Cour des comptes : un rapport accablant mais quelles rétorsions ?

Par Souad Mekkaoui

Comme chaque année, le dieu de la peur panique, Driss Jettou et son «commando», trouvant matière à tancer, ont brandi leur rapport atterrant. Secouant ainsi la terre sous les pieds de plusieurs signataires de mauvaise gouvernance, après des enquêtes minutieuses qui ont révélé des dysfonctionnements à grande échelle causant des pertes colossales au budget de l’État.

De ce fait, dimanche 29 juillet, SM le Roi Mohammed VI a reçu, à Al-Hoceima, le président de la Cour des comptes, à l’occasion de la fête du Trône. Celui-ci a présenté au Souverain le rapport annuel de cette juridiction, au titre des années 2016-2017 et ce, conformément aux dispositions de l’article 148 de la Constitution et l’article 100 de la loi 62.99 formant code des juridictions financières.

700 pages décryptent l’utilisation de l’argent public

 

Constitué de deux volumes comprenant quatorze livres, ce rapport avait été, par la suite, adressé au Chef du gouvernement, au président de la chambre des Représentants et au président de la chambre des Conseillers.
Enseignement, fonction publique, santé, caisse marocaine des retraites, institutions publiques … tout y est passé au crible par l’institution qui s’acquitte de ses devoirs en matière de contrôle des organismes publics et dresse le bilan des missions de contrôle menées au cours des années 2016-2017.

Rappelons que la nouvelle Constitution de 2011, dans l’article 147, érige la Cour des Comptes en « institution supérieure de contrôle des finances publiques du Royaume », dont elle garantit l’indépendance. Les champs d’action englobent la protection des principes et valeurs de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes de l’Etat et des organismes publics. Dans ce sens, une première mission de ce genre avait été réalisée au titre de l’année 2016. Par ailleurs, la Cour des comptes contrôle et assure le suivi des déclarations du patrimoine, audite les comptes des partis politiques et vérifie la régularité des dépenses des opérations électorales.

Un rapport invariable et des dysfonctionnements sempiternels

Présentant ce rapport, Jettou a indiqué que les juridictions financières ont mené 160 missions de contrôle dans le domaine de la gestion, et rendu 2.677 décisions et jugements au sujet des comptes produits par les comptables publics et 215 décisions et jugements disciplinaires dans le domaine du budget et des affaires financières.

Pointant ainsi des irrégularités budgétaires dans différentes institutions publiques et faisant état de plusieurs dysfonctionnements, dans divers secteurs notamment la Santé, l’enseignement, les retraites et les logements sociaux, le présent rapport apporte, toutefois, une nouveauté. C’est qu’il comprend, pour la première fois, une synthèse du contrôle de l’exécution du budget de l’exercice 2016 en se basant sur les informations préliminaires communiquées par le Ministère des finances à la fin du mois de mars 2017.

32 missions de contrôle de la gestion des organismes publics, d’évaluation des programmes publics et du contrôle de l’emploi des fonds publics ont été réalisées par la Cour des comptes. 588 arrêts en matière de vérification et jugement des comptes et 60 arrêts en matière de discipline budgétaire et financière ont été rendus. En même temps, le procureur général du roi près la Cour des comptes a saisi le ministre de la Justice pour 4 affaires de nature à justifier une sanction pénale.

Les juridictions financières ont mené 160 missions de contrôle dans le domaine de la gestion, et rendu 2.677 décisions et jugements au sujet des comptes produits par les comptables publics et 215 décisions et jugements disciplinaires dans le domaine du budget et des affaires financières.

 De leur côté, les Cours régionales des comptes, quant à elles, ont réalisé 128 missions de contrôle de la gestion portant sur des collectivités territo­riales, des établissements publics lo­caux et des sociétés de gestion délé­guée. Ainsi 2.089 arrêts définitifs ont été rendus en matière de vérification et de jugement des comptes et 155 ju­gements en matière de discipline bud­gétaire et financière. Par ailleurs, les juridictions financières ont poursuivi l’opération de réception des déclara­tions obligatoires de patrimoine, en recevant en 2016 et 2017 un total de 67.552 déclarations, dont 61.396 dé­posées auprès des Cours régionales des comptes, portant ainsi le nombre total des déclarations reçues par les juridictions financières depuis 2010 à 222.026.

Tout cela est beau mais qu’en est-il des mesures concrètes prises après les rapports accablants qui se succèdent et se ressemblent ?

