Bi-nationalité et patriotisme font-ils bon ménage ?

« S’il y a une guerre entre l’un de vos deux pays lequel soutenez-vous ? ». Une question simpliste, mais qui résume le débat actuel sur les Marocains détenteurs d’une double nationalité. Peut-on être patriote, loyal envers un pays tout en étant bi-national ? Quid de la double allégeance ? Si pour certains, il s’agit d’un faux débat, biaisé, qui divise davantage la population, pour d’autres, il s’agit d’une réelle question qui mérite d’être posée.

 « La double nationalité est problématique » et il serait « impossible de continuer à accepter qu’un très haut responsable jouisse de la double nationalité » selon un édito paru sur L’Observateur du Maroc et d’Afrique, visant un membre de la Commission du Nouveau Modèle de Développement qui aurait signé la pétition des 400 artistes et travailleurs culturels. Si l’auteur s’est attiré les foudres de certains Marocains bi-nationaux, le débat ne date pourtant pas d’hier nous explique Brahim Labari, sociologue rattaché à l’Université Ibn Zohr. « C’est un problème qui se posait déjà avec les Franco-Israéliens en Europe et un argument régulièrement utilisé par le Front National selon qui les bi-nationaux sont des Français de papier, et donc des traitres potentiels au service d’un autre pays. ». Un débat qui ressurgit régulièrement dans le débat politique, notamment à l’approche de nominations stratégiques ou d’élections. Heurtés par ces réflexions, les bi-nationaux, qui perçoivent leur double nationalité comme gage d’une double culture et expérience, se demandent comment peuvent-ils être perçus comme des « traitres » alors qu’ils participent activement à la modernisation et au développement d’un de leurs pays. La question ne serait-elle pas plutôt celle des raisons qui poussent les Marocains à demander une deuxième nationalité ?

Pourquoi le Marocain demande-t-il une seconde nationalité ?
En 2018, les États membres de l’UE ont octroyé la nationalité à 670.000 personnes, parmi eux les Marocains formaient le plus grand groupe de nouveaux citoyens (67.200 dont 84% ont obtenu la nationalité espagnole, italienne ou française) devant l’Albanie et la Turquie selon les données d’Eurostat. Pour Salah El Ouadie, président du mouvement Damir, un Marocain demande une seconde nationalité principalement pour des raisons de commodités administratives et pratiques : « Je ne crois pas que des personnes prennent une autre nationalité contre la leur », déclare-t-il. Selon un sondage réalisé par Maroc Diplomatique, les deux tiers des personnes interrogées ont déclaré vouloir une seconde nationalité si l’opportunité se présentait. Parmi les personnes ayant voté oui, les raisons les plus récurrentes sont celles de la protection sociale, du salaire, des conditions de vie et des droits plus avantageux. Pour le professeur à l’Université Mohammed V de Rabat, Rachid Filali Meknassi, « 80% des jeunes Marocains rêvent de partir à l’étranger et rêvent donc d’avoir une autre nationalité, celle-ci leur procurerait une certaine sécurité notamment économique, à eux et à leur progéniture ».

Si ces Marocains sont principalement motivés par des raisons économiques et administratives, Mustapha Sehimi, politologue, rappelle qu’il faut distinguer les détenteurs d’une seconde nationalité suite à leur naissance dans le pays d’accueil ; par filiation ; par séjour durable ou à l’issue des études. Ces derniers sont dictés par des désirs « d’échappatoire, un bouclier de protection, voire un privilège avec un différentiel de droits par rapport aux nationaux, un souci de stabilité et de sécurité juridique, une éligibilité à des droits à part entière, une volonté d’intégration ». Il différencie ces derniers de ceux qui cherchent « un plan B », à savoir des résidents permanents au Maroc, « qui ont œuvré par mille et une combinaisons pour sauter le pas (…) il s’agit là d’une sorte de repli, de bouée de sauvetage au cas où…  Pas vraiment un gage de marocanité » selon lui.

Double nationalité et loyauté : incompatibles ?
Selon Rachid Filali Meknassi, il s’agit plutôt d’une question d’éthique, de morale, plutôt que d’une question de nationalité. « On peut être uniquement marocain et être un profond traitre, et à l’inverse détenir plusieurs nationalités et être un patriote parfait ». Il s’agit selon lui d’une polémique qui vise des personnes en particulier et d’un débat biaisé : « Si l’on cherche dans les rangs de l’élite marocaine politique, économique et intellectuelle, on éliminerait peut-être les meilleurs ».

Pour lui, nationalité et patriotisme sont deux notions à distinguer. Le problème se pose plutôt d’un point de vue juridique explique-t-il en citant l’exemple d’un ambassadeur qui serait franco-marocain et désigné pour représenter le Maroc à Paris. « En France il est juridiquement français, or sa fonction est représentant de l’État marocain, ça pose un problème juridique et non pas éthique, ça ne veut pas dire qu’il va trahir son pays en faveur de l’autre, au contraire, cela peut être un atout. Les Israéliens par exemple savent jouer de ça aux États-Unis et ailleurs ». Quant à la question de la double allégeance, il est vrai que les intérêts des deux pays peuvent être divergents, mais tout est question d’obligation morale, d’éthique et de rectitude de comportement. « Un PDG d’entreprise doit distinguer les intérêts de l’entreprise de ses intérêts propres d’actionnaire. » Par conséquent, « je peux être un nationaliste et un parfait traitre qui travaille pour l’étranger ou pour des mafias », ajoute-t-il. Par ailleurs, « les bi-nationaux doivent être perçus comme une richesse, la plupart étudient à l’étranger, acquièrent la nationalité, mais reviennent avec leur bagage pour servir le pays. Et cette question se posera de manière croissante à l’avenir ».

Pour Salah El Ouadie, il s’agit d’un réel débat, « On ne peut prendre de décisions qui influent sur la vie des citoyens et du pays et avoir une double obédience, il faut faire un choix ». « S’ils doivent mener une fonction décisionnelle, ils ont une sorte d’obligation morale de décliner la seconde nationalité, en s’engagent de servir le pays pour les questions économiques, politiques et stratégiques ». Il ne s’agit toutefois pas d’être catégorique en imposant le choix d’une des deux nationalités, d’autant plus que cela ne se fait pas automatiquement. Pour le Marocain il est quasiment impossible de perdre sa nationalité marocaine, pour les autres nationalités il faut la plupart du temps passer par un décret. L’idée est plutôt d’adhérer au concept de la « nationalité et demie », selon laquelle le citoyen renonce à la seconde pour les raisons politiques, mais serait libre de la conserver pour des questions pratiques et administratives. Pour lui, la personne concernée doit exprimer publiquement son engagement envers le pays qu’il va servir ou bien remettre volontairement son passeport au pays qu’il sert. Un acte dénué de sens selon Rachid Filali Meknassi, car il vient à remettre en doute la rectitude, l’éthique et la responsabilité de la personne concernée.

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