Disques GAM, dernier disquaire généraliste de Casablanca, n’est plus

Alors que le vinyle, un temps passé de mode, s’offre un retour en grâce et que les disquaires fleurissent un peu partout dans les  grandes métropoles, Casablanca doit faire face à la fermeture de son dernier disquaire suite au décès de son propriétaire. Portrait d’un passionné.

«A ma mort, je voudrais qu’on enterre ma collection de vinyles avec moi», confiait Boujemaa Gam. Le propriétaire des «Disques GAM» était le dernier survivant de l’âge d’or des disquaires Casablancais. Le septuagénaire est décédé derniérement dans la métropole.

Début 2018, en franchissant la porte de la mythique boutique angle boulevard de Paris, le reporter de Maroc Diplomatique était loin de se douter qu’il serait l’une des dernières personnes à avoir l’occasion d’échanger avec son propriétaire. Le magasin de Gam a su garder le charme envoûtant du Casablanca de Bogart et Bergman, tout en bois, respirant le ‘chez-soi’. En le parcourant, notre regard se pose sur un homme d’un âge certain, s’affairant au fond de la boutique. Après l’avoir salué, l’on plonge dans les piles de vinyles poussiéreuses qui s’offre à nous, dont pléthore pendent du plafond, tenues par des ficelles.

Boujemaa partageait sa vision et sa passion de la musique avec ses clients depuis près d’un demi-siècle. «Il avait acquis son magasin pour la modique somme de 60.000 DH au début des années 70. Les trésors qu’il renferme aujourd’hui valent 100 fois plus», nous confie Khalid Wardi, insatiable collectionneur et ami de la famille.

Le disquaire défendait corps et âme le vinyle et croyait fermement en son retour au devant de la scéne, arguant que la fidélité de restitution des galettes ne sera jamais atteinte par le numérique. Malheureusement, il ne saura jamais qu’il avait eu raison de faire de la résistance. Pendant la première moitié de l’année 2015, les ventes de vinyles ont rapporté 221,8 millions de dollars aux USA. Bien plus d’argent que le streaming gratuit, qui comprend pourtant YouTube, Vevo, Deezer et Spotify. Fin 2017, les ventes de CD ont été dépassées par celles des galettes noires au Royaume-Uni. Une tendance de fond, qui risque de bientôt déferler sur le Maroc.

Nous continuons de farfouiller frénétiquement dans les trésors de Disques GAM. Notre regard est attiré par quelques perles. Movement de Isaac Hayes pressé en 1970, What’s Going On de Marvin Gaye (1971) ou encore Breakfast in America de Supertramp (1979). Derriére quelques cartons Kind of Blue de Miles Davis (meilleur album de jazz de tout les temps) et Superfly de Curtis Mayfield sont posés, nonchalamment. À eux deux ces disques sont parmi les plus recherchés au monde et valent leur pesant d’or. Ne  sachant que choisir, nous demandons conseil au propriétaire, qui en profite pour nous narrer son histoire. D’origine berbère, Boujemaa est né dans les années 40, à Wlad Berhil à 40 km de Taroudant, avant d’émigrer à Casablanca avec sa famille à l’âge de six ans. Déscolarisé très tôt par son père, afin qu’il l’assiste dans ses travaux de maçonnerie, il accepte, puis fait volte face. Boujemaa finit par revenir à ses premiers amours que sont la bande dessinée, le cinéma et la musique. Il travaille comme marchand ambulant un temps, met  assez d’argent de côté et s’offre son magasin en 1970. Par contre il n’a jamais été chauffeur de bus comme le prétend la légende urbaine.

Fournisseur de Nass El ghiwane et cie

Véritable institution casablancaise et repère pour les mélomanes, le disquaire importait ses vinyles des Etats-unis afin de garantir a ses clients le meilleur pressage, le 180. «J’ai acquis d’innombrables 33 tours chez lui. De Frank Sinatra a Georges Brassens en passant par Louis Armstrong », révèle Omar Siyed, membre éponyme du groupe Nass El Ghiwane.  « Nous venions aussi écouter avec lui, sans acheter. Sa façon de placer le bras de la platine sur le disque… L’on pouvait voir qu’il y avait quelque chose de spécial. Ce n’était pas un simple vendeur», continue-t-il passionnément.

Les années fastes du disquaire ont indéniablement été les seventies, celles où il participe le plus activement à la construction du patrimoine culturel marocain. Il rencontre, puis produit Nass El ghiwane. Les disques, frappés des armoiries que Boujemaa a choisi, un aigle accompagné des initiales G.B, sont distribués, exportés et connaissent un succès retentissant. Le nom Gam est sur toutes les lèvres. L’on parle d’une maison de disques marocaine «underground». El Mchaheb, Jil Jilala, Naima Samih, Abdou Omari ou encore les Golden Hands s’y bousculeront. Mais contrairement à la légende urbaine encore une fois, «Disques Gam» n’était pas une maison de disques. Ce n’était que la passion dévorante du disquaire qui était contagieuse. «Sa boutique était un laboratoire. Nous venions aussi le consulter pour avoir son avis sur notre musique. Il était spécial, il avait sa façon de faire», nous confie Omar Siyed.

Avant de partir, Boujemaa nous montre une photo en noir et blanc d’un jeune homme avec des Wayfarer et un perfecto en cuir, prise en 1966. «Marlon Brando!», s’esclaffe-t-il. Nous rétorquons qu’il ressemble plus à Clark Gable avec ses traits saisissants mais élégants. Il prend cela comme un compliment et nous nous quittons sur ces bons mots, en lui promettant que nous allions revenir…

«Les héritiers n’ont toujours pas pris de décision quant au sort qui sera réservé à la collection de Boujemaa. Nous consulterons les collectionneurs marocains», confie l’aîné de la fratrie Gam, Houcine.

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