Si le séisme politique, qui a entraîné dans le flot certains ministres en rai­son de mauvaise gouvernance, avait redonné confiance au peuple excédé par le laxisme, la frustration est de taille après chaque rapport qui met en évidence les irrégularités et épingle les fauteurs. Sauf que le circuit s’ar­rête là. La sanction n’est jamais de mise et l’épée de Damoclès tombe tou­jours loin. Pourtant dans son commu­niqué du 27 août, la Cour des comptes indique qu’elle « s’efforce par le biais des contrôles exercés à améliorer et rationaliser la gestion publique et promouvoir la culture de la reddition des comptes ».

Une économie qui va moins vite que la mu­sique

 

Il est vrai que la Cour des comptes a enregistré une amélioration des in­dicateurs d’exécution du budget 2017 par rapport à celui de 2016 puisque le déficit budgétaire a atteint en 2017 un taux de 3,5 % du produit intérieur brut contre un taux prévisionnel fixé par la loi de finances pour l’exercice concerné à 3%, au moment où il s’est établi à 4,1% du produit intérieur brut en 2016.

Ce qui confirme la tendance bais­sière du taux du déficit budgétaire qui atteignait en 2012 un taux de 6,8% du produit intérieur brut. Toutefois, la si­tuation financière de l’Etat se trouve fragilisée vu que les finances pu­bliques souffrent encore de certaines contraintes dont notamment la hausse du niveau de la dette publique. Ainsi, la dette publique du trésor a atteint, à la fin de l’exercice 2017, un mon­tant de 692 milliards de dirhams, soit un taux de 64,5% du produit intérieur brut, enregistrant un montant supplé­mentaire de 35 milliards de dirhams en comparaison avec l’année 2016 qui a enregistré, à son tour, une augmenta­tion du niveau de cette dette de l’ordre de 28 milliards de dirhams par rapport à l’exercice 2015. Ceci sans parler du niveau élevé de la dette due à certains établissements publics qui a atteint 32,2 milliards de dirhams en 2017, alors qu’elle ne dépassait pas 15,8 milliards de dirhams en 2012. Sans compter la dette due au secteur privé au titre de la même taxe dont la liquidation a été entreprise par l’Etat, depuis janvier 2018, sur une période de 5 ans, pour un montant global fixé à 10 milliards de Dirhams. A rappeler que la loi de finances 2017 est la deu­xième du genre à être préparée et exé­cutée dans le cadre de la loi organique des finances publiée en 2015, qui a instauré un ensemble de principes et mécanismes susceptibles d’amélio­rer la gestion des finances publiques au Maroc. En revanche, cet objectif reste irréalisable faute d’une véritable gouvernance lors de la mise en oeuvre des programmes publics. De fait, une gestion quotidienne des opérations fi­nancières, basée sur le respect des lois et règlements en vigueur, et sur l’effi­cience et l’efficacité, invoquant l’im­pact sur le service public rendu aux citoyens s’impose.

De son côté, l’Agence marocaine de développement des investissements et des exportations (AMDI) s’est attiré les foudres de la Cour des comptes pour la lenteur du processus décision­nel.

D’où la faible efficacité du dispositif d’aide à la promotion de l’investisse­ment constatée. D’autant plus que la Cour juge que le coût de création d’un poste d’emploi reste élevé et que ces projets créent peu d’emplois par rap­port au montant des investissements engagés.

Pour les exportations, les auteurs du rapport notent que Maroc Export souffre d’ « absence de visibilité stra­tégique dans le domaine du commerce extérieur », ainsi que de « carence au niveau de l’approche retenue en ma­tière de promotion des exportations ».

L’enseignement et la Santé : là où le bât blesse encore et toujours

 

Plusieurs missions de contrôle ont été menées, dont des missions d’éva­luation des résultats du Programme d’urgence de l’éducation et de la for­mation 2009-2012. Faut-il rappeler que l’Etat s’y était engagé avec une enveloppe budgétaire de 43,124 mil­liards de dirhams sans compter les dépenses de fonctionnement ? Sur la base de ce budget, des projets ont été programmés pour des engagements à hauteur de 35,056 MMDH, tandis que la somme des paiements exécutés a atteint 25,165 MMDH. Or d’une part, la Cour a enregistré l’absence chez les administrations concernées d’un bilan global et précis aux niveaux financier et quantitatif, de tous les projets et me­sures de ce programme concernant les réalisations. Et d’autre part, le rapport note que les objectifs fixés par ce pro­gramme n’ont pas été atteints.

Et comme la liste des dysfonction­nements qui caractérisent le système de l’éducation est longue, la Cour fait ressortir que l’enseignement présco­laire n’est toujours pas généralisé, que les internats et l’enseignement secondaire font défaut dans un grand nombre de communes rurales, que la déperdition scolaire est maintenue à des niveaux élevés, que les établis­sements scolaires sont dans une si­tuation précaire et que les besoins du système d’enseignement en ressources humaines ne sont pas pris en considé­ration.

