Le Bloc des contradictions : Des maux aux mots

Qui a dit que soigner n’était pas pratiquer l’humanité et que les médecins n’étaient pas des hu­manistes très sensibles aux douleurs de leurs patients ? Depuis François Rabelais, nombreux sont les médecins-écrivains qui puisent dans leur expérience quotidienne, d’une richesse illimitée, avec ses odeurs d’éther, ses souffrances et ses peurs. L’al­liance de la plume et du stéthoscope ne date pas d’hier et constitue même une tradition.

En tout cas, Mohamed Kohen, lui, en est une illustration de plus et fait preuve d’une grande humanité qui transparaît tout au long de son premier roman Le Bloc des contradictions qui ne passe pas inaperçu. « Il peut paraître surprenant qu’un chirurgien, de surcroîts du secteur libéral, écrive un roman, et ceci pour deux raisons : d’abord, très peu de scientifiques, surtout au Maroc, s’intéressent à la littéra­ture à l’image de la grande majorité de la population qui ignore l’amour des livres, et deuxièmement, la chirurgie, qui est ma passion depuis toujours, est une activité chronophage surtout si on souhaite rester à la pointe de la technologie et du savoir. Cependant, ce métier qui se pratique, en soi comme un art, apprend le sens de l’ob­servation et du détail. » Nous dit l’auteur du roman dont le succès, rarissime pour un premier livre, donne déjà un relief au parcours de l’écrivain surgi des méandres de la médecine.

mohamed kohenDe l’art de soigner à l’art d’écrire

Homme de science, il est l’auteur d’une centaine d’études et travaux. Mais son cursus universitaire n’a, aucunement, al­téré sa vocation d’écrivain qui vit pour l’écriture et travaille pour la science. Avec lui, on a la preuve que les deux exercices ne sont jamais en contradiction, au contraire, intimement liés, l’un nourrit l’autre. D’un humanisme sans faille, Dr. Mohamed Kohen a l’art d’écouter les âmes en auscultant les corps, capter le beau derrière l’anodin et raconter des tra­jectoires humaines dans leur complexité et leurs contradictions.

Avec sensibilité et talent, il rend jus­tice à la beauté d’un métier noble par une plume incisive et espiègle, ornée de traits d’esprits, de véritables trouvailles qui pi­mentent la lecture. N’ayant pas peur de choquer, il fait réfléchir le lecteur sur sa condition mais surtout sur la condition des autres et donne l’impression de lire dans l’esprit de ses personnages pour en tirer des réflexions du quotidien et qui nous concernent tous. « Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir les contradictions et les apories qui sclérosent notre société et parfois oser les dénoncer surtout si on caresse l’es­poir de l’émancipation et de la modernité pour ses concitoyens. Dénoncer les affres de notre société est, avant tout, le devoir de l’intellectuel. Ne dit-on pas en subs­tance, que celui qui voit une déviance se doit de la corriger, sinon avec les mots, ou au moins en pensée ? ». Le médecin-écri­vain fait donc de l’écriture un scalpel pour sonder les âmes et les consciences avec cette manie d’explorer les zones de dou­leur et de souffrance. Son écriture des sen­timents coule de source à tel point que les protagonistes disparaissent derrière leurs propres sentiments. Il nous plonge dans un voyage où s’inscrivent notre quotidien, nos passions, nos doutes, nos angoisses et nous peint des existences abrégées mais ô combien mouvementées.

Le roman est un nid de contradictions sociales, religieuses, culturelles régies par un lourd hé­ritage social, culturel et émotionnel qui fait bloc devant l’amour, les li­bertés individuelles, les aspirations personnelles, la vie comme on la rêve tout simplement.

Son livre poignant est une histoire dé­chirante, ancrée dans le monde des sens et des fusions qui nous prend à bras-le-corps pour nous catapulter dans l’étreinte avec une douce violence.

Le roman est un nid de contradictions sociales, religieuses, culturelles régies par un lourd héritage social, culturel et émotionnel qui fait bloc devant l’amour, les libertés individuelles, les aspirations personnelles, la vie comme on la rêve tout simplement. De là, la souffrance spectrale de l’Homme est énorme puisque son lot est de résister à toutes ces contradictions qui font la société d’aujourd’hui. Une société bipolaire, injuste, cruelle et arrogante où le conser­vatisme et l’occidentalisation s’ar­rachent les rôles.

