Crise migratoire: Le retour des murs et le forcing de la «jungle»

L a crise migratoire montre le morcellement de l’Europe dans la gestion des flux importants de migrants que nous n’avions plus vus depuis la deuxième Guerre Mondiale. En France, le Ministre de l’Intérieur s’est expliqué davantage devant l’Assemblée Nationale sur les conséquences de ce phénomène en Hexagone et en Europe, tandis que le ministre de l’Economie Macron menace les Britanniques laissant entendre, le 2 mars dernier, au Financial Times que si le Royaume-Uni quittait l’Europe, la France laisserait passer les migrants de Calais au côté britannique. Le bras de fer qui a commencé entre l’Italie et les autres Etats au sujet des quotas – chaque pays de l’Union devant prendre une partie des arrivants sur les côtes italiennes – se prolonge outre-Manche, perçue comme la destination finale des candidats à l’asile. L’Europe affronte une nouvelle épreuve. Elle n’arrive pas à trouver de réponses décentes à la crise migratoire. Les Etats de l’Union avancent des solutions sécuritaires improvisées et repoussent les mouvements migratoires en fermant leurs portes. D’autres pays ont déjà emboîé le pas à la Hongrie, la Pologne, la Croatie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie ou encore l’Autriche. Les ONG déplorent l’absence d’une politique migratoire commune qui laisse malheureusement le champ libre aux discours de l’extrême droite. Amnesty International dénonce, dans son dernier rapport, la gestion désastreuse des flux migratoires: « L’UE qui compte plus de 500 millions d’habitants et constitue l’ensemble politique le plus riche de la planète s’est singulièrement montrée incapable d’apporter une réponse cohérente, humaine et respectueuse des droits humains ». En 2015, plus d’un million de migrants ont risqué leur vie pour se réfugier sur les rives européennes. Ainsi 120.000 personnes ont accosté en Grèce ou en Italie. Ces deux pays sont les plus touchés par l’arrivée des migrants après la Turquie. Le phénomène était observable depuis des années déjà. Néanmoins, l’état d’alerte a été sonné après l’installation de crises généralisées dans les pays concernés dont, entre autres, le Soudan, la Libye, la Syrie et l’Erythrée – tous secoués par des guerres civiles, transformant la vie de centaines de milliers d’habitants en tragédies. Ceux qui ravivent les rivalités ethniques, rallument les conflits communautaires et soutiennent l’hégémonie des antagonistes et les chefs de guerre au sein de ses Etats devraient assumer leur choix… L’amère odyssée des migrants se poursuit chaque jour. Chaque semaine, des dizaines d’embarcations transportant chacune des dizaines voire des centaines de personnes, se dirigent vers les rives nord de la Méditerranée, qu’elles atteignent… du moins pour certaines.

Les côtes touristiques sont aujourd’hui devenues un véritable « cimetière marin». Les migrants qui fuient les guerres et la misère se heurtent à des pays aux politiques tiraillées entre le devoir humanitaire et l’approche sécuritaire. Les Etats frontaliers comme la Grèce, l’Italie et la Turquie, sont appelés à jouer un nouveau rôle dans la gestion et le filtrage des flux migratoires. Mais, combien sont ces migrants ? Comment peut-on connaître leur nombre ? Qui des pays accueillent plus que les autres ?

En 2015, plus d’un million de migrants ont risqué leur vie pour se réfugier sur les rives européennes. Ainsi 120.000 personnes ont accosté en Grèce ou en Italie. Ces deux pays sont les plus touchés par l’arrivée des migrants après la Turquie.

