Débat à l’Académie du Royaume sur la question de la littérature en tant qu’accélérateur d’innovation

La littérature en tant qu’accélérateur d’innovation a été au cœur d’une conférence-débat initiée mercredi soir à Rabat par l’Académie du Royaume du Maroc, donnant lieu à des réflexions sur la place de la littérature et ce qu’elle représente de nos jours, avec un accent sur les inventions littéraires et esthétiques dans la littérature française moderne et contemporaine.

Organisée dans le cadre du cycle de conférences « Collège de France au Maroc », en partenariat avec l’Institut français du Maroc, la conférence a été animée par le professeur Antoine Compagnon, membre du Collège de France de Paris, qui s’est penché sur la relation entre la littérature et la modernité dans un monde en plein changement qui vit au rythme de la globalisation et de la révolution numérique, ainsi que sur le principe d’un « développement irréversible » de la littérature, notant qu’elle est un facteur de conservatisme dans ce monde moderne.

M. Compagnon, également titulaire de la chaire de littérature française moderne et contemporaine au Collège de France, a mis en lumière la question liée à l’innovation dans la littérature en soulignant qu’au cours du 19ème et du 20ème siècles, la littérature française et généralement celle européenne et occidentale ont pu ressembler par leur fonctionnement à la technique, autrement dit l’équivalent du progrès technique en littérature.

Il a cité à cet égard les inventions romanesques de l’écrivain, essayiste et poète Edouard Dujardin, connu surtout pour son roman « Les lauriers sont coupés » (1887), où il emploie pour la première fois le « monologue intérieur », mais aussi la théorie du poème en prose de Charles Baudelaire au milieu du 19ème siècle.

En outre, l’éminent professeur a relevé que Baudelaire a un rôle essentiel dans la critique artistique, en sens qu’il a inventé de nouvelles catégories esthétiques. Il esquisse les traits qui vont caractériser la modernité, à savoir l’esthétique de l’abstrait, de l’insaisissable et de la sensation.

Il a, en outre, évoqué l’exemple de l’écrivaine française, Nathalie Sarraute qui affirmait en 1964 que « la littérature m’apparait comme une course de relais. Chacun prend le témoin des mains d’un écrivain qui l’a précédé. Il n’est pas possible de revenir en arrière, ni même de rester sur place ».

Par ailleurs, a noté le conférencier, les livres numériques ont commencé à affluer sur le marché et représentent aux États-Unis moins de 20 % du chiffre d’affaires de l’édition, contre 7,6% en France et seulement 4,2 % pour la littérature.

→ Lire aussi : L’influence croisée entre littératures du Maghreb et de l’Orient arabe

Le seul domaine où le chiffre d’affaires de l’édition a progressé est celui du livre professionnel, à savoir les livres de médecine et du droit, avec une hausse d’environ 50 %, a-t-il fait observer, tout en constatant que le livre numérique n’a pas remplacé le livre papier, mais il le complète. Un livre papier a une odeur, une texture, aide à la mémorisation et peut se prêter et s’offrir, a-t-il expliqué.

Le secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume du Maroc, Abdeljalil Lahjomri, a de son côté indiqué que la conférence d’aujourd’hui aborde la question du progrès et de la modernité, la place de la littérature voire de la créativité littéraire et artistique en général, vu la révolution numérique et les avancées technologiques dans tous les domaines, y compris les perspectives de la production littéraire et artistique dans ses différentes facettes.

M. Lahjomri a également souligné que la littérature est un puissant accélérateur d’innovation, mais aussi un puissant remède pour échapper aux méfaits de l’accélération du changement du rythme du changement lui-même. Sous cet angle, il a fait remarquer qu’il n y a pas un conservatisme dans la littérature et que celle-ci ne peut vivre sans lecture.

Un cycle de conférences a été mis en place en 2018-2019 dans le cadre des initiatives de l’Académie du Royaume du Maroc et du Collège de France au Maroc en faveur du rayonnement de la pensée scientifique, de la promotion du débat d’idées, du dialogue entre les cultures et de la recherche de haut niveau. Il est en effet question de faire intervenir des professeurs et chercheurs du Collège de France, d’origines et disciplines différentes, avec pour objectif d’examiner l’état des processus de modernisation dans les différents champs de la société comme dans les diverses aires culturelles.

Professeur et historien de la littérature française né en 1950 à Bruxelles, Antoine Compagnon a enseigné à la Sorbonne et à l’université Columbia de New York. Il est depuis 2006 professeur titulaire au Collège de France de la chaire de « Littérature française moderne et contemporaine : histoire, critique, théorie ».

Ce spécialiste reconnu de Montaigne, Baudelaire et Proust a su faire rayonner l’étude de la littérature bien au-delà de l’université et de la critique: le cours du Collège de France consacré en 2011 à « l’année 1966 » offre un moment phare de la pensée et de la culture française.

Il a écrit une série d’ouvrages comme « La Troisième République des lettres (1983) », « Proust entre deux siècles (1988) « , « Les Cinq Paradoxes de la modernité 1990 » et « les Anti-modernes, de Joseph de Maistre à Roland Barthes (2005) ». Son plus récent ouvrage est « les Chiffonniers de Paris’’, édité par Gallimard en 2017.

Cette conférence a été marquée par la présence notamment de plusieurs personnalités, dont des membres de l’Académie du Royaume du Maroc, ainsi qu’une pléiade d’universitaires marocains et étrangers, historiens et étudiants doctorants.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page