Coopération : Dr Nasser Bouchiba* fait une radioscopie de l’axe Rabat-Pékin

Entretien réalisé par Mouhamet Ndiongue

Dans son livre « Histoire des Relations entre le Maroc et la Chine (1958-2018) », Dr. Nasser Bouchiba fait une rétrospection de l’histoire des relations entre le Maroc et la Chine. Le sinologue Dr Bouchiba met en évidence, le rôle important joué par feu le Roi Mohammed V et feu le Roi Hassan et celui du  Premier ministre chinois Zhou Enlai pour établir des bases solides, viennent s’ajouter la volonté du Roi Mohammed VI et le Président Xi Jin ping pour promouvoir et consolider ces relations à des niveaux plus élevés pour qu’elles soient à la hauteur d’une réelle coopération, d’une solidarité diplomatique et d’un partenariat mutuellement avantageux.

Par un voyage et plusieurs discours, le Roi Mohammed VI a fini de montrer la Chine comme partenaire stratégique du Maroc. Quels sont les atouts des deux pays en matière de diplomatie et d’économie ?

Au cours des 60 ans de coopération entre le Maroc et la Chine, les deux états ont adopté une série d’échanges fructueux pour explorer conjointement les possibilités de coopération, rapprocher les points de vue, résoudre les malentendus, réaliser une solidarité diplomatique et promouvoir ainsi les relations bilatérales.

La coopération politique entre le Maroc et la Chine a mis en place un mécanisme de communication multi-niveaux et multi-canaux. L’échange de visites entre les Chefs d’Etats des deux pays a joué un rôle primordial dans l’approfondissement de la communication politique et de la confiance mutuelle au cours des différentes périodes historiques. Parmi eux, le Premier Ministre Zhou Enlai, lors de sa première visite au Maroc est parvenu à un accord avec Feu Sa Majesté Le Roi Hassan II, que Dieu ait Son âme et l’entoure de sa sainte miséricorde. La Chine soutiendra le Maroc dans la réalisation de son indépendance économique et ils travailleront ensemble pour faire progresser la coopération sino-arabe.

Lorsque Sa Majesté le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, s’est rendu en Chine en tant que Prince Héritier en 1991, il avait également exprimé son souhait de tirer pleinement parti de l’expérience réussie de la Chine dans l’industrie, l’agriculture et le tourisme.

La visite historique de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, Que Dieu L’assiste, en Chine en mai 2016 a été une étape importante dans les relations Maroco-Chinoises. Tout d’abord, à en juger par le contexte de cette visite, après 58 ans de coopération, les deux pays ont pleinement réalisé le potentiel de complémentarité, et ont achevé la construction de mécanismes et conditions de coopération dans les domaines de l’économie, du commerce, de la culture et de l’assistance; ensuite, plus de trente accords de coopération signés au cours de cette visite ont amené les relations bilatérales dans une phase de développement rapide, et les domaines concernées présentent des caractéristiques réciproques et complémentaires importantes tant pour le Maroc que pour la Chine.

De 2000 à 2012, il y a plus 36 participations chinoises au financement de projets au Maroc. Comment expliquez-vous l’attractivité du Royaume pour la Chine ?

Afin de mieux comprendre les raisons de l’’attractivité du Maroc vis-à-vis des entreprises chinoises, il faut signaler les motivations qui ont incité la société chinoise CITIC Dicastal à choisir le Maroc notamment par ses avantages, mais aussi les politiques préférentielles instaurées par l’état marocain pour promouvoir le développement des industries tournées vers l’exportation et plus précisément celui du secteur automobile.

En termes de situation géographique, le Maroc occupe une position stratégique, il a un double littoral, bordé par l’océan Atlantique à l’est et la mer méditerranéenne au Nord. A seulement 14 miles nautiques de l’Espagne, les marchandises produites au Maroc pourront être acheminées, le même jour, vers n’importe quel pays de l’Union Européenne via le détroit de Gibraltar. Une aubaine pour les entreprises internationales qui souhaitent réduire les coûts logistiques de l’exportation de marchandises sur le marché de l’Union Européenne.

Sur le plan industriel, en tant que pays non pétrolier, le Maroc s’est engagé, depuis son indépendance, à créer une structure économique diversifiée, c’est ainsi que la promotion du processus d’industrialisation est devenue une stratégie importante pour le développement à long terme du pays. En tant qu’industrie orientée vers l’exportation, l’industrie automobile, très appréciée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, suit à la lettre les orientations et les directives de Sa Majesté. En 2017, l’industrie automobile est devenue la principale industrie d’exportation du Maroc, avec la construction de 345 000 voitures, et une valeur d’exportation d’environ 7 milliards de dollars US, dépassant ainsi pour la première fois la production de l’Afrique du Sud (331 300 voitures), qui est un autre grand constructeur automobile en Afrique.

Quels sont les leviers essentiels de la coopération économique ?

