Covid-19: « la bonne santé de la population demeure un pilier de la stabilité socio-politique et économique de l’Etat » (PCNS)

Dans une publication de Policy Center for the New South (PCNS), publiée le lundi 20 avril, Salma Daoudi analyse les « Succès et failles des interventions » de cinq pays face à la pandémie du Covid-19.

Bien que les organisations multilatérales se soient multipliées sur le devant de la scène de gouvernance sanitaire mondiale depuis le XXème siècle, le domaine sanitaire relève historiquement de la souveraineté exclusive de l’Etat. S’inscrivant au cœur du contrat social liant l’Etat au peuple, la protection de ce dernier est une responsabilité qu’il incombe au gouvernement d’assumer afin de légitimer et d’asseoir son autorité. En outre, la bonne santé de la population demeure un pilier de la stabilité socio-politique et économique de l’Etat, car nécessaire entre autres à la productivité industrielle et agricole ainsi qu’à la cohésion sociale, déterminante et tributaire du succès politique.

Toutefois, il a été indispensable de déléguer la coordination de politiques sanitaires régionales puis mondiales à des organisations internationales, au fur et à mesure de l’internationalisation de la menace sanitaire, portée par l’intensification des échanges commerciaux, la libre circulation des biens et des personnes, les réseaux internationaux de trafic aérien, l’urbanisation et la dégradation environnementale. En effet, l’interdépendance sous-tendant l’ordre international mondialisé, contribue à la rapide prolifération de maladies infectieuses, accentuant ainsi la vulnérabilité de chaque Etat aux chocs sanitaires internationaux. Il revient cependant toujours à ces derniers de décider de leurs politiques publiques, dans ce domaine particulier ou ceux connexes, et leur participation à tout effort commun n’est que consensuelle. Cette décentralisation de la coopération multilatérale sanitaire est donc souvent mise à rude épreuve, particulièrement quand l’intérêt national prime sur le collectif et incite au repli sur soi. De ce fait, le nouveau coronavirus (COVID-19) constitue une menace quasi-existentielle tant pour les Etats que pour l’ordre international, exacerbant les failles socio-économiques préexistantes et amplifiant les crises de gouvernance de l’un, et remettant en question la durabilité et l’efficacité de l’autre.

En causant la mort de plus de 162 000 personnes sur les 2,3 millions d’infectés, le taux global de létalité du COVID-19 avoisine désormais les 7%. Bien que le taux de létalité du COVID-19 demeure relativement plus faible que celui d’autres maladies infectieuses, telles Ebola, l’agrégation des cas d’infection exerce une pression non-négligeable sur les systèmes de santé et exacerbe les inégalités sanitaires inter- et intra-étatiques. Les taux de létalité diffèrent donc considérablement d’un pays à l’autre, reflétant les capacités de dépistage et de traitement propres à chaque système de santé, ainsi que l’efficacité des politiques de distanciation sociale mises en place par les exécutifs.

Face à la menace sanitaire, sécuritaire, économique et socio-politique que représente le COVID-19, l’État est confronté à un dilemme cornélien : mettre en œuvre des mesures drastiques au risque de suspendre la vie économique et empiéter sur la liberté individuelle, ou prioriser la stabilité économique et politique à court terme au risque que la crise sanitaire s’aggrave et compromette la stabilité à long terme. Selon leurs orientations politiques et capacités sanitaires, les gouvernements ont donc adopté des stratégies assez distinctes, variant d’un pays à l’autre. Cette note esquisse les approches endossées par cinq Etats : Le Maroc, la France, les Etats-Unis, la Corée du Sud et enfin la Chine, dans le but de relever les principaux succès et failles caractérisant la gestion de la pandémie à travers le monde.

