Centrafrique : le fiasco de la Minusma

Par Benjamin Rathery

Depuis le début de l’année, plusieurs attaques ont eu lieu le long de cette route qui relie le Soudan du Sud en longeant la frontière de la RDC, faisant au total plusieurs dizaines de morts parmi les soldats de l’ONU. Au nombre de près de 10.000, les membres de cet organe militaire qui a pris la relève de l’opération française Sangaris semblent donc impuissants.

Les affrontements du 20 juin à Bria, dans le centre-est de la Centrafrique, ont fait une centaine de morts, selon un bilan diffusé par le maire de Bria Maurice Belikoussou et le curé de la ville, l’abbé Gildas Gbénai.

Ces affrontements entre différents membres d’un groupe armé, proches pour les uns des miliciens anti-balaka et pour les autres d’une mouvance musulmane du groupe, sont survenus au lendemain de la signature à Rome d’un accord prévoyant un cessez-lefeu immédiat entre groupes armés et gouvernement, sous le parrainage de la communauté catholique Sant’Egidio.

Déjà le 8 mai dernier, un convoi de Casques bleus de la Minusca (Mission des Nations unies pour la Centrafrique) est tombé dans une embuscade entre Bangassou et Rafai. Six de ses hommes furent tués et dix blessés….

Une population qui vit dans la peur

L’opération militaire Sangaris, lancée il y a quatre ans, dans ce pays en plein chaos, s’est achevée. Mais les bandes armées continuent à semer la terreur.

Au plus fort du conflit, jusqu’à 2.500 soldats français auront été déployés sur place pour mettre fin aux tueries inter-communautaires et enrayer la « spirale génocidaire » qui menace alors les Centrafricains, d’après l’ex-patron de la diplomatie française Laurent Fabius.

Plus de trois ans plus tard, le sort de ce petit pays enclavé est entre les mains de nouvelles autorités locales, mises en place dans le cadre d’un processus de transition démocratique impulsé par la France. En février 2016, Faustin-Archange Touadéra a été élu à la tête du pays. Et ce sont 12.000 Casques bleus déployés par l’Onu qui sont chargés de veiller sur la sécurité de ses 4,5 millions d’habitants en attendant que le pays, parmi les plus pauvres d’Afrique, soit à même de former ses propres forces.

Car si la France est partie, la stabilité n’est toujours pas revenue en Centrafrique, loin s’en faut. De nombreuses personnes ont été tuées, lors d’affrontements entre bandes armées dans le centre du pays. De tels gangs continuent, en effet, de terroriser la population, qui vit, la peur au ventre.

 Ces groupes sont, essentiellement, issus de factions parfois rivales de l’ex-rébellion Séléka, à dominante musulmane, chassée du pouvoir après l’intervention tricolore, mais aussi de miliciens chrétiens (les antibalakas) ainsi que de groupes d’ « autodéfense » d’éleveurs nomades peuls ou encore de bandes spécialisées dans le racket routier.

 Le chaos centrafricain sans fin

 Aujourd’hui, le chaos centrafricain n’a pas cessé et le pays est largement aux mains de cette même Séléka et de ses divers chefs de guerre, souvent des Soudanais. « L’échec est donc total et il doit, en partie, être imputé aux dirigeants politiques français qui ont constamment tergiversé », explique l’historien Bernard Lugan.

« La première date de la fin de l’année 2012 quand, avec peu de moyens, il eut été possible de «traiter» rapidement et efficacement les coupeurs de route de la Séléka. Mais, harcelé par le Quai d’Orsay, François Hollande hésita. Au mois de mars 2013, alors que tous les connaisseurs du pays le pressaient d’agir, il laissa la Séléka prendre Bangui. La Centrafrique sombra alors dans le chaos cependant les chrétiens – 95% de la population de souche -, étaient persécutés », poursuit l’expert français.

