Diffamation vs liberté d’expression : Serions-nous confondus ?

On ne le sait que trop bien, les réseaux sociaux ne cessent de changer, à chaque fois, de paradigmes liés à la liberté d’expression, laissant place à l’idée que le périmètre de la libre expression est illimité même quand cela porte atteinte aux autres y compris l’Etat. Au Maroc, plusieurs jeunes ont été arrêtés pour « abus » de ladite liberté. De leur côté, les militants des droits de l’Homme pointent du doigt la justice, pour « durcissement de ton ».

Pas moins d’une douzaine de condamnations ont ponctué ces derniers mois. Pour cause: des publications sur YouTube, Facebook ou Twitter. La situation entraîne, bien évidemment, un climat de crispation sociale et suscite indignation et colère auprès des politiques, journalistes et militants des droits de l’Homme. Certains d’entre eux considèrent qu’il s’agit d’une campagne de «répression » et réclament «la libération immédiate » de tous ces détenus, d’autres parlent de « durcissement » de juridiction.

Certes la liberté d’expression est avant tout un droit garanti par la Constitution, mais doit-on, aujourd’hui, comprendre qu’il y a des limites à ne pas dépasser et doit-on aussi en abuser ?

Pour Maître Omar Bendjelloun, docteur en droit international, avocat international expert en droits de l’Homme, il s’agit de « l’éternel débat d’ajustement entre la liberté et l’ordre qui se concrétise par une hybridité normative de l’intérieur de l’ordonnancement juridique. Si les premières dispositions de la Constitution sont intraitables sur la liberté d’expression, les lois pénales, numériques, d’éditions ou de données personnelles exposent les citoyens à des risques de punitions. La notion de justice est normalement une articulation des différentes lois pour triompher à l’esprit constitutionnel qui est garant des libertés publiques ».

Rappelons que la dernière arrestation en date, pour publication sur les réseaux sociaux, est celle d’Abdelali Bahmad, dit Ghassan Bouda, condamné à deux ans de prison ferme, assortie d’une amende de 10.000 dirhams pour «outrage à l’emblème et aux symboles du royaume» (article 276-1 du Code pénal), par le tribunal de première instance de Khénifra.

En outre, une vingtaine de détenus d’opinion auraient été dénombrés, depuis le début de 2019. Un chiffre que Me Bendjelloun considère comme  « une interprétation restrictive des textes ».

« La régulation en la matière dépend de la politique pénale et du pouvoir discrétionnaire de la justice qui, vraisemblablement, a fait le choix d’une interprétation restrictive des textes et une application orthodoxe et légaliste de la norme » souligne-t-il.

Me Bendjelloun, avocat du journaliste Omar Radi qui est poursuivi en justice pour « outrage à magistrat » affirme que « l’application de la loi dépend de son esprit, et les institutions pénales dépendent de la politique pénale. Aux USA ou en France les mêmes lois existent, elles sont parfois en contradictions avec les amendements constitutionnels, mais la jurisprudence ne prononcera en aucun cas, sauf en cas d’extrême gravité et de danger avéré, des peines privatives de libertés. Les jurisprudence « Guaino » ou « NTM » en France sont dans ce sens éloquentes ».

Interrogé sur la raison de son engagement dans les procès liés à la liberté d’opinion, cet expert en droits de l’Homme nous confie que « c’est un engagement relatif au Serment d’Avocat et à la mission universelle de la profession.  Il y a aussi un déterminisme de tradition familiale vu que mon père et mon oncle, paix à leur âme, étaient des avocats des libertés publiques et eux-mêmes poursuivis pour délits d’opinion à la seconde moitié du 20e siècle ».

Et d’ajouter que « c’est enfin l’expression d’une conviction démocratique que je tente d’imposer sur le front judiciaire qui se doit d’être le défenseur de l’esprit constitutionnel qui, lui, est au service de la liberté d’expression ».

« Toute vérité n’est pas bonne à dire », nouveau paradigme des réseaux sociaux au Maroc  

«2020 : Un Maroc sans procès politiques ni détenus d’opinion», c’est l’intitulé d’un manifeste que plusieurs acteurs de la société civile ont lancé sur la toile, samedi 11 janvier, pour réclamer la libération des détenus d’opinion. Leur mot d’ordre : freekoulchi. Ces associatifs jugent le traitement de ces affaires comme étant « une attaque flagrante à la première génération des droits humains ».

Salah Elouadie, Président du Mouvement Damir, pour sa part, pointe du doigt la responsabilité de « l’appareil judiciaire » dans la tournure que les procès liés aux questions de liberté d’opinion ont prise, et appelle les législateurs à adapter l’arsenal juridique à l’évolution de la dynamique sociale, tout en mettant en premier plan le respect des droits de l’Homme.

« On a le sentiment, ces derniers temps, que la main de la justice est un peu lourde concernant un certain nombre de cas », dénote-t-il.

Dans le même registre, ce militant des droits de l’Homme explique que la situation actuelle serait une conséquence du fait que « les jeunes générations, qui ont accès aux réseaux sociaux, n’ont pas encore accumulé l’expérience nécessaire pour pouvoir distinguer la diffamation de la liberté d’expression ».

Soucieux du respect des droits de l’Homme et de la promotion de ces droits, Salah Elaoudie appelle également à la prise en compte du facteur d’âge dans cette nouvelle situation.

A-t-on la « légalité » de tout dire sur les réseaux sociaux ?

Pour maître Bendjelloun, « Il est vrai que dans l’absolu « toute vérité n’est pas bonne à dire ». Mais la réprimande morale du procès ainsi que le dommage matériel et moral en matière civile sont suffisants, et surtout prévus par la loi, à réguler l’espace d’expression. La peine privative de liberté est un châtiment très grave qui se doit d’être réservé aux crimes et délits de droit commun ».

De son côté, le Président du Mouvement Damir trouve que « les réseaux sociaux permettent une certaine marge de liberté d’expression, mais aussi des dérapages. On doit faire le distinguo entre les deux ».

Il poursuit : « S’il n’y a pas une reprise en main dans le sens du respect des droits de l’Homme, on risque vraiment des dérapages qui toucheraient tous nos acquis que nous avons accumulés pendant des années et des décennies ». 

Toutefois, il faut rappeler que trop de liberté tue la liberté. L’anarchie est mère de désordre. Aussi doit-on réhabiliter l’ordre et pourquoi pas former les jeunes à l’utilisation des réseaux sociaux.

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