« Connaissez-vous le Maroc ? » dixit le chef de gouvernement

Au Maroc, c’est de­venu une tendance : rien en politique n’échappe à la communauté des trolleurs. Et bien sûr, la bourde anecdotique et pathé­tique du chef de gouvernement, qui est à l’affiche, ne pouvait passer inaper­çue. «Connaissez-vous le Royaume du Maroc ? » demande-t-il jovialement à Poutine qui s’empresse de répondre non sans étonnement « Bien sûr » ! La question, pour le moins inattendue, a été posée par Saad-Eddine El Othma­ni, présent le 24 octobre, en Russie, pour représenter le Roi Mohammed VI au Forum Russie-Afrique, dont les travaux se sont ouverts, jeudi à Sotchi, sous la coprésidence du président de la Russie, Vladimir Poutine, et du pré­sident égyptien, président en exercice de l’Union africaine, Abdel Fattah Al-Sissi.

On le voyait clairement, le chef du gouvernement, en donnant une poi­gnée de main au Président russe, était surexcité et confondu à tel point que sa démarche, théâtralement alerte et sa mine heureuse, fait penser à un enfant qui venait d’être gratifié. Par cet impair, le bêtisier de Saad-Eddine El Othmani s’alourdit et le trolling marocain s’en est frotté les mains, bien évidemment, au moment où les internautes ont riva­lisé de créativité, en pointant le manque de savoir-faire diplomatique du chef de l’Exécutif. Et comme on pouvait s’y at­tendre, la vidéo de cette « scène» a fait le tour des réseaux sociaux. L’exception marocaine serait-elle donc que le chef de gouvernement, ancien ministre des Affaires étrangères, demande à un Chef d’Etat, reçu par Sa Majesté le Roi Mo­hammed VI s’il connaissait le Maroc ?

Les bourdes se suivent et ne se ressemblent pas

Si le Chef du gouvernement s’est il­lustré par cette bourde embarrassante, il faut rappeler qu’il n’est, malheureu­sement pas, à sa première perle. En effet, depuis sa nomination en tant que ministre des Affaires étrangères, en janvier 2012, il n’a pas cessé d’accumuler les gaffes et les sorties discordantes avec ses missions.

Autant son prédécesseur faisait beau­coup de « casse » comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, autant l’actuel chef de gouvernement, lui, met les pieds dans le plat sans crier gare. Faut-il rappeler que lors du premier gouvernement Benkirane, Saad-Eddine El Othmani, alors chef de la diplomatie, a failli créer, en juin 2013, une grave crise avec le Koweït, « l’allié tradition­nel » du Maroc, lors de la tenue d’une session de la commission mixte maro­co-koweitienne ? En effet, il avait ren­contré, en présence de l’ambassadeur du Royaume, des membres d’une délé­gation des Frères musulmans alors qu’il venait juste d’être reçu, quelques jours auparavant, par l’émir Cheikh Sabah Al Ahmad. Un impair qui n’a pas manqué de provoquer un tollé du côté des au­torités koweïtiennes; et les foudres de l’erreur commise par le ministre des Affaires étrangères ne tarderont pas à s’abattre sur l’ambassadeur Yahya Bennani, rappelé d’urgence à Rabat.

D’où le passage en coup de vent d’El Othmani dans les rouages sensibles et délicats du Ministère des Affaires étrangères puisqu’il quitte le départe­ment, le 10 octobre de la même année. Déjà au lendemain de sa nomination à ce poste, son génie l’emmène, pour son premier déplacement diplomatique, en Algérie. A son retour, il se targue d’un bilan positif au moment où son homo­logue algérien a préféré faire fi de ses propositions. Son voyage était un échec cuisant.

Le 25 septembre 2018, à la veille de la réunion du Conseil de sécurité sur le Sahara, prévue pour le 29 octobre suivant, en marge de la 73e Assem­blée générale de l’ONU, à New York, Saad-Eddine El Othmani, cette fois-ci Chef de gouvernement, a rencontré le chef de la diplomatie du Kosovo, entité séparatiste au même titre que le Polisa­rio. Et c’est un coup de trafalgar pour la diplomatie marocaine, qui ne ménage pas d’effort pour récolter davantage d’adhésion à la marocanité du Sahara et de soutien à l’intégrité territoriale du Maroc. La Serbie et la Russie s’en trouvent froissées. D’ailleurs, on lira sur le site russe «Sputnik» : «Impair kosovar du PM marocain : Un Pre­mier ministre ne devrait pas faire ça». «Alors qu’il fait feu de tout bois pour chercher des soutiens dans l’affaire du Sahara, le Maroc a froissé ses parte­naires serbes et indirectement russes», déplore la même source.

C’est dire que les antécédents di­plomatiques signés par les soins de notre chef de gouvernement, qui n’a visiblement pas appris grand-chose de son passage au ministère des Affaires étrangères, ne sont pas rares. Résultat : il n’occupe le fauteuil du ministère que du 3 janvier 2012 au 10 octobre 2013 avant qu’il ne soit remercié.