  Si le séisme  politique,  qui a entraîné  dans le flot certains  ministres en raison de mauvaise  gouvernance, avait redonné confiance au peuple excédé par le laxisme,  la frustration est de taille après chaque rapport qui met  en évidence  les irrégularités  et épingle  les fauteurs.

Concernant le secteur de la Santé, les constats relevés par les missions d’audit réalisées dans plusieurs éta­blissements hospitaliers ne diffèrent pas de ceux de l’année dernière. Ce qui revient à dire que rien n’a été fait depuis le rapport de la Cour de l’année dernière. Les anomalies structurelles au niveau de la planification straté­gique inadéquate, de la programma­tion, de la gouvernance hospitalière, de la gestion des services médicaux, de la facturation et du recouvrement des recettes, outre la gestion des médi­caments et des fournitures médicales persistent et ne connaissent aucune amélioration. En outre, le rapport déplore, entre autres, des délais de consultation et d’hospitalisation anor­malement longs, une absence de suivi et de contrôle de l’usage des médica­ments et des dispositifs pharmaceu­tiques au niveau des services hospita­liers. En somme, la Cour des comptes relève dans son rapport que certains centres hospitaliers n’offrent pas l’in­tégralité des prestations devant être assurées selon le décret N°2.06.656 du 13 avril 2007 sur l’organisation hos­pitalière.

La presse et d’autres organes stratégiques épinglés

 

« Le fait d’accorder de l’importance à quelques secteurs qui concernent de près les citoyens et les prestataires n’empêche pas la Cour des comptes de s’intéresser à d’autres organes straté­giques et importants pour le pays », a aussi relevé le président de la Cour des comptes. A ce sujet, d’autres établis­sements comme la CDG et l’OCP ont fait l’objet d’audit.

A cet effet, la Cour a recommandé la révision du cadre juridique et institutionnel régissant la Caisse « de sorte à lui permettre d’être en phase avec les meilleures pratiques en matière de gouvernance et d’appuyer les choix stratégiques à travers des plans réalisables conformément à des agendas bien définis ». En outre, une mission d’audit a été réalisée au niveau du géant des phosphates, le Groupe OCP, qui a porté essentiellement sur les activités liées à l’extraction des phosphates et leur traitement via lavage et flottation, aussi bien qu’à leur transport par train ou pipeline à partir des sites d’extraction vers les unités chimiques pour leur valorisation ou exportation.

Le secteur de la presse n’a pas échappé non plus aux missions d’évaluation qui ont noté qu’il « demeure caractérisé par une situation financièrement fragile », qui se manifeste par « des contraintes liées à des arriérés au titre des impôts (DGI) ou de cotisations de la sécurité sociale (CNSS), du contentieux devant la justice, ainsi qu’à la non-régularité de parution ou même son arrêt ». Comptant, à la fin 2016, quelque 243 titres de presse écrite et 500 sites d’information électronique recensés. Cela en dépit de « l’importance des aides de l’État qui totalisent près de 659 millions DH mobilisés dans le cadre de deux contrats programmes entre 2005 et 2016 ».

Le tourisme, un autre secteur boiteux

Dans le secteur du tourisme, le rapport relève que l’Office national marocain du tourisme (ONMT) a montré ses limites et qu’il « n’a pas réussi suffisamment à explorer d’autres voies pour promouvoir des produits de niche susceptibles de faire bénéficier d’autres destinations, hors Marrakech et Agadir, des retombées des flux touristiques ». Le document met également en lumière les dysfonctionnements du plan Azur, un des piliers de la Vision 2020.
Ainsi, la Cour des comptes constate l’absence de « processus susceptibles d’aider à l’identification des objectifs réalisables, d’allouer des moyens budgétaires et humains et de définir des tâches précises qui incombent à chaque intervenant aussi bien au sein de l’ONMT qu’au niveau des délégations du ministère du Tourisme ».
L’Office nationale des aéroports (ONDA), quant à lui, est taclé pour une insuffisance de la qualité du service offert par les aéroports ou encore un dépassement important des budgets initiaux sans parler du non-respect du schéma directeur planifié par le ministère de l’Equipement et du Transport, planifiant son développement à l’horizon 2030. Surtout que ces investissements engagés dans la réalisation de projets non prévus dans le document d’orientation ont d’autant plus été réalisés aux dépens d’autres projets prévus. En plus, les objectifs du plan Azur restent aussi difficiles à atteindre en termes de capacité litière.