Plan migrant

Des centaines de candidats à l’asile arrivent chaque mois à Calais… alors que l’Etat a déjà entamé le démantèlement progressif du camp des futurs réfugiés. Le choix leur est donné entre être hébergés dans les centres d’accueil provisoires – des conteneurs chauffés inaugurés en janvier dernier – ou se rendre dans l’un des CAO (centres d’accueil et d’orientation) dispatchés sur l’ensemble du territoire et qui pour certains ne sont ouverts que temporairement (3 mois) alors que l’accompagnement social et médical des migrants demanderait des dispositifs plus conséquents et au moins sur du moyen terme. La solution apportée par Manuel Valls en août 2015, qui consistait à héberger provisoirement 1500 personnes fin 2015 (dont 300 aujourd’hui disponibles) n’a pas eu le succès escompté. Les conteneurs ont été installés dans une zone sécurisée, en janvier dernier et n’attirent pas les sans-logis, qui voient ce camp comme un lieu de privation de liberté. Les ONG jugent les conditions inhumaines et où l’intimité n’est pas respectée. Sous couvert de montrer la volonté d’une prise en charge adaptée à chacun, l’Etat est intervenu dans le but de désengorger Calais en éloignant les migrants. Cette action est appelée « Plan Migrants », plan qui comme son nom ne l’indique pas, a été fait dans l’urgence. Cela ne fait que déplacer le problème ailleurs. Certains migrants se sont portés volontaires car il leur aurait été dit que leur demande d’asile serait traitée plus rapidement ou que leur statut Dublin serait annulé (réglementation qui impose à l’individu de faire sa demande d’asile dans le premier pays européen où il a posé le pied). Les personnes sont acheminées par car ou par avion vers des villes de province, et pour certains dans des lieux très reculés. Si certains se retrouvent dans ces solutions, d’autres sont déjà retournés à Calais ou se sont retrouvés en centre de rétention et leur expulsion a été demandée, alors même qu’ils n’ont pas encore entamé la procédure de demande d’asile. Ainsi 20% des personnes orientées vers un CAO sortent du système sans donner de nouvelles. A savoir aussi qu’alors que l’Etat se couvre de ne vouloir faire le tri parmi les candidats à l’asile, il a été clairement défini par l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides) que la priorité serait d’accueillir les syriens, les irakiens et les érythréens. Ethiopiens, afghans et soudanais passant après…

L’impasse de Calais

Pour ceux qui rêvent du Royaume-Uni, la frontière se situe dans la sous-préfecture du Pas-de-Calais. Une ville de passage paisible qui s’est transformée en forteresse encerclée de barbelés et gardée par environ 2000 policiers. On parle ici de femmes, d’enfants et d’hommes livrés au froid, à la faim et à la survie… Calais est devenue synonyme de honte en raison des conditions de vie déplorables qui y sont observées. Et la situation perdure depuis juin dernier. Sachant que les températures hivernales basses rendent la survie de plus en plus difficile. Cette ville s’est convertie en une véritable impasse. Il y a toutefois certains candidats qui arrivent à pénétrer le tunnel et à passer outre-Manche comme Taher. Originaire du Soudan, il est arrivé des côtes libyennes en bateau avant d’échouer avec d’autres candidats à l’asile sur une île italienne qui jouxte Lampedusa. « Je suis en Angleterre depuis le mois de juillet. Une association qui propose l’accompagnement juridique et administratif suit mon dossier de demandeur d’asile », souligne-t-il avant que nous lui demandions de raconter la partie française de son long voyage : « le plus dur est derrière moi. J’ai toujours une pensée triste pour ceux qui sont encore à Calais surtout avec ce froid glacial. Je suis toujours en contact avec des personnes que j’ai rencontrées en Italie et qui sont encore coincées là- bas. Nous sommes arrivés en France via l’Italie, en plein été. Il faisait très beau, nous avons installé un camp de fortune à la frontière franco-italienne à Vintimille à l’aide des militants d’un collectif qui s’appelle No Borders. A Calais, la situation était plus dure. Nous étions plus nombreux, sans cuisine, sans douche et sans dortoir. Ces conditions ont accéléré mon départ. J’ai appris que le nombre ne cessait d’augmenter depuis. Au début, nous étions environ 1500. Quelques mois après mon départ, le nombre a doublé ». Effectivement, le chiffre est passé à plus de 5000 personnes à Calais selon les dernières données de ce mois de février. Mais personne ne sait exactement. Depuis, une solidarité locale et une présence humanitaire se sont mises en place. Notamment, la présence, entre autres, de la Croix Rouge et de Médecins du Monde qui apportent des soins et essayent de réconforter les « locataires passagers ». Les riverains amènent des vêtements et des couvertures, vu la rudesse de l’hiver. A l’heure de l’écriture de ces lignes, six migrants sont jugés à Boulogne-sur-Mer pour être montés en janvier sur un ferry dans le port de Calais en forçant un barrage. La France durcit son attitude et les mesures apportées inquiètent les réfugiés. Ce problème humanitaire n’échappe pas par ailleurs à la surenchère politique que ce soit en France ou au Royaume Uni. Les déclarations et les contre-déclarations fusent de partout à l’image du duel entre le maire de Londres Boris Johnson et le chef du gouvernement David Cameron. Les propos de Macron pour dissuader la Grande-Bretagne de quitter l’UE ressemblent à du chantage. Cette mise en garde dépréciée outre-Manche vise à rompre les accords entre la Grande-Bretagne et la France au sujet du contrôle frontalier, signés en 2003 par Nicolas Sarkozy quand il était ministre de l’Intérieur, afin d’endiguer le passage des migrants clandestins qui tentent de passer par l’Eurotunnel.

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