Biden : de l’opposition à l’exercice du pouvoir

*Par Ahmed Faouzi

Dans un article paru dans le Maroc diplomatique du mois de janvier 2021, sous le titre « Ainsi parla Biden », j’ai relaté les principaux thèmes relatifs à la situation internationale évoqués par celui-ci durant sa campagne électorale, ainsi que les priorités qu’il s’est assignées pour que les États-Unis reprennent, au niveau mondial, leur rôle de leader. Trois mois après sa prise de fonction, Joe Biden, qualifié à tort par Donald Trump de « sleepy Joe » est, au contraire, un homme pressé qui, face à une crise multifacette, a su en quelques semaines, imprégner fortement la politique extérieure de son pays.

En formant un gouvernement basé sur une grande diversité à l’image du pays comme il l’a souligné, Biden a montré sa volonté de rompre définitivement avec l’ère Trump. Venant s’exprimer devant le Congrès américain le 28 avril 202, il a affirmé d’un ton décidé que l’Amérique est de nouveau présente sur la scène internationale et compte assumer pleinement son rôle. Mais avant de se redéployer à l’extérieur, Biden a pris plusieurs initiatives sur le plan domestique pour relancer l’économie du pays.

Sous la pression de la crise sanitaire due à la pandémie Covid, Biden s’est mué en réformateur ambitieux pour apporter rapidement des solutions à une société américaine en crise. Il a annoncé l’augmentation des taxes et impôts sur les grandes fortunes, et l’injection de 2300 milliards de dollars pour relancer l’économie, reconstruire les infrastructures en décrépitude, relocaliser des chaines de valeurs stratégiques, et soutenir des projets écologiques et numériques. Ce plan s’ajoute au budget déjà voté au paravent par le congrès de 1900 milliards de dollars, dont 400 milliards attribués directement aux ménages pour relancer la consommation.

Ces réformes initiées au pas de course ont permis à Biden de s’atteler, en même temps, à réguler l’action extérieure du pays face à des adversaires coriaces qui menacent, selon lui, le leadership américain dans le monde, notamment la Russie et la Chine. Pour ce faire il fallait d’abord consolider les relations avec les alliés et membres de l’OTAN pour adopter des actions communes face à la Russie. En reprenant la place qui lui revient au sein de cette instance, Biden adresse des messages clairs aux alliés pour leur signifier que l’Amérique est de retour, et aux russes pour leur dire qu’aucune agression ne saurait plus tolérée dans l’avenir.

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Cet avertissement a déjà été mis à exécution en imposant des sanctions économiques contre Moscou en réponse aux interférences et autres cyberattaques russes lors des élections américaines. De même Washington a expulsé des diplomates russes suite à l’empoisonnement de l’opposant Alexy Navalny. En traitant le président Poutine de « tueur », Biden entend mettre tout en œuvre pour endiguer les incursions russes.

Cette intransigeance a été démontrée par la fourniture d’armements sophistiqués américains à l’Ukraine pour faire face aux menaces russes. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky tient à l’intégration de son pays à l’OTAN, mais ni les américains ni une partie des européens, ne souhaitent, pour le moment, cette adhésion qui risque d’envenimer davantage les relations avec les russes. Ceux-ci sont déjà présents dans le Donbass, province ukrainienne, où des séparatistes soutenus par Moscou se heurtent à l’armée ukrainienne, au moment où des troupes russes s’amassent sur la frontière sous couvert de manœuvres militaires.

Si la Russie est considérée comme un danger politique pour les américains et leurs alliés, la Chine est pour la nouvelle administration américaine l’adversaire économique qui menace la suprématie de la puissance américaine. L’ancienne Union-soviétique, de création récente, n’a pu jadis égaler la puissance américaine et s’est effondrée en 1989. La Chine, par contre, est une civilisation millénaire, sophistiquée et innovante, dont la dynamique économique menace directement la superpuissance américaine.

Il est prématuré de prévoir qui sortira vainqueur de la confrontation sino-américaine, mais on peut d’ores et déjà remarquer qu’on est en face de deux pays aux atouts différents. L’un à une population estimée à 1,4 milliard d’habitants face à 330 millions, une civilisation millénaire de 4000 ans face à 250 ans d’existence, un système politique centralisé permettant une prise de décision collégiale et rapide, face à un autre démocratique en perpétuelle campagne électorale. Quand les États-Unis sont impliqués dans plusieurs conflits à travers le monde pour maintenir leur rang, la Chine quant à elle, est concentrée sur le commerce et l’innovation pour renforcer son influence.

