Diplomatie : Quand la Chine s’éveille…

Par Ahmed FAOUZI*

Il y a des pays qui ont une profondeur historique à travers laquelle ils se définissent. Il y a des pays qui ont des invariables géopolitiques et une certaine épaisseur civilisationnelle pour s’imposer sur la scène internationale. La Chine est de ceux-là, et a dans ses gênes l’ambition de renouer avec son passé en s’imposant comme une des grandes puissances des temps modernes.

La civilisation chinoise a connu des hauts et des bas à travers son histoire. Des cycles impériaux grandioses interrompus par des parenthèses de chaos et de désordre. Le pays est un continent, avec 23000 km de frontières terrestres donnant sur 14 pays, sans compter les frontières maritimes qui rapprochent, et opposent à la fois, la Chine au Japon, Corée du sud, Philippines, Brunei, Malaisie, Indonésie, et Singapour. Elle compte au total 22 pays voisins. Le pays reste donc obsédé par ses frontières, d’où la construction de la grande muraille. Face aux impérialismes, et en l’espace d’un siècle, il a perdu une portion non négligeable de son territoire.

En raison de ses richesses, l’empire du milieu, comme les Chinois aiment l’appeler, attisa l’appétit des colons et des conquérants. Au 19e siècle l’humiliation est terrible. Le pays est dépecé de toutes parts et tomba sous la coupe des puissances européennes, Russie, Grande-Bretagne, France, et Allemagne, sans compter le Japon en Asie. Des guerres de l’opium dès 1840 à la victoire finale des communistes en 1949, sous l’égide de Mao Tse Toung, la Chine sort meurtrie et affaiblie. Elle veut reprendre tout simplement sa revanche et le rang qui lui sied dans le concert des nations.

Mais le pays fait face à la famine et à des problèmes frontaliers avec presque tous ses voisins.  Mao imposa le modèle communiste en suivant les pas de l’expérience soviétique. A la place de Tienanmen, ses portraits côtoyaient ceux de Lénine et Staline. Quelques années avant sa mort en 1976, il prend conscience des effets néfastes de la révolution culturelle initiée en 1966. L’ouverture du pays sur l’extérieur fut amorcée par d’adhésion à l’ONU en 1971, puis par la visite historique, l’année d’après, du Président américain, Richard Nixon.

La diplomatie l’emporte sur la force

C’est sous le Président Deng Xiao ping, 1978-1989, que la diplomatie du pays commence à s’ouvrir, prudemment, sur le monde, et plus particulièrement sur les pays occidentaux longtemps combattus. Cette orientation fut confirmée sous Hu Jintao, 2003-2013, puis renforcée, depuis 2013, sous la présidence actuelle de Xi Jimping. Elle prône l’instauration des relations extérieures stables, la réduction des tensions avec les voisins, et une coopération à pieds d’égalité avec les autres puissances.

Le parti communiste chinois a compris que, pour la pérennité du système, il fallait accélérer l’ancrage du pays dans l’économie internationale. L’effondrement du bloc socialiste, dans les années 90, accélèrera cette prise de conscience pour que la Chine rejoigne, en 2001, l’Organisation mondiale du Commerce. Ce processus de modernisation, sans précédent dans l’histoire du pays, visait à crédibiliser son statut de grande puissance internationale.

Pour ce faire, le gouvernement chinois n’exhibe pas sa force sur la scène internationale pour s’imposer. L’objectif de sa diplomatie est d’éviter les conflits avec les autres nations et de toujours proposer des solutions gagnant/gagnant quand il est en face d’une adversité. La Chine a appris, à travers son histoire, à modérer son discours diplomatique en direction de l’extérieur. Elle ne parle plus de pays impérialistes ou d’ennemis antirévolutionnaires, comme au temps de Mao, mais plutôt de partenaires internationaux. Le langage est devenu plus policé et la rhétorique s’est émoussée avec le temps.

Sa diplomatie a compris qu’elle n’a aucun intérêt à remettre en cause l’ordre mondial établi sous la houlette des États-Unis. Elle sait que « son heure » n’est pas encore arrivée, et ne cherche pas, par conséquent, à imposer son agenda et sa propre vision. C’est pour cela que sa politique extérieure tourne autour des axes qui ne peuvent prêter à confusion : respect mutuel, non-ingérence, non-agression, avantages mutuels et coexistence pacifique.

Cette politique est visible dans le comportement adopté par la Chine au sein des Nations unies. Le pays utilise rarement le droit de véto et ne se pose pas aux interventions internationales de l’ONU. Elle y participe même activement par la présence de ses troupes dans les opérations des casques bleus à Haïti, au Liberia ou au Liban. Pour Pékin, toute intervention internationale doit cependant être approuvée par le Conseil de Sécurité et être acceptée par le pays concerné. Elle est cependant réticente à l’utilisation des sanctions économiques qui ne font qu’aggraver les conditions des populations civiles.

Cette diplomatie voulue paisible est, pour Pékin, le meilleur moyen de garder des relations internationales stables pour mieux servir la Communauté internationale. En réalité, la paix lui permet d’accéder plus facilement aux marchés extérieurs aussi bien pour ses exportations que pour ses besoins en matières premières dont son économie a besoin. Tant que la force militaire n’est pas exhibée, les autres puissances ne peuvent qu’acquiescer aux échanges économiques dont dépend l’économie chinoise.

États-Unis / Chine, les adversaires redoutables

Mais cette démarche a ses limites. La Chine est consciente que son adversaire redoutable reste les États-Unis. L’inverse est aussi vrai. Alors elle cherche d’abord à asseoir et consolider son influence en Asie. Sa diplomatie se déploie parallèlement en direction des autres puissances internationales pour empêcher la constitution d’un front commun contre elle. Ainsi, Pékin renforce sa coopération avec des pays-relais, comme le Brésil ou l’Iran, pour contrebalancer le poids de Washington. Cependant certains pays ne sont pas inclus dans cette démarche comme l’Inde et le Japon jugés trop proches des États-Unis.

Pour tisser sa toile sur l’économie mondiale, la Chine s’est octroyée les moyens de sa politique. Ainsi a-t-elle instauré, en 2015, une banque asiatique chargée de financer les infrastructures en Asie (AIIB), puis signé en 2013, des accords avec plusieurs pays européens, asiatiques et africains dans le cadre de la nouvelle route de la soie. Programme ambitieux s’il en est et qui n’a pas laissé les autres puissances indifférentes quant à son impact réel sur l’économie internationale. En novembre 2020, la Chine compléta cet arsenal en initiant avec les pays asiatiques et ceux du pacifique, un autre accord stratégique, celui du partenariat régional économique global qui s’étendra de l’Asie au pacifique (RCEP).

Toutes ces actions structurantes de Pékin viennent accompagner la montée en force d’une diplomatie active au sein des institutions des Nations unies. Ainsi la Chine a-t-elle présidé, et préside encore, plusieurs organisations internationales comme l’Organisation de l’agriculture et de l’alimentation (FAO), l’Union Internationale des Télécommunications (UIT), et l’Organisation de l’Aviation civile internationale (OACI). Pour Pékin, ce multilatéralisme actif, ou soft power, doit mener vers une multipolarité qui, seule, pourra garantir la paix et l’équilibre du monde. La découverte d’un vaccin chinois à la pandémie de la Covid-19, partie de Chine, est venue, comme par enchantement, renforcer cette puissance qui pèse déjà sur les grands enjeux géostratégiques de ce siècle.

*Ancien Ambassadeur

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