Un avis largement partagé par les experts militaires internationaux dont Pierre Sergent, ex-colonel, écrivain et analyste pour France Télévision : « Début 2014, face au désastre humanitaire, François Hollande décida finalement d’intervenir mais en précisant toutefois que l’entrée en scène des forces françaises n’avait pas de but militaire… Les troupes françaises et internationales ne reçurent donc pas d’ordres clairs puisque ni l’«ami», ni l’«ennemi» ne furent désignés, Paris demandant simplement à nos soldats de jouer les «bons samaritains ». Entre l’humanitaire et le désarmement des milices, quelle fut leur mission ? On l’ignore toujours… »

« Alors que l’objectif militaire prioritaire aurait, en effet, dû être le verrou de Birao dans l’extrême nord du pays afin de couper la Séléka de sa base soudanaise, il fut, au contraire, décidé d’enliser les forces disponibles, à Bangui, dans une mission d’interposition relevant de la gendarmerie mobile. L’intérieur de la Centrafrique fut donc laissé à la Séléka qui eut tout le loisir d’y poursuivre ses massacres. L’actuelle situation catastrophique est clairement la conséquence de ce choix militairement incompréhensible», surenchérit Bernard Lugan.

Mais le drame centrafricain est aussi dû au faible nombre de forces engagées dans l’opération. Comment prétendre, en effet, rétablir la paix dans un pays plus vaste que la France avec seulement 1 600 hommes dont plusieurs centaines affectés à la seule garde de l’aéroport ? L’impression d’impuissance fut accentuée par le fait qu’à Bangui, au lieu d’être désarmée, la Séléka voulut bien accepter d’être cantonnée…en conservant ses armes et en gardant ses gains territoriaux, à travers le pays.

Alors que la solution était d’abord militaire, les diplomates internationaux ne cessèrent d’affirmer que la résolution de la crise se ferait par la reconstruction de l’État, à travers les élections de 2016. Or, le Président Faustin-Archange Touadéra a été incapable de reconstituer un «État» centrafricain, lequel n’a d’ailleurs jamais existé sur des bases solides, sauf, peut-être, à l’époque de Bokassa.

Un pays déchiré

 Aujourd’hui, les massacres sont quotidiens et le pays est coupé en deux. Aucun administrateur sudiste n’ose, en effet, s’aventurer dans le Nord, cependant que les fonctionnaires nordistes ne sont guère volontaires pour venir à Bangui…

Quant aux bandes de la Séléka et à leurs diverticules, elles tiennent plus de la moitié du pays.

 Les malheureuses populations occupées sont ainsi revenues aux temps des raids à esclaves lancés depuis le Soudan et dont leurs grands-parents avaient été délivrés, au début du vingtième siècle.

La Séléka et ses subdivisions occupent tout le centre et le nord-est du pays. Les anti- Balaka et leurs multiples subdivisions tiennent Bangui d’où les musulmans ont été largement chassés. À l’Ouest, vers les frontières du Cameroun et du Tchad, les éleveurs Peuls de l’UPC (Union pour la paix en Centrafrique) ont constitué des milices. Les survivants de la LRA ougandaise lancent des raids périodiques venant de l’Est. Enfin, entre Bangassou et Obo, les foyers de guerre du Soudan du Sud, de l’Ituri et la région de Beni en RDC font qu’une tache grise, totalement hors contrôle, s’étend désormais en Afrique centrale.

 La terreur n’a malheureusement pas quitté les routes de l’ancien Oubangui- Chari.

Avis de Catherine Coquery-Vidrovitch, spécialiste de l’Afrique et professeure émérite de l’université Paris Diderot :

« La Centrafrique évitera difficilement le chaos »

  • MAROC DIPLOMATIQUE : Quel bilan tirez-vous des derniers mois en Centrafrique ?

