Berlin et la Libye : le cautère sur une jambe de bois !

Par Hassan Alaoui

Dans quelle mesure devrait-on parler de succès mi-figue, mi-raisin voire a contrario d’échec de la réunion tenue le dimanche 19 janvier à Berlin sur la Libye ? Elle a regroupé quelque 11 Etats et 4 organisations internationales, c’est-à-dire l’ONU, l’Union africaine, l’Union européenne et la Ligue arabe.

L’un des traits saillants de cette conférence aura été la dimension théâtrale, un show en quelque sorte comme en témoigne la photo officielle où, sauf erreur, le président Emmanuel Macron , la chancelière Angela Merkel, Antonio Guterres, Recep Tayipp Erdogan Vladimir Poutine, le secrétaire d’Etat américain , Mark Pompeo tiennent le haut du pavé. Autrement dit, tout sauf les principaux intéressés, à savoir Khalifa Haftar et Fayez Serraj, les deux rivaux libyens en guerre.

Dès lors, la question se pose de savoir à quoi pourrait servir une conférence, si spectaculaire, qui ne trace pas de feuille de route impérative aux belligérants ? Qui se résout à demander seulement l’instauration d’un cessez-le-feu entre les belligérants et un embargo sur les armes ? Celui-ci ne concerne-t-il pas d’abord et en fin de compte les Etats d’Europe, de Russie et de l’Amérique ? Dans cette affaire libyenne, c’est l’hôpital qui se moque de la charité, parce que les tout premiers concernés, sont les tireurs de ficelles et les pourvoyeurs d’armes. Autrement dit, les grandes puissances et les relais du Moyen Orient qui, chacun à sa manière, entend marquer sa présence sur une scène qui s’apparente à une peau de léopard, zébrée, alléchante et convoitée.

Chacun en effet brandit un prétexte, fallacieux et scandaleux, pour intervenir dans cette Libye chaotique, livrée à elle-même que le colonel Mouâamar al-Gaddafi a mise sous sa coupe depuis un certain 1er septembre 1969 , sonnant le glas d’un ordre et coupant l’herbe sous les pieds des pays occidentaux et de leurs compagnies pétrolières. Mais assurant quoiqu’on en dise son unité, sa souveraineté contre vents et marées. A présent, ce n’est pas seulement le pétrole – 2 millions barils/jour et quelque 44 millions par an – qui constitue l’inquiétude de la communauté pétrolière du monde, mais la découverte du gisement gazier en Méditerranée, estimée à quelque 50 milliards de mètres cubes qui déclenche et affole de voraces appétits,  de la Turquie à la Russie…

Des Haftar et des Serraj n’existaient nullement au temps du règne sans partage de Mouâamar al-Gaddafi, figurines ayant déserté le champ d’action libyen bien avant 2011 , bien avant la chute du « guide » ou « al-‘aquid » et sa mort violente dans une canalisation, tiré comme un rat par les rebelles du « colonel Hachem » le jeudi 2 octobre 2011. Jusque-là, on ne pouvait imaginer une telle plongée dans les ténèbres de ce pays. Il avait aussitôt, comme Boumediene, nationalisé les hydrocarbures à la barbe des pays occidentaux  et , chemin faisant, ivre de son pouvoir, instauré un régime totalitaire et dictatorial. Pourvoyeur des mouvements révolutionnaires, soutien précieux du polisario contre le Maroc, à tout le moins jusqu’en 1984 – date à laquelle il fit le voyage à Rabat pour se réconcilier avec feu Hassan II et fonder l’Union arabe et africaine – , al-Gaddafi cessait en définitive d’être « l’ennemi déclaré du Maroc » et le soutien financier militaire du polisario, suscitant en quelque sorte l’ire du gouvernement algérien. La Libye accueillait un grand nombre de travailleurs marocains et son ambassadeur au Maroc était une sorte de proconsul…, un quasi intime des dirigeants marocains.

D’où la prépondérance de l’action diplomatique du Royaume du Maroc en Libye, d’où également un certain dépit après le « printemps libyen » qui , à la faveur des événements de la Tunisie et de la Syrie en 2011, a emporté le pays de Benghazi à Tripoli et à Misrata… Nicolas Sarkozy et David Cameron de Grande Bretagne n’y sont pas étrangers, bien entendu. Ils se sont rendu en septembre 2011 à Banghazi pour proclamer la main dans la main la victoire des forces de l’OTAN sur le régime libyen et son chef en fuite . Le premier a crié : «  peuple libyen , vous êtes désormais libre et uni » et le second « Vous avez vaincu un dictateur et vous êtres désormais libre »… Triste présage quand, a posteriori, on se rend compte du désastre apocalyptique dans lequel est plongé le pays.

Le rapport du Royaume du Maroc à la Libye relève d’une certaine constance et, dira-t-on d’une logique : la fin du siècle dernier et les vingt-ans qui viennent de s’écouler, tiennent lieu d’une justification irréfragable. Notre pays a été sans doute le plus proche de la Libye que ne l’a été aucun autre, fût-il la Tunisie ou l’Algérie dont l’existence d’une longue frontière géographique commune pourrait le laisser accroire. Mme Angela Merkel , croyant effacer d’un trait le rôle du Maroc dans le laborieux processus de règlement – mettant dans la trappe l’accord signé sous l’égide du Maroc et de l’ONU à Skhirat en 2015 – est aujourd’hui en porte-à-faux : elle pourra crier sa shadenfreude pour justifier ce manquement aux règles de la diplomatie, mais elle doit se résoudre qu’en tout état de cause, ce sont les gouvernements du Maghreb , autrement dit Maroc, Algérie, Tunisie, Mauritanie même et Libye qui sont habilités en dernière analyse, à contribuer à tout règlement. Ils sont depuis février 1989 constitués en un ensemble, l’Union du Maghreb Arabe (UMA), fondée à Marrakech par un acte solennel conformément à un Traité international du même nom, dont la Charte entre autres, stipule des règlements interétatiques maghrébins sans recours à des puissances étrangères. En d’autres termes, la solution est d’abord intermaghrébine…

Que la chancelière Angela Merkel s’efforce de « récupérer » le dossier libyen et d’imposer le « modus operandi » , ne nous rassure point sur l’issue prévisible, qui relève d’une complexité digne d’un cloaque ….Or, de Berlin l’on ne peut tirer qu’un sentiment de frustration , à la limite se contentera-t-on de ce tour de table néo-impérialiste qui nous rappelle le cautère sur une jambe de bois, et rien d’autre…

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