Le social … tout y passe

Sur un autre plan aussi sensible, le rapport alerte sur la gestion de la Caisse marocaine des retraites (CMR) qui est jugée fragile par l’institution, soulignant plusieurs facteurs ayant eu un impact négatif sur l’équilibre du régime des pensions civiles.
Cette caisse, on le sait, gère deux régimes de retraite : le régime des pensions civiles (RPC) et le régime des pensions militaires (RPM). Ainsi, le RPC a connu un déficit technique de 2,68 milliards de dirhams en 2015 et de 4,76 milliards en 2016.
Si la Cour des comptes relève l’importance de la réforme initiée par le gouvernement en 2016, elle souligne, par ailleurs, que « le déséquilibre persistera tant qu’il n’a pas été soumis à un processus de réforme profond ». En outre, on note que la persistance de la problématique de la durabilité des régimes de retraites, et malgré la réforme du régime des pensions civiles, lancée en 2016, le déficit financier de ce régime s’est aggravé.

La Fondation Tanger Med (FTM) pour le développement humain n’a pas été épargnée non plus. La Cour des comptes a mis en évidence des «discordances» au niveau de la gestion financière et comptable ainsi que la gestion de ses activités dans son rapport annuel au titre des années 2016 et 2017. Il a été enregistré donc que si la Fondation reçoit une subvention annuelle pour financer les dépenses des activités réalisées qui se rapportent essentiellement à l’éducation, la formation, la santé, le socioculturel et l’infrastructure, des discordances existent entre les données mentionnées dans les rapports moraux de la Fondation de 2013 à 2015 avec la situation des réalisations produites à la Cour des comptes et les pièces justificatives de paiement.

La corruption ronge le pays et a conduit à la faillite de l’autorité et à l’anarchie.
Aussi faudrait-il oeuvrer pour une refonte des procédures et circuits administratifs pour que le citoyen ne soit plus victime d’abus de pouvoir.

Egalement, la Cour a relevé, dans son rapport, des failles dans la gestion du «Fonds d’appui à la cohésion sociale», institué en vertu de l’article 18 de la loi de finances 2012, en vue de contribuer au financement de programmes d’appui social.

Sur un autre registre, les dispositifs de production du logement social, quant à eux, restent peu cohérents selon la Cour. Deux produits sont analysés par le rapport : le produit à 140.000 dirhams et celui à 250.000 dirhams. Or les réalisations « ne semblent pas à la hauteur des efforts déployés », et ces dispositifs n’ont pas permis d’absorber de manière significative le déficit et le besoin en logements sociaux.

A quand une reddition des comptes ?

Dressant le diagnostic des maux de la gouvernance défaillante, le rapport a pointé du doigt les institutions et secteurs qui ne s’acquittent pas de leur mission comme il se doit. Ce qui donne une image désolante du Maroc et pénalise le développement du pays. Ce sont ces « manquements au devoir » mêmes que Sa Majesté le Roi a qualifiés de « trahison », en insistant pour que, gouvernement, partis et institutions « rendent des comptes » et en menaçant de destitution tout responsable qui faillirait à sa mission.

Alors maintenant que le mal est diagnostiqué encore une fois, ne faut-il pas l’éradiquer ? Ne faut-il pas qu’il y ait des décisions fracassantes pour changer les choses et donner l’exemple ? Le Maroc ne peut plus supporter ceux qui gèrent mal ses affaires et l’enfoncent dans des dettes insurmontables. Déterminer les vraies responsabilités et agir en conséquence s’avère nécessaire.

Pour rappel, lors de son premier discours, le Roi Mohammed VI avait signé une nouvelle page dans l’Histoire du Maroc. Le changement, on le savait irréversible.

« Le nouveau concept d’autorité signifie l’interpellation et l’exigence de reddition des comptes, qui s’opèrent à travers les mécanismes de régulation et de contrôle et l’application de la loi. Pour les élus, cela passe par les élections et la quête de la confiance des citoyens.

Notre concept d’autorité se fonde aussi sur la lutte contre toutes les formes de corruption : dans les élections, l’Administration, la Justice, etc. Le manquement au devoir est aussi une forme de corruption. »

La corruption ronge le pays et a conduit à la faillite de l’autorité et à l’anarchie. Aussi faudrait-il œuvrer pour une refonte des procédures et circuits administratifs pour que le citoyen ne soit plus victime d’abus de pouvoir. Le plus dur reste donc à faire : n’est-il pas encore arrivé le moment des redditions ? Il faut donc que l’exécution suive les décisions et que la justice soit imparable pour tout le monde.

L’absence de répression et le laxisme judiciaire font que dans notre Royaume, habitués à une fin de non-recevoir, ceux qui sont épinglés attendent toujours que l’orage passe avant que le même scénari reprenne

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