La Chine en ordre de marche….

Par Jamal Chafra

Le moins qu’on puisse dire est que 2017 aura survécu à un contexte régional de crises et de tensions explosives, où des forces, en attente, semblaient être sur le point de provoquer une déflagration fatale, accréditée à la faveur d’un faux drapeau (False Flag), prompt à susciter, en retour, un tonnerre de ripostes foudroyantes, aux conséquences dévastatrices et incalculables, jetant le monde au bord du précipice.

Dans ce contexte critique de risques géopolitiques, rien n’a pour autant empêché la Chine, pétrie d’une passion pour le pragmatisme, supportée par un boom économique sans précédent, de penser, de prime abord, au développement économique et social, si soucieuse de prendre en compte l’aspiration profonde de ses dirigeants à créer les conditions d’une stabilité et d’une prospérité durables pour leur pays et leurs administrés. Cette vision en prise avec la réalité géostratégique, se déploie au moment même où la zone bruisse de rumeurs de conflits imminents, de crises et de tensions tragiques, de fracas de missiles, devant un triste spectacle de foire d’empoigne entre les grandes puissances qui campent le rôle de gendarme de la zone d’Asie du Sud-est.

La Nouvelle Route de la Soie

Et par ce même esprit de pragmatisme emblématique, le premier geste du nouveau timonier au surnom affectueux de «Xi Dada», une fois aux affaires, -politicien au demeurant hors norme, leader incontesté en avance sur son temps-, fut de mettre en acte une approche cohérente et globale tournée vers l’extérieur. Elle promeut de grands chantiers, tels que la Nouvelle Route de la soie, aussi appelée, littéralement, « La Ceinture (terrestre) et la Route (maritime) », (One Road One Belt), fort du soutien décisif à la Chine de 80 pays, s’adjoignant au passage leurs capitaux au sein de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures.

 L’enjeu est énorme. La tâche est gigantesque à chacune des étapes inhérentes à son développement.

En plein accord avec les principaux objectifs escomptés, il s’ensuit qu’au courant des neufs premiers mois de l’année 2017, les entrepreneurs chinois, de manière collective, ont investi, hors de leurs frontières, près de dix milliards de dollars, répartis dans soixante-quatre pays, le long de la Nouvelle Route de la Soie, à la faveur de l’espoir providentiel qu’ont bien voulu placer en eux les pays récipiendaires, cooptés pour l’occasion.

Sans compter l’émergence de pas moins de quinze zones de coopérations économiques et commerciales incubées dans quarante- quatre pays et régions, regroupant un réseau de 3.400 entreprises chinoises, leur conférant une base durable dans un maillage de projets d’infrastructures routières, ferroviaires, maritimes, aéroportuaires, industrielles, énergétiques, technologiques et d’ingénierie, venues enrichir, de manière opportune, le tissu économique local.

 Parallèlement au nouvel espace commun économique ainsi constitué, il importait pour la Chine de s’ouvrir, à juste titre, aux autres civilisations, nations, et peuples, que compte la planète, comme alternative au confinement, à la polarité et à l’unilatéralisme ambiants.

Ce processus à l’oeuvre, louable au demeurant, a rencontré un grand succès et pour le coup se poursuit, inlassablement, déployant, opportunément, des liens avec ses partenaires commerciaux, valorisant l’esprit d’ouverture, de dialogue, d’échanges, de coopérations universitaires, touristiques, et culturelles engageants pour, en définitive, imprimer la marque d’une impulsion attendue.

Autant d’élans fondateurs qui, en revanche, confirmeront, de toute évidence, une inévitable suprématie économique de la Chine sur l’échiquier international, fécondée par une diplomatie de projets, pour le coup, assumée, épaulée, durablement, par la plupart des grandes puissances industrielles et commerciales occidentales.

Celles-ci ont, légitimement, choisi de prendre ce train en marche (sauf rares exceptions sans les désobliger pour autant) au nom de leurs intérêts propres. Elles furent suivies d’une myriade d’économies marginalement développées, et d’autres ayant accusé un certain retard au décollage, chacune s’empressant à son échelle de rejoindre les rangs par pur intérêt vital, au risque d’être mise à son ban et de sombrer en marge. Néanmoins, sur le plan local, se profilent d’autres nouvelles initiatives performantes, tournées, elles, vers l’intérieur, qui, à tout point de vue, visent à parachever l’essor économique et social au sein même de ses frontières, second volet de cet engagement, tout aussi porteur de fortune et de paix.

