Coronavirus: Sacrifier la fête ou le mouton?

Par Hajar ERRAJI

Vente de charbon de bois et de foins, aiguisement de couteaux ou encore des moutons envahissant les villes en pick-up et en triporteur, des rituels qui meublent le décor de Aid Al Adha. A première vue, l’ambiance semble bien s’installer.

Pour nombre de Marocains, le sacrifice et son sens demeurent ancrés malgré un moral lourdement endolori par la crise sanitaire Covid-19.

A trois jours de la célébration, les pro-Aid se pressent pour les derniers préparatifs, alors que d’autres ne sont pas si impatients que cela d’accueillir cette fête.

« Aid El Adha est sans aucun doute l’une des fêtes religieuses préférées des Marocains. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que chez nous, on l’appelle l’Aïd El Kébir (la grande fête) », souligne Ahmed, un jeune papa qui se perdait dans la nuée des moutons au souk de Hay Nahda à Rabat, reconnaissable de loin grâce à l’odeur animale fétide et les bêlements espacés en bruit de fond.

Le père de famille s’estime heureux que la fête du sacrifice, à forte connotation religieuse et sociale, n’a pas été annulée malgré la période critique que connaît le pays. “Nous avons besoin d’insuffler un peu de joie et de convivialité pour détendre le climat domestique, fortement impacté et attristé par le coronavirus qui nous a mis dans une spirale de peur et d’angoisse”, lance-t-il.

Masque au visage et désinfectant à la main, Ahmed n’hésite pas à faire sourire le mouton qu’il a choisi afin de vérifier ses dents, qui donnent indice sur son âge, tout en passant sa main sur son ventre pour vérifier s’il est réellement gros ou simplement gonflé. “Je tiens à suivre tout le rituel du choix de la bête à son abattage, et à profiter de ces moments en or. La Covid-19 m’a appris à apprécier tous ces petits détails que j’avais tendance à négliger avant dans la foulée du quotidien et du stress”, nous confie ce chef de famille.

Accompagné de sa fille âgée de neuf ans, le jeune homme affirme, tout en gardant un oeil sur sa petite, si excitée et si précipitée de ramener l’animal à la maison, que la “grande fête est avant tout une fête qui fait plaisir aux bambins”.

“Depuis son arrivée à la maison, le mouton est la première chose que Lina va voir en se levant le matin. Elle lui apporte la nourriture, essaie de monter sur son dos, le décore au henné et guette sur des charbons ardents le jour J. Je ne peux pas la priver de cette joie”, poursuit-il avec une gorge serrée qui cache mal une détresse face au contexte épidémique particulier d’un Aid pas aussi festif que d’habitude.

Submergé par la déception et l’inquiétude, Ahmed nous avoue que les rituels et l’ambiance de la fête seront chamboulés à cause de l’épidémie. Pas de repas en familles, pas d’embrassades et surtout pas de prières collectives, regrette-t-il, indiquant qu’il s’inquiète du risque sanitaire et de la manière dont va se dérouler l’opération d’abattage et celle de découpage de la bête.

Dans ce sens, le président de l’Association nationale des bouchers, Mustapha Belfaqih, fait savoir que dans la plupart des familles marocaines, se conformant toujours à la tradition des ancêtres, c’est le chef de la famille qui abat l’animal.

“Il n’y a pas lieu d’avoir des appréhensions ou de s’inquiéter même pour ceux qui font appel aux prestations des bouchers. Les autorités ont tout prévu pour garantir la sécurité des citoyens”, rassure cet ancien chevillard avec un ton serein et confiant.

M.Belfaqih, également trésorier de la Fédération interprofessionnelle des viandes rouges (FIVIAR), explique que les bouchers, qui seront dotés d’autorisations pour pouvoir effectuer les opérations de sacrifice, seront dépistés et se verront accorder le matériel susceptible de garantir le respect des mesures sanitaires en vigueur.

Concernant l’opération de découpage, les bouchers seront mobilisés pour servir les citoyens jusqu’à heure tardive pour éviter tout encombrement ou débordement. Les entrées des boucheries ont été organisées et tracées pour garantir le respect de la distanciation sociale, relève le professionnel, notant que le découpage démarrera dès l’après midi surtout que le mouton ne nécessite que cinq heures pour sécher.

Par ailleurs, plusieurs Marocains ont choisi ou été obligés de sacrifier la fête au lieu de la bête!

Said, maçon à Casablanca et originaire de Kelaa Seraghna, n’a pas pu se rendre chez sa famille faute de moyens logistiques et de transport. “A l’annonce de l’interdiction de déplacement de Casablanca, j’ai éprouvé une grande colère surtout que ma mère n’arrivait pas à concevoir l’Aid sans ma présence. C’était la grande déception!”

Cet ouvrier, aîné de sa famille, a usé de tous les moyens pour pouvoir se déplacer avant minuit, mais en vain. “J’ai du baisser les bras et accepter la situation marquée par un chaos total au niveau de la gare la routière de Casablanca. Déçu, j’ai quitté les lieux, envahi de tristesse”, nous confie-t-il.

En route vers son modeste domicile, le jeune homme reçoit un appel de son père qui l’a réconforté avec “ses propos sages comme d’habitude ».  » Les occasions de faire la fête, de se réunir et même d’égorger un mouton sont nombreuses et peuvent être reportées et compensées dans l’avenir, mais la santé est sacrée. Si on la perd, c’est irrécupérable”, selon les dires du père rapportés par le fils.

En outre, plusieurs autres citoyens, dont le pouvoir d’achat a été profondément impacté par la crise sanitaire, ont également été privés de l’Aid cette année. D’où la naissance de plusieurs initiatives de dons et d’appel à venir célébrer l’Aid au sein d’une famille en faveur des gens privés de rejoindre leurs proches.

“Un Aid d’un goût amer, mais rapidement raffiné et adouci par une grande solidarité entre les différentes composantes de la société”, conclut Said, qui rejoindra finalement la petite famille d’un ami le jour de la Grande fête.

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