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C’est certainement en raison de ces défis à relever que le président Biden a ordonné le rapatriement prématuré des 2500 soldats encore présents en Afghanistan. Il déclarait lui-même « nous serons plus efficaces face à nos compétiteurs si nous menons les batailles des vingt ans à venir, pas celles des 20 ans passés. Il est temps d’achever cette guerre sans fin ». Ce retrait prématuré était prévu en 2022 pour organiser un départ sécurisé en accompagnant les négociations entre le gouvernement afghan et les Talibans. La précipitation pour sortir de ce guêpier donne l’impression d’un désengagement en ordre dispersé, et risque de laisser l’Afghanistan de nouveau en proie au chaos.

L’autre dossier qui accapare l’attention de Biden est le rôle que joue la Turquie sous Erdogan au sein de l’OTAN, et dans la sous-région. Pour ramener la Turquie à de meilleurs sentiments, il a reconnu, le 24 avril dernier, jour de commémoration, la réalité du génocide arménien sous l’empire ottoman au grand dam du gouvernement turc. Un siècle après les faits, cette reconnaissance solennelle revêt une dimension majeure, car elle rend la Turquie responsable de ces crimes contre les populations civiles arméniennes.

Par cette reconnaissance les États-Unis expriment aussi leurs irritations face au rapprochement de la Turquie, membre de l’Otan, avec la Russie, son soutien manifeste à l’Azerbaïdjan contre l’Arménie, et son rôle déstabilisateur dans la région. En affirmant dans son discours que c’est l’empire Ottoman, et non la Turquie moderne, qui est responsable du génocide, Biden montre à Erdogan la voie à suivre avec l’espoir d’atténuer ses ardeurs. Il entend aussi par-là ménager un partenaire stratégique dans la région, tout en lui rappelant ses devoirs à l’égard de ses alliés.

C’est dans ce sens que Biden a repris l’aide octroyée aux Palestiniens et pris ses distances avec l’Arabie saoudite concernant l’assassinat du journaliste Khachoggi et la guerre au Yémen. Son soutien aux Ouïghours chinois et aux manifestants de Hong-Kong entre dans la même logique. Ce changement de paradigme par rapport à l’ère Trump, s’inscrit dans la ferme volonté de Biden de réaffirmer le retour de son pays sur la scène mondiale face à la montée en puissance de la Chine et le redéploiement militaire russe. Cependant, Biden n’est pas revenu sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, ni sur l’annexion du Golan, ou sur la souveraineté du Maroc sur ses provinces du sud.

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Dans tous les conflits qui agitent notre monde, Biden met en exergue le respect des valeurs démocratiques et la situation des droits de l’Homme et des minorités. Il a, à cette fin, donné l’exemple chez lui en mettant plus de femmes et de personnes issues des minorités dans des postes de choix, y inclus le poste de la vice-présidence occupée par Kamala Harris. Au niveau de l’immigration, il a amélioré les conditions d’accueil et revu à la hausse l’admission des réfugiés. Il exige de ses adversaires, comme de ses alliés, de tenir compte des conditions humaines de leurs populations pour préserver la paix et la sécurité internationales.

La centralité des droits de l’Homme dans la nouvelle diplomatie de Biden démontre par ailleurs, l’importance qui sera désormais accordée à la relance du multilatéralisme, et par ricochet au Soft power, pour garantir la paix et la sécurité. Les États-Unis ont, dans ce sens, repris les pourparlers sur le climat et le nucléaire iranien, et ont réintégré les organisations internationales boudées par Trump.

Toutes les actions de l’administration Biden visent un seul objectif : contrer aussi bien la menace stratégique russe que la montée de la puissance économique chinoise. Si les russes cherchent à étendre leur influence dans le monde, les chinois, au contraire, n’ont jamais affiché cette prétention. Ils prétendent, pour le moment, à régénérer leur civilisation et développer leur économie en faisant du commerce.

Durant ses trois premiers mois comme président des États-Unis, on peut affirmer que le mandat de Biden ne sera pas vu comme un troisième mandat Obama. Des changements substantiels sont apparus pour différencier sa présidence de ses prédécesseurs.  La diplomatie américaine est devenue plus exigeante sur l’état de droit, la bonne gouvernance et le respect des droits de l’Homme. Les pays qui auront affaire à la nouvelle administration américaine ont certainement saisi la portée de ces nouvelles donnes et savent à quoi s’y attendre.

*Ancien Ambassadeur

Chercheur en relations internationales

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