La Grande Baie Guangdong-Hong Kong-Macao

Pour autant, la volonté puissante de la Chine est de se développer en interne aussi. Si bien que l’on parle, à présent, du projet auto-centré, conçu et promu, lors du 19e Congrès national du Parti communiste chinois, d’une conurbation de premier rang mondial, baptisée « grande Baie Guangdong- Hong Kong-Macao », zone de libreéchange, de surcroît, ouverte aux voyageurs d’affaires de 53 pays qui jouiront d’un régime de transit sans visa pour une période de 144 heures. Rappelons, en outre, que la superficie de cet espace représente à peine 0,6% de la superficie totale de la Chine et quelque 5% de l’effectif de sa population, contribuant à hauteur de 12% à son économie nationale.

 En définitive, il s’agit d’en faire dans la foulée, la plus grande région de baie en termes de PIB à l’horizon 2030, pour devenir un espace manufacturier avancé, ainsi qu’une plate-forme mondiale de synergies diversifiées et d’avantages réciproques, en mesure de favoriser un riche écosystème d’innovation, de high-tech, d’industries créatives et numériques, de haute finance, de transport maritime et de commerce.

Tout au plus, cela formera un véritable coeur battant de la Chine, nouant durablement des liens, érigeant des passerelles, prenant en compte les exigences des équilibres locaux, dans l’esprit gagnant-gagnant cher à la Chine, capable, à beaucoup d’égards, de concurrencer la Grande Baie de San Francisco, ou bien même, la sphère de New York ou de Tokyo.

Qu’entendent par là les planificateurs chinois, toujours à l’oeuvre aux avantpostes, constamment en quête d’un engagement, prompt à provoquer un sursaut quantique, visant à rassembler leurs énergies autour d’un projet fédérateur, à refonder une nouvelle architecture d’un ordre économique local et régional en mesure de sceller des partenariats décentralisés de région à région, à même de faire advenir une aire de prospérité nouvelle, dans le respect des spécificités, des identités, de l’autorité, de l’histoire et de la géographie, à l’échelle de leurs territoires propres et respectifs ?

 Songeons à ce qu’avec un PNB avoisinant, en 2016, les 1.4 Trillions de dollars, produit de l’agrégat de onze agglomérations dont Hong Kong, Macao et Guangzhou, Shenzhen et Zhuhai dans la Province du Guangdong, la Grande Baie Guangdong-Hong Kong-Macao, gravite, désormais, dans le giron fermé du club comprenant la Grande Zone de Tokyo qui cumule, à elle seule, 1.8 trillion de dollars et de New York avec 1.7 trillion de dollars, dépassant, au passage, la zone de la Baie de San Francisco.

Mais encore, à l’horizon de 2030, ce même PIB régional de la zone de la Grande Baie atteindra 4.6 trillions de dollars pour enfin surpasser les zones de la Baie de Tokyo, de New York et ainsi occuper le premier rang mondial,

 A l’heure de ces grands choix de réalisation, il y eut l’idée de ce pont de près de 55 kilomètres reliant, en réseau, Hong Kong et Macao, faisant corps avec la zone économique spéciale de Zhuhai sur la côte sud-ouest de la Chine, un méga-projet qui aura pris, au bas mot, six années, qui devrait être achevé courant 2018, permettant de réduire le temps de trajet entre ces villes de 3 heures à 30 minutes, tout en rendant fluide, en outre, la libre circulation des capitaux, des ressources humaines, des biens, des marchandises, des services, des énergies au sein de cet ensemble intra- urbain.

Elle est là, cette Chine fidèle à ellemême, qui dans sa grande marche silencieuse, sereine et méthodique, se mue, se réforme, et se métamorphose sous notre regard témoin, -pour y avoir vécu d’affilée durant presque une trentaine d’années-, une exception notoire dans le désordre mondial qui règne d’ordinaire de nos jours, pour en sortir renforcée, plébiscitée par les forces vives de sa nation séculaire.

Tel est, du reste, le visage de la Chine nouvelle, en ce début du XXIe siècle, qui, dans un contexte de décentrement mondial, comme aime à le penser Dipesh Chakrabarty, se targue, à bon droit, de tirer les dividendes économiques et stratégiques fructueux de sa seule force d’initiatives, en parfaite harmonie avec les exigences de son temps. Mais tout succès suscite, par ailleurs, inconforts, crispations, jalousies et envies.