Premier roman, grand succès

Imprégné de sa culture fran­co-marocaine, de sa formation médicale et de sa pratique profes­sionnelle, Mohamed Kohen se lance dans l’introspection écrite et offre aux lecteurs un récit dense et bouleversant, fruit d’une philo­sophie de la vie et de questionne­ments existentiels auxquels il est confronté à savoir la maladie, la souffrance, la solitude, la mort … Loin de mémoires de méde­cin auxquels on pouvait s’attendre de la part d’un clinicien, le voilà donc qui ressurgit là où on ne l’at­tendait point pour investir le champ du récit avec son Bloc des contra­dictions qui marque, de toute évi­dence, un tournant majeur dans la vie du médecin qui laisse voir cette autre facette de lui, celle des pas­sions et des émotions peintes dans des mots chargés de sens.

Le livre de Kohen est une belle histoire d’amour qui fait rêver sans être mièvre. L’émotion est là, avec suffisamment de retenue. En fili­grane, s’opère un voyage à la fois tendre et frustrant de l’amour passionné entre un chirurgien humaniste, hédoniste et une jeune femme instruite issue d’une famille traditionnelle aisée. Romance peinte dans les volutes d’un suspense vertigineux tan­tôt d’une infinie tendresse, tantôt d’une violence saisissante. Le lecteur, happé et impatient se laisse mener par le bout du nez pris dans un ouragan de sentiments de douceur, de complicité, de colère et des fois de compassion pour le person­nage dont la trajectoire constitue la trame romanesque.

Et pour cause, l’auteur nous plonge dans le fin fond de la joie de vivre qui côtoie, paradoxalement, la souffrance.

Une intrigue bien menée, avec un dé­nouement inattendu qui nous met fasse à la puissance des traditions contradictoires et au poids des travers d’une société hypo­crite où le cri d’amour s’étouffe dans les ténèbres du néant faute de conformisme.

L’histoire est un peu triste et sous un masque de gaieté, de légèreté, d’espiègle­rie même se révèle une analyse critique de notre société, nos réalités, nos misères et nos contradictions que l’auteur dépouille avec art et talent.

Une brièveté dense

Le titre nous met, d’emblée, dans l’univers d’une histoire saisissante. Il est lui-même porteur de sens et se prête à di­verses significations. « Ce roman évoque des distorsions que je tiens responsables de l’enfermement sociétal et du retard qu’accuse notre Maroc allant à la moder­nité à reculons. J’ai choisi pour ce faire une histoire d’amour, parce que l’amour parle à tout le monde. Et c’est autour de cette belle histoire entre deux êtres que tout sépare et que l’affection réunit, que s’articule un certain nombre de contra­dictions. Les unes et les autres constituent un bloc, rempart à une évolution rêvée. D’où le titre du livre. Ce titre fait aussi allusion à Ali, chirurgien et premier per­sonnage du roman. Il fait aussi allusion à deux chapitres où il est question de ma­ladie, de souffrance, de mort et de bloc opératoire. »

Dans ce texte criant d’émotions et de vérités, la précision et la justesse de l’écriture sont autant de qualités qui font que déjà à son premier roman, Mohamed Kohen prend la route du succès. Plusieurs thèmes (amour, civisme, éducation, reli­gion, mariage, avortement …) circulent dans ce récit même s’il présente la particu­larité d’être court et, en apparence, facile au point de le dévorer d’un seul trait. Mais dans sa brièveté, il présente une densité de style qui est le coup de force de l’auteur qui en fait son essentiel.

De ses phrases courtes, il a fait un style avec une plume mordante qui puise son inspiration dans le vécu quotidien. On se sent à la fois léger et amer tellement l’au­teur sait distiller les frissons et les émo­tions et garder le suspense.

Mohamed Kohen a l’art de rendre ses personnages vivants et attachants, et ob­tenir l’épaisseur psychologique du roman. Diverses pistes ne donnent pas toujours lieu à des réflexions émises dans le texte mais se constituent au fur et à mesure des scènes qui les illustrent comme autant de pièces apportées à la démonstration. Ce n’est pas donc gratuit si le succès est im­médiat et unanime

« La naissance d’un écrivain prend du temps, le temps de la gestation de soi et d’un livre ». Un écrivain est né !

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