d’accueil.

A mon niveau que puis-je faire ?  Je préside l’Institut des cultures d’Islam qui est un établissement culturel de la Ville de Paris. J’essaye avec mon équipe de donner à voir des éléments de la diversité des cultures d’islam : cette belle voie de l’islam du milieu : spirituelle, libre et responsable en proposant des expositions d’art contemporain, des conférences, des concerts, des soirées du ramadhan, l’enseignement de la langue arabe, des cours de caligraphie, de musique arabo-andalouse et surtout le concert du mawled.

Arrêtons-nous sur le Mawled fête culturelle par essence qui n’est pas, je le rappelle toujours, une fête canonique au sens religieux du terme mais un moment de joie qui se célèbre dans tous les espaces des cultures d’islam. C’est un moment festif consacré aux enfants ou les familles se retrouvent pour déclamer de la poésie et chanter des mélodies sacrées. Ces chants s’apparentent au gospel dans une autre aire du monde. Cette célébration pose question aux extrémistes, raison de plus pour en faire la promotion.

Toutes les confréries soufies comme la Alawya, Qadiria, Boutchichia, Bektachis, Mevlevi, Mourides, Tijania, Naqshbandia, Mawlawiyya, Shichti, Shâdhiliyya et bien d’autres de par le monde sont à l’unisson de cette commémoration de la naissance du Prophète. Laissons Alphonse de Lamartine en 1853 nous le décrire « Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat sont les trois mesures du génie de l’Homme, qui osera comparer humainement un grand homme de l’histoire moderne à Muhammad……Philosophe, orateur, apôtre, législateur, guerrier, conquérant d’idées, restaurateur de dogmes, fondateur de vingt empires terrestres et d’un empire spirituel, voilà Muhammad. A toutes les échelles ou l’on mesure la grandeur humaine, quel homme fut le plus grand ?». Alors, comment ne pas l’honorer et le célébrer !

L’islam soufi porteur d’un humanisme universaliste est souvent perçu comme un rempart contre l’extrémisme religieux. Peut-il l’être contre l’extrémisme politique et contribuer à apaiser les conflits notamment au Maghreb, région fortement imprégnée de culture soufie ?

Le soufisme d’hier et d’aujourd’hui est porteur de trois espérances majeures :

  • La foi se nourrit tant du dogme que d’une spiritualité vivante,
  • Foi et raison ne s’opposent pas, mais s’éclairent l’une l’autre,
  • Cette spiritualité, pour être vivante, doit être vectrice de sens en fondant l’action bienveillante.

Parce que nos maîtres-éducateurs plantent en nous l’arbre de la connaissance et aussi la graine de la bienveillance envers autrui, oui, l’islam soufi est un rempart contre l’extrémisme car il est fait d’éducation, de beau comportement (adab), il sublime le beau, la créativité, l’esthétisme.

Oui, cet islam peut contribuer à apaiser les conflits car il est Paix. D’ailleurs, les maitres soufis dans leur grande sagesse ont toujours été dans le dépassement afin d’accueillir l’Autre. Ils ne se préoccupent pas des conflits qui sont souvent l’écume des choses. Ils ont un objectif, au-delà de nous dévoiler à nous même l’amour spirituel, c’est l’élévation des consciences pour agir sur le réel et ainsi l’humaniser. Les disciples des confréries continuent de se rencontrer et à échanger dans tout le Maghreb. Le Festival de la Culture soufie est un exemple de lieu de convivialité, de fraternité ou les confréries du monde entier viennent délivrer un message pluriel fait d’élévation de l’âme, de paix, d’harmonie et de beauté car comme dit le sage « Tout ce qui monte, converge inévitablement »

Au nom d’un long compagnonnage, je veux saluer Faouzi Skali pour son engagement de toujours afin de nous faire redécouvrir les foyers les plus vibrants de la civilisation islamique, de réunir toutes les étincelles de la pensée, de permettre un dialogue fécond entre les cultures et de continuer à nous faire vivre des moments d’intense émotion qui élèvent et transcendent notre humanité.

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