En mai 2019, le site Hespress, rap­portait que le Premier ministre maro­cain aurait déclaré à des journalistes, lors d’un ftour, tenu en sa résidence, que « la première décision que devraient prendre les nouveaux dirigeants de l’Algérie est l’ouverture des frontières avec le Maroc » auquel cas le Chef de gouvernement se serait exprimé sur une question qui relève de la souveraineté d’un pays voisin avec lequel le Maroc n’est pas, et c’est le moins que l’on puisse dire, en bon termes. « Les rela­tions avec le pays voisin vont être mieux avec la nouvelle équipe qu’avec le régime d’Abdelaziz Boutefli­ka », aurait-il ajouté comme l’avait rapporté aussi l’agence de presse turque Anadolu. Or les autorités marocaines s’étaient gardées de ré­agir au hirak qui secouait la voisine de l’Est, depuis le 10 février, de crainte de raviver l’animosité. Deux jours plus tard, Saad-Eddine El Othmani se rétracte et le porte-pa­role du gouvernement se charge de cette mission en essayant de sauver les meubles en déclarant que « Le Chef du gouvernement n’a lancé aucun appel, mais il a formulé un souhait pour l’ouverture des frontières entre les deux pays, et ce dans une discussion en privé en marge d’un Iftar».

D’un couac diplomatique à l’autre, on dirait que le chef de gouvernement n’est plus de saison et que les pavés jetés dans la mare sont intaris­sables, lui qui s’ingénie à donner du grain à moudre à quiconque s’intéresse­rait à la diplomatie du Royaume.

La classe, on l’a ou on ne l’a pas

J’avoue que sans ambages, j’ai beau­coup d’estime pour Saad-Eddine El Othmani, l’homme. Toutefois, en tant que Chef de gouvernement, il ne faut pas se mentir : le charisme n’est pas l’atout fort de notre Chef de l’Exécu­tif. Preuve en est la vidéo qui date de 2017 et qui a fait le tour de la toile, le montrant dans une situation plus que gênante dans laquelle il s’essayait à un exercice éprouvant : parler en anglais ! Or maîtriser les langues étrangères n’est-il pas le b.a.-ba de la mission di­plomatique ?

C’est à se demander si on peut vrai­ment vendre l’image du Chef de gou­vernement, une image qui lui porte pré­judice tout comme au pays qu’il représente. Un homme d’Etat ne doit-il pas être formé au protocole, indispensable aux diplomates afin qu’ils adoptent les atti­tudes appropriées à toutes les circons­tances et éviter celles qui pourraient nuire, volontairement ou involontai­rement, à l’image d’une personnalité publique surtout hors de son pays ? Un chef de gouvernement représente toute une nation et en tant que tel, il doit en être digne et à la hauteur de la mission. Le protocole et l’étiquette sont l’image de l’Etat, l’image du pays.

Depuis 2011, entre le mutisme dé­concertant de Saad-Eddine El Othma­ni d’un côté, ses gaucheries de l’autre et le populisme théâtral de Benkirane, l’image du chef de gouvernement au Maroc tangue. Nous sommes en manque d’un chef de gouvernement qui soit la bonne personne à la bonne place et au bon moment. Nous sommes en manque d’un chef de gouvernement qui puisse être en mesure de représenter le Maroc avec dignité et sérieux. Au-delà de la «simple» capacité à gérer un dos­sier, il ou elle (pourquoi pas) doit avoir le charisme et la présence d’un homme ou d’une femme d’État, un VRAI, un Chef compétent, capable d’influencer et de convaincre les autres de manière positive, de dépasser les intérêts spéci­fiques de son parti pour servir le bien public.

Contrairement à son prédécesseur, on aime bien El Othmani mais est-ce suffi­sant pour continuer à fermer les yeux sur ses bourdes qui n’en finissent pas, lui qui est aux leviers de commande ? Peut-être que le costume est taillé trop grand pour lui et qu’il est en peine ? Loin d’être au–dessus des mêlées, il s’emmêle les pinceaux et c’est chevillé au corps. Ce qui manque à notre chef de gouvernement, c’est de la hauteur de vue, le savoir-faire, le charisme et la classe, ce qui lui faut c’est être en pleine possession de ses moyens sans parler de sa maîtrise des dossiers et de l’art de la négociation. Ce qui est indispen­sable c’est être de taille à accompagner la vision Royale, en une phrase : il doit connaître sa partie et nous impression­ner par ses coups de maître diploma­tiques et non ses bavures.

L’image du chef de gouvernement est désormais faite à chaux et à sable, sur­tout depuis 2011. Elle est en décadence et j’en veux pour preuve « appuyez sur l’interrupteur et ça s’allume, ouvrez le robinet et l’eau coule » dixit notre chef de gouvernement.

Le grand problème est qu’à la pers­pective des élections 2021, alors que les partis qui volent en éclats cherchent à se rogner les ailes les uns les autres, le nouveau paysage politique, fragmenté, complique tous les calculs et rend toute conjecture particulièrement hasardeuse. La question qui s’impose d’elle-même est quel parti émergera et quel chef de gouvernement mériterons-nous ? Si tant est que de deux maux il faut choisir le moindre, que faire quand on n’a même pas le privilège du choix et quand nécessité fait loi ? En attendant, c’est le flou politique et les Marocains sont de la revue. Mais on continue à aimer Saad-Eddine El Othmani, il est sympa…

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