La Chine face à la frilosité et à l’incertitude des Nations

 Sans doute n’est-il pas inutile de rappeler les lectures en surimpression révélant ces angoisses, oscillant entre la vision d’une Chine paternaliste, à l’image d’un sauveur messianique, déployant des moyens incomparables au profit «d’un tiers-monde en mal de développement» face auquel le monde occidental conserve une dette imprescriptible, (vision qu’il convient à notre sens de nuancer et d’atténuer), et celle d’une Chine qui suscite une exaspération doublée d’une méfiance névrotique, (vision tout aussi dénuée de logique), s’évertuant à dénoncer sans précautions oratoires, son ambition déferlante, hégémonique, prédatrice, propre à déstabiliser et fragiliser un ordre mondial déjà incertain.

 Cette Chine ainsi décrite, existe-t-elle comme elle nous l’est, dès lors, présentée, en une image qui se perpétue, par endroit si attachante, par moment si menaçante ? Autant de questions qui, tour à tour, fâchent, irritent et exaspèrent comme on le subodore.

 La réalité se veut bien plus contrastée. Gardons-nous donc de ces représentations réductrices et de ces préjugés factices, qui relèvent parfois de la mystification, donnant lieu ex abrupto à des incompréhensions qui souffrent de manque d’objectivité et de cohérence. Sauf à révéler chez leurs auteurs, une culpabilité inhibée, qui cache mal leur frustration d’avoir perdu la manche.

C’est en somme la destinée d’une Chine résolue à rayonner, échafaudant, minutieusement, des choix audacieux, faisant preuve à sa manière d’inventivité, de vision stratégique, d’initiatives originales de long terme. Une Chine longtemps discrète dans les affaires planétaires, mais qui désormais a toutes les raisons légitimes de se réjouir de son assurante ascension.

 Consciente aussi de ses intérêts, elle poursuit tant bien que mal son avancée historique, se projette au futur, comme puissance économique, démographique, nucléaire régionale, qui s’affirme et s’emploie à recouvrer la place la plus visible qui lui sied, au sein de la communauté internationale.

 Faisant face à une réelle défiance à son égard, il est manifestement pour qui saura saisir l’occasion, une main gracieusement tendue par la Chine, désireuse d’acter son action sous le signe de la non-ingérence, de l’esprit de paix, du dialogue, de la coopération, de la solidarité, y compris de l’amitié et du respect entre les peuples, consentant à plus d’équité dans le partage des projets, des ressources et des richesses.

De fait, un rapide regard lucide sur son histoire abonde de réalisations frappantes. Le choc des exploits qui ne manque pas de nous étonner, aura tout fait de dissiper cette méfiance pour le moins révolue, ces incertitudes intrinsèques qui n’ont plus lieu d’être, et de neutraliser l’hystérie de ses détracteurs, à moins de se dérober devant la réalité, à l’heure où ceux-là même, s’embourbent dans une langueur économique lascive.

Il revient, dès lors, à chacun de nous, de se rappeler de ces réalités parlantes, et de repenser notre manière d’appréhender notre jugement concernant cette prestigieuse civilisation, sauf à vouloir faire le choix d’occulter, par démagogie politique, sa grandeur, que désormais plus personne ne conteste sérieusement.

La Chine est inexorablement en ordre de marche, à défaut de dire de bataille, évoluant selon une approche globale et régionale stratégiques, qui sera, plus ou moins, brève échéance, porteuse de paix et de progrès. Dans l’un comme dans l’autre cas, elle sera amenée à connaître en dépit des contingences historiques, son âge d’or ultime. L’Histoire lui aura, enfin, conféré sa place méritée dans le concert des nations.

Autant accepter la vérité que désormais, il y aura tout à gagner à être impliqué dans cet axe majeur de « partnership win-win », fondé sur le dialogue du face-à-face, en des termes d’égal-à-égal, auquel cas, il y aura, certes, à subir un risque immense à vouloir s’en passer.

Cela n’a, pour les pragmatiques que nous devrions être à notre tour, rien de reprochable ni d’opportuniste, face à ce qui se présente comme nouveaux enjeux de croissance, de prospérité et de stabilité. Telle est, à notre sens, la voie raisonnable à suivre. L’action ne peut pas attendre.

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