Conscients de la tempête qui menace de ravager des années de croissance économique et d’amélioration des conditions de vie alors que le bilan humain de la pandémie s’alourdit partout de façon alarmante, plusieurs pays ont choisi de fermer leurs frontières afin de minimiser tout risque de contagion externe. Ainsi, le Maroc a été l’un des premiers pays à prendre la décision de suspendre ses liaisons maritimes et aériennes, alors même que le nombre de cas au sein du pays ne dépassait pas la dizaine, suivi de peu par la France lors de la fermeture des frontières Schengen annoncée le 16 mars. Le virus ayant cependant déjà filtré les frontières, ces deux pays ont également décidé d’imposer un confinement total à leurs populations afin d’enrayer la progression de la maladie. C’est une approche qui semble avoir porté ses fruits en Italie, dont le nombre de nouveaux cas par jour commence à baisser considérablement, mais dont la facture peut se révéler assez salée, vu les coûts de l’inactivité économique. C’est pourquoi la solidarité renaît comme valeur essentielle à l’instauration d’un confinement strict mais juste à l’égard de ceux qui ne peuvent se permettre de se passer de revenus quotidiens sans en subir les sévices. Ainsi, un élan de solidarité nationale profond caractérise par exemple la gestion de la crise au Maroc. Le gouvernement marocain a doublé les restrictions de déplacement imposées, sévères mais nécessaires, d’initiatives sociales visant à protéger les ménages des répercussions socio-économiques liées à l’interruption de l’activité économique.

De leur côté, la Chine et les Etats-Unis ont plutôt misé sur un confinement partiel, en partie pour tenter de préserver leurs économies respectives et minimiser les dégâts. Les Etats-Unis, victimes d’une progression exponentielle du nombre de cas bien plus marquée que tout autre pays, ont ainsi adopté une politique de confinement décentralisée, excluant la possibilité d’un confinement national généralisé qui paralyserait les chaînes de production et gèlerait l’activité économique. La sévérité des mesures de confinement imposées ou encouragées varie d’un état à l’autre selon la situation épidémiologique régionale, New York étant l’état le plus touché à ce jour. Cependant, subissant les affres du ralentissement économique et la perte de liberté individuelle, plusieurs manifestations se sont organisées à travers les Etats-Unis pour réclamer un retour à la normal le plus rapidement possible, une position que le Président Trump semble également appuyer. En Chine, ce n’est pas tant la résistance populaire qui a influencé la gestion de la pandémie, que la prédisposition de la population à céder quelques libertés au profit de l’intérêt collectif, une prédisposition renforcée par le rôle du crédit social dans l’organisation sociétale du pays, et à donc faire preuve d’une autodiscipline sans pareille. De ce fait, seules les provinces les plus affectées ont été mises en quarantaine pendant près de deux mois, tandis que le reste du pays était tenu de respecter la distanciation sociale tout en vaquant aux occupations professionnelles nécessaires au maintien de l’économie. La province de Hubei, berceau de l’épidémie, a naturellement subi un confinement strict et total dès le 23 janvier, afin d’endiguer le COVID-19, mais aussi de protéger le cœur battant du système économique et politique : Pékin. Or, alors que la Chine s’engage dans un déconfinement progressif, une légère hausse de cas enregistrés signale une possible seconde vague épidémiologique qui pourrait mettre en péril les progrès réalisés et se répandre comme une traînée de poudre au sein du pays.

En revanche, la Corée du Sud, élève modèle de la gestion de la crise sanitaire engendrée par le COVID-19 ayant réussi à stabiliser la progression du nombre de cas et à contrôler le nombre de décès, n’a à ce jour toujours pas fermé ses frontières, se contentant d’imposer des contrôles stricts aux frontières et des quarantaines obligatoires à tous ceux pénétrant le territoire, ni même prescrit de mesures de confinement au sein du pays. En effet, contrairement aux pays cités plus haut, la Corée du Sud a adopté une approche radicalement différente, privilégiant le dépistage de masse et la responsabilisation de la population au confinement. La politique de dépistage massif préconisée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), bien qu’onéreuse et compliquée à implémenter logistiquement, permet de diagnostiquer un plus grand nombre de cas asymptomatiques, de minimiser les risques de contagion, et de se rapprocher du taux réel de létalité. Cela permet également de cibler les personnes à isoler sans pour autant freiner drastiquement l’activité économique du pays. En effet, bien qu’encourageant fortement la distanciation sociale, le gouvernement coréen a préféré s’atteler au strict isolement des cas confirmés ou suspects et à assurer leur traçabilité via une mobilisation d’outils numériques sans précédent. Ce recours aux technologies de traçage numérique, que l’on retrouve également en Chine, a permis à la Corée de consolider une base de donnée permettant de remonter l’historique de contacts des cas avérés, afin de localiser les cas suspects et communiquer à la population tout risque potentiel de contamination environnant. Le succès relatif de cette entreprise a certes bien du mal à être répliqué ailleurs, l’Occident faisant preuve d’un attachement historiquement plus profond aux libertés civiles et au respect de la vie privée, mais commence à gagner de plus en plus d’attrait face à la résilience du virus.

