Le capital immatériel, levier de développement ou fantasme de l’esprit ?

Selon les termes du dernier rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), portant sur l’origine de la richesse globale de notre pays entre 1999 et 2013, sur 5 dirhams de richesse additionnelle générée au Maroc, 3 dirhams étaient le fait du capital immatériel, 1,50 dirham celui du capital produit et 50 centimes celui du capital naturel.

Quelles lectures en faire ?

Tout d’abord, que le capital immatériel n’est pas qu’une vue de l’esprit, une sorte de fantasme intellectuel, mais une grandeur réellement tangible et impactante, qui draine déjà l’essentiel de notre croissance. En regardant plus en détails les composantes majeures du capital immatériel, notamment le capital humain, le capital social, le capital institutionnel, le capital historique et le capital culturel, nous pouvons rationnellement conclure à deux idées-clés, potentiellement surprenantes de prime abord.

D’une part, le capital humain marocain est très important, quoi que pourraient en dire les multiples études et rapports disséquant, avec moults chiffres et analyses, la faillite annoncée du système scolaire dans notre pays. Un chiffre pour illustrer objectivement le propos ? Le secteur des services, drivé par définition par des personnes pour des personnes, concentre 40% de la population active mais génère près de 60% du PIB, révélant ainsi une productivité plus qu’intéressante.

D’autre part, le secteur touristique, qui pèse plus de 7% du PIB marocain, est, bien évidemment, induit par notre capital historique, culturel et social, une proportion très significative de touristes venant chercher du soleil, de l’hospitalité et des paysages exceptionnels dans notre pays. Dans une telle configuration, qu’aurait pu être la configuration dans notre pays avec un système éducatif en bonne santé, des monuments historiques correctement entretenus et une communication touristique spécifiquement orientée vers la dynamisation de niches peu explorées, encore à ce jour ?

Tout simplement, le nombre de touristes uniques, mais aussi et surtout, la fidélisation et la pérennisation des marchés expéditeurs, permettraient d’accroître, substantiellement, la contribution de ce secteur à la richesse produite. De même, nombre d’Investissements directs étrangers supplémentaires pourraient être captés avec une main d’œuvre plus qualifiée et plus compétente, ce qui aurait pour effet corollaire immédiat une augmentation sensible du taux d’intégration industrielle…

Capital immatériel et croissance inclusive

Une fois rappelée, si besoin était, l’insigne importance du capital immatériel pour notre pays, il convient, également, de s’appesantir, quelque peu, sur la somme toute modeste contribution du capital produit à la richesse nationale. Certes, notre pays s’est inséré dans une politique volontariste de grands travaux (autoroutes, ports, terminaux d’aéroports, barrages, électrification totale du pays…), mais ces mêmes investissements en infrastructures, ayant aussi bien une optique capitalistique qu’une visée d’inclusion de pans croissants de la population marocaine, ne concourent pas encore totalement à la génération de richesse immédiate.

Disons qu’ils participent davantage d’une certaine croissance inclusive, notion qui rejaillirait de fait, par effet domino, sur le capital humain et social, et donc immatériel. En effet, qu’un douar soit électrifié ou une route tertiaire consolidée permettraient d’intégrer davantage de régions historiquement enclavées. Ce qui pourrait contribuer à «fournir» davantage de médecins, d’ingénieurs ou d’enseignants au pays, parmi une population qui aurait été, il y a peu encore, vouée à un échec plus ou moins grand et plus ou moins assumé. Ceci évoqué, il ne s’agirait, nullement, de brandir le prétexte de la croissance inclusive pour justifier la faiblesse du retour sur certains investissements publics.

>>Lire aussi: L’économie sociale et solidaire, vœu pieux ou levier de développement ?

A ce titre, le parallèle ou, du moins, la complémentarité avec les conclusions de certains rapports de la Cour des comptes, permettent de mettre en exergue certains dysfonctionnements de la politique étatique d’investissement qu’il convient de préciser et d’affiner pour davantage de productivité finale. Enfin, le Maroc -est-il besoin de le rappeler ?- demeure peu fourni en matières premières à forte valeur ajoutée (hydrocarbures, or, diamants…), ce qui explique une contribution marginale à la richesse nationale.

De surcroît, la cyclicité et la volatilité de certains cours de matières premières peuvent en enrayer la lecture et l’appréciation. Toujours est-il que la stratégie prônée par l’OCP par exemple, en termes de promotion de produits à valeur ajoutée importante, comparativement au phosphate brut, semble adaptée à l’orientation globale du pays.

Qu’en retenir en substance ?

Que le Maroc est un pays faiblement doté en ressources naturelles, qu’il s’est inscrit dans une politique d’investissements publics visant, notamment, le désenclavement et l’inclusion de pans substantiels de la population, mais que cette dépense publique demeure, parfois, faiblement ciblée et insuffisamment productive. La principale planche de salut demeure donc le capital immatériel mais, dans une telle logique, nos politiques en matières d’éducation et de santé, pour ne mettre en relief que ces deux pans spécifiques, s’apparenteraient presque à un suicide d’Etat.

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