Chakib Benmoussa : La méthode et son esprit

Par Hassan Alaoui

René Descartes avait fait de la méthode son Alpha et Omega. Sans doute la comparaison ici n’est pas raison, mais le discours que tient depuis quelques jours Chakib Benmoussa, désigné par le Roi Mohammed VI à la tête de la Commission du nouveau modèle de développement, s’y apparente aisément.

Le premier est un mathématicien aigu et un philosophe pertinent, l’autre est un polytechnicien de grande dimension, ingénieur de son état, féru de connaissance et homme de rigueur dont on ne tarit pas d’éloges.

Il est aujourd’hui, malgré lui, le point d’orgue et l’homme de l’actualité pour ainsi dire. La Commission qu’il dirige est au cœur d’un débat national, dont il a décidé de présenter les tenants et aboutissants en choisissant le mode de communication direct, conviant les responsables de médias , recourant à une pédagogie appropriée et à un modus operandi circonstanciel. Chakib Benmoussa est resté fidèle à sa méthode : confronté aux données nombreuses, il procède au recueillement des données, débroussaille, détricote, analyse, synthétise, conclut et enfin tire les conclusions qui s’imposent. La procédure est cartésienne donc.

Aujourd’hui, il est interpellé par un sujet d’autant plus lourd qu’il n’a pas de précédent ni de méthode acquise. Sauf à prendre comme référentiel tout ce qui s’écrit sur le sujet depuis le discours du Roi d’octobre 2017 devant le Parlement, autrement dit un corpus de milliers de pages, Chakib Benmoussa est de toute évidence acculé à tout inventer : le langage, les concepts, la méthodologie, ce qu’on appelle le benchmark et cette culture du didactisme qui accompagne les grands projets comme l’exégèse la religion des peuples. Il est connu en effet pour sa propre méthode : se poser des questions dans un maquis de complexités et trouver la solution dans l’enfouissement inhérent, repérer l’essentiel et tenter l’arbitrage.

En l’occurrence, il existe un cas de figure dans l’histoire des vingt dernières du Maroc dont il ne dédaignerait point de s’inspirer : la Commission de la Moudawana que feu M’Hamed Boucetta avait présidé et conduite à son terme, sanctionnée par le texte célèbre, devenu une référence en matière dé réformes structurelles. Autant que l’objet lui-même, c’est l’esprit et le langage qui les accompagnent qui tiennent lieu de bréviaire.

Chakib Benmoussa serait donc tenté d’en prendre l’exemple, associant la société civile surtout et comme il l’affirme toutes les composantes politiques, économiques, sociales, culturelles, humaines, en somme tout le contraire de ce que feu Meziane Belfquih n’avait pu mettre en œuvre lorsqu’il lança le projet de Cinquantenaire, celui-ci demeuré confiné au sein d’un cercle d’experts, certes triés sur le volet, mais sans prise réelle sur la société civile qui n’a pas été associée. De la même manière, la Cosef lancée tambour battant , le Plan d’urgence de l’Education et de l’enseignement sont passés à coté des acteurs du secteurs et leur portée est non seulement inefficace mais inexistante.

Chakib Benmoussa entend faire le contraire, manifestement préoccupé par le souci d’associer les partenaires sociaux et ne cessant d’affirmer que la Commission du modèle de développement n’est pas un vase clos, ou le cercle d’une élite, encore moins son projet personnel ; mais « l’affaire de tous ». Ce qui suppose l’implication de tous les acteurs et la coresponsabilité. Il propose de créer des plateformes d’échanges polysémiques où prédominera la proximité, la territorialité, une remontée sur les terrains de l’information, l’intégration horizontale – et non verticale – des régions et des territoires.

Pour idéale qu’elle paraît, cette vision ne manque pas de cohérence, parce que l’inclusion ici n’est pas un vain mot. Il y va de la réussite d’une entreprise, portée par tous derrière le Roi, fondant un nouveau consensus, allant à la rencontre et non à l’encontre de la volonté des populations pour lesquelles le nouveau modèle sera construit. Il convient de souligner que dans cette perspective, l’Etat doit garder sa primature, consolider sa force régalienne et éviter le délitement , de la même manière que les institutions, les partis, les forces et les groupes doivent s’inscrire dans le processus transformationnel , se démettre de l’idée que la démocratie représentative ne suffit plus face à l’irruption sociétale qui s’exprime à travers les réseaux et l’Internet.

Chakib Benmoussa veut créer et renforcer des plateformes allant dans ce sens, susciter les débats générateurs d’une méthode consensuelle où les mots de « coresponsabilité » et « co-construction » deviennent la clé de voûte d’une démarche collective, exemplaire, invitant toutes les volontés à mettre la main à la pâte. Quand le texte final , concocté et finalisé par les membres de la Commission cooptés et désignés, sera remis au Roi le 30 juin 2020, le pas le plus important sera franchi. Conseils, propositions, recommandations fonderont ensuite un projet qui est au développement du Maroc nouveau ce que l’invention du Plan il y a soixante ans avait été pour une grande majorité des pays sortis de la colonisation.

Alors, alors, la société marocaine aura dit son mot, ses doléances mises sur la table, sa participation actée. En somme, c’est moins une question de chiffres ou de courbes que de conviction, chevillée au corps. Benmoussa n’est pas le Messie , il s’en défend ad hominem d’ailleurs, il est simplement le metteur en scène d’un idéal collectif où espoir, transition démocratique, affranchissement d’un « vieux monde » et de vieux archaïsmes  se conjuguent.

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