En opposant des modèles politiques, économiques, sociaux et sanitaires distincts, le COVID-19 ravive de vieilles compétitions interétatiques. La Corée du Sud est souvent citée comme un modèle démocratique de lutte efficace, mais l’exploitation et le partage de données suscitent des interrogations sur le respect de la vie privée, ouvrant un nouveau débat sur l’éternel dilemme opposant liberté et sécurité. Le succès relatif de la Chine semble légitimer également le régime et ses dispositifs de surveillance, particulièrement au vu des difficultés auxquels les autres font face, y compris le gouvernement américain. En effet, nouvel épicentre du coronavirus, les Etats-Unis se retirent progressivement de leur rôle traditionnel de leadership afin de gérer tout d’abord la crise nationale sous laquelle croule le système sanitaire. La réponse tardive et fragmentée a tout de même suscité de vives critiques de la part de la population, souffrant de la hausse historique de chômage et de mortalité, et constituera indéniablement le point focal de la prochaine élection présidentielle. Ce repli sur soi, cet isolationnisme de plus en plus marqué, représente une fenêtre d’opportunité pour la Chine, s’érigeant en force victorieuse disposée à apporter de l’aide médicale et humanitaire aux pays affectés, et promouvant le capitalisme d’Etat comme porte de sortie de cette crise. En effet, la capacité de mobilisation du tissu industriel en Chine et de la réorientation de production pour subvenir aux besoins du marché internes en matière d’équipements médicaux et de masques, a non seulement permis à la Chine de mieux s’organiser face au COVID-19, mais également de s’imposer comme nouvel force de diplomatie sanitaire. Alors que les gouvernements luttent pour assurer leur approvisionnement en masques et kits de dépistage, la production de ces commodités, aujourd’hui dites « vitales », constitue en soi un avantage non-négligeable. Ainsi, l’industrie marocaine s’est adapté afin de généraliser le port de masque, encouragé par la communauté scientifique et désormais obligatoire au sein du Royaume, en reconvertissant plusieurs usines à la confection de masques, et ce dans le but d’atteindre une production de 5 millions d’unités par jour. La subvention du prix des masques, à 80 centimes l’unité, et le soutien financier de l’Etat accordé aux entreprises investissant dans cette production, permettent au plus grand nombre de marocains de disposer de cette protection indispensable pour compléter les autres mesures de distanciation sociale et préparer le déconfinement. Cela permet aussi au Maroc de s’extirper de la « guerre de masques » que se livrent plusieurs grandes et moyennes puissances. Cette dispute des masques démontre en effet la vulnérabilité des Etats qui dépendent de l’importation pour satisfaire la demande du secteur de la santé, et interroge sur le concept de souveraineté sanitaire, soit la capacité de l’Etat à ériger un système de santé autonome, approvisionné par des chaînes de productions sous son propre contrôle.

Cette compétition qu’attise la pandémie interroge également sur la résilience des organisations internationales et leur capacité à mobiliser l’effort collectif afin de coordonner une réponse multilatérale face à la crise. Prise entre deux feux, l’OMS a subi de plein fouet le revers de la politisation de la pandémie, menacée de perdre plus de 15% de son budget après le gel des contributions américaines annoncé le 16 avril. De plus, l’OMS doit mener une bataille sur deux fronts, en combattant en même temps « l’infodémie », soit l’amas de fausses informations noyant la vérité, qui accompagne la pandémie. La guerre de désinformation engagée entre l’Occident et la Chine, remettant entre autres en cause la transparence de cette dernière dans la gestion de la crise, enraye les mécanismes de coopération multilatérale, malgré plusieurs actes de solidarité enregistrés. La révision à la hausse des nombres de décès et d’infections à Wuhan, en Chine, le 17 avril, indique toutefois que l’épidémie au sein de l’épicentre pourrait se révéler encore plus meurtrière, insidieuse et répandue que ce que révélait les données initiales collectées. Cela confronte donc le régime chinois à un choix particulièrement épineux : continuer à offrir de l’aide médicale aux autres pays au détriment de sa propre nation, ou renoncer à combler le vide laissé par l’hégémon américain pour panser ses propres plaies.

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