 – Durant les dernières années, ce qui restait de l’État centrafricain s’est effondré avec de graves conséquences humanitaires (400.000 personnes sont déplacées et presque la moitié de la population a besoin d’aide humanitaire). Les précédents gouvernements de transition et la force de sécurité régionale ont été incapables de freiner la chute dans l’anarchie aussi bien en zone rurale qu’en zone urbaine et notamment à Bangui. Après plusieurs mois de passivité et à la suite de tueries, la communauté internationale a pris conscience des conséquences de la faillite de la RCA. Malheureusement, la détérioration de la situation est bien plus rapide que la mobilisation internationale et Bangui est toujours au bord de l’explosion.

 La réconciliation religieuse devrait être privilégiée et des mesures de stabilisation devraient être appliquées.

 En juin 2013, l’International Crisis Group mettait en avant le risque que la République centrafricaine (RCA) devienne ingouvernable. Ce risque est dorénavant réalité. La Séléka, une coalition armée très hétéroclite composée de combattants musulmans et qui a pris le pouvoir en mars 2013, s’est disloquée en une multitude de groupes armés qui commettent de nombreuses exactions et provoquent la réaction de milices d’autodéfense et un conflit confessionnel.

  • Les dernières élections ont-elles changé la donne ?

 – La Centrafrique est, aujourd’hui, confrontée à trois défis : à court terme, restaurer la sécurité et l’ordre public et fournir une aide humanitaire d’urgence ; à moyen terme, mener à bien la transition politique ; à long terme, rebâtir l’État. La transition et la reconstruction de l’État ont pour préalable le retour d’une sécurité minimale. Tandis que l’instabilité a déjà atteint la frontière camerounaise, la combinaison du ressentiment religieux et de l’impuissance des autorités de la transition est la parfaite recette pour des affrontements meurtriers entre la population et les groupes de la Séléka, notamment dans la capitale.

 À moyen terme, il est nécessaire de mettre en oeuvre, sous l’égide des Nations unies et avec l’appui financier des bailleurs, des initiatives de dialogue interreligieux et des projets de reconstruction urgents dans les zones d’affrontement et plus particulièrement dans les villes où les chrétiens et les musulmans vivent maintenant séparément. Une baisse de la tension sécuritaire dans la capitale, un retour à la normale dans certaines agglomérations de province et la reprise du trafic routier et des échanges économiques entre la capitale et des provinces devraient permettre d’envisager le défi de moyen terme. Il faut aussi insister sur la mise en oeuvre d’une réforme du secteur de la sécurité et d’une réforme des finances publiques restent pertinentes.

  •  Pensez-vous qu’une paix durable soit possible ?

 Il faut se rappeler de ce qui s’est passé en septembre 2016. Le quartier de PK5 s’est embrasé, après le meurtre d’un jeune taxi moto musulman. Malgré les tensions régulières dans ce quartier de Bangui, les forces de la Mission de maintien de la paix MINUSCA sont intervenues très tardivement laissant les ressentiments encore présents dans la population prendre une tournure extrêmement violente. Ce manque de réactivité et d’anticipation dans le plan d’action des forces de maintien de la paix a largement contribué à laisser la situation sécuritaire dégénérer en laissant place à des scènes de violences punitives et opportunistes. Depuis, les ressentiments communautaires laissent place à des revendications politiques, avec des discours qui accusent l’ensemble de la communauté internationale.

 Au-delà du pillage «économique» d’opportunité, ce sont des épisodes de véritables saccages qui ont été observés avec une volonté de détruire les moyens d’intervention et la capacité de réponse. À Bangui, le nombre de déplacés avait presque triplé en seulement 4 jours de violences. Selon les estimations, ils seraient plus de 69.890 dont 61 % nouvellement déplacés. À ce jour, il est impossible de se déplacer pour évaluer au mieux les besoins de l’ensemble des sites pour préparer une assistance car les axes ne sont toujours pas sécurisés. Dans cette configuration, la population se retrouve en otage : sans protection et sans assistance humanitaire.

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