Je vais commencer par la loi sur l’investissement instaurée en 2014 par l’état marocain, qui prévoit des conditions préférentielles pour les entreprises étrangères qui installent des bases de production au Maroc, notamment une exonération de l’impôt sur les sociétés pendant les cinq  premières années et un taux préférentiel de 8,75% à partir de la sixième  année ; l’exonération de la taxes à valeur ajoutée et des droits de douane, la simplification des procédures et des conditions de dédouanement et la libre circulation des capitaux. Les constructeurs automobiles français tels que Renault et Peugeot-Citroën en ont profité et le volume de leur production au Maroc augmente d’année en année.

En termes d’investissement et d’économie et de commerce, bien que la coopération politique entre le Maroc et la Chine soit devenue plus stable et que le commerce bilatéral se soit accru d’année en année, elle n’a pas encore déclenché une vague d’entreprises chinoises investissant au Maroc. Cependant, le projet d’investissement de CITIC Dicastal est devenu le meilleur modèle pour les entreprises chinoises d’investir au Maroc, il est d’une grande valeur de référence pour les autres entreprises chinoises. CITIC Dicastal a également révélé à d’autres entreprises manufacturières chinoises les opportunités commerciales dans l’industrie automobile marocaine, en particulier pour les entreprises chinoises ciblant les marchés européens et africains.

Quid des axes de la coopération des deux pays ?

En termes de coopération culturelle, la création du Centre Culturel Chinois est le résultat d’un mécanisme de coopération culturelle établi conjointement par la Chine depuis 1982. Le Centre Culturel Chinois et l’Institut Confucius sont devenus des plateformes complémentaires pour la diffusion de la culture chinoise au Maroc.

En matière de coopération touristique, la politique d’exemption de visa adoptée après la visite de Sa Majesté Le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, en Chine en 2016 a créé de meilleures conditions pour la coopération touristique, et les efforts des deux gouvernements ont rapidement produit de résultats probants. Pour les touristes chinois, le Maroc répond parfaitement à leurs besoins pour explorer de nouvelles destinations culturelles ; pour le Maroc, l’afflux des touristes chinois favorise également le développement de l’industrie touristique du pays, ce qui peut être décrit comme un autre modèle de coopération mutuellement bénéfique.

Comment la Chine apprécie-t-elle la question du Sahara marocain ?

A l’instar d’autres pays en développement, après son indépendance, le Maroc a également connu des problèmes de frontières. Tout en défendant son intégrité territoriale, le Maroc a toujours espéré trouver une solution raisonnable par le biais des Nations Unies et a toujours communiqué, par différents moyens au gouvernement chinois, les derniers développements de la situation sur le Sahara Marocain et la position du Maroc. La Chine a toujours prôné une solution qui puisse garantir la stabilité en Afrique du Nord dans le cadre des Nations Unies. La Chine ne s’est jamais ingérée négativement dans le conflit entre le Maroc et le groupe séparatiste illégal dans les provinces sud du pays, ce qui reflète l’excellente politique étrangère de la Chine de non-ingérence dans les affaires internes.

En ce qui concerne les problèmes internes de la Chine, le gouvernement marocain a toujours soutenu le principe d’une seule Chine. Depuis l’établissement des relations diplomatiques en Novembre 1958, Feu Sa Majesté Le Roi Hassan II, que Dieu ait Son âme et l’entoure de sa sainte miséricorde, les gouvernements, les hommes politiques et les médias marocains n’ont cessé de faire appel à la communauté internationale pour que la Chine récupère son siège légal aux Nations Unies. A noter que les autorités marocaines et les autorités taïwanaises n’ont jamais développé de relations directes ou indirectes.

C’est ainsi que le respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale des deux pays a toujours été un principe fondamental tout au long des échanges politiques entre le Maroc et la Chine. La coopération politique entre le Maroc et la Chine, qui concorde avec les intérêts communs établis sur la base du respect mutuel, est par conséquent la pierre angulaire du succès de cette coopération.

* Président de l’Association de Coopération Afrique-Chine pour le Développement (ACCAD)

Dr Nasser Bouchiba a passé plus de vingt ans en Chine, ce qui lui a permis de maîtriser la langue chinoise et de se familiariser avec l’incroyable richesse de cette culture et de cette civilisation millénaire. Il est titulaire d’une licence en langue chinoise, d’une maîtrise en administration des affaires de l’Université Sun Yat-sen de la ville de Guangzhou et d’un Doctorat en théories politiques de l’Institut de Politique et d’Administration Publique de cette même université. En 2012, il a été nommé en 2012, maître de conférences à l’Institut des Langues de l’Université Sun Yat-sen dans le domaine de la gestion stratégique et de l’entreprise. Depuis 2015, il s’est spécialisé dans l’évaluation des projets d’aide chinoise à l’Afrique dans le cadre de l’initiative « La Ceinture et la Route ». Dr Nasser Bouchiba a publié plusieurs ouvrages en langue chinoise et a supervisé le développement d’une multitude de programmes éducatifs dédiés aux étudiants chinois.

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