Droit de substitution : le débat « sans fin » entre médecins et pharmaciens

Le droit de substitution a toujours été un point de discorde entre les médecins et les pharmaciens. Il aurait suffi que le groupe parlementaire de l’Istiqlal émette une proposition de loi, concédant au pharmacien d’officine ce droit, pour que les tensions entre les deux professions soient de nouveau ravivées.

Ce droit, longtemps réclamé par les pharmaciens au Maroc, depuis 2013, désigne la possibilité qu’ils ont de délivrer un médicament générique au patient à la place du médicament prescrit par le médecin. Dans ce sens, le projet d’amendement de l’article 29 de la loi 17.04 émis par les députés du parti de l’Istiqlal, le 11 mai, vise à «combler un vide juridique au niveau de la loi 17-04 formant le Code des médicaments». Ce texte a été soumis à la Commission des secteurs productifs à la Chambre des représentants et une réunion sera bientôt programmée pour l’examen de ces dispositions. Le parti de l’Istiqlal ambitionne, ainsi, d’introduire le principe de droit de substitution à travers un amendement au Code des médicaments.

De leur côté, les pharmaciens disent que leur but ultime est de rendre le médicament disponible pour le patient et lui faciliter la tâche, selon docteur Oualid Amri, vice-président de la Fédération nationale des pharmaciens du Maroc, « ce dossier a été déposé sur les bureaux de tous les ministres de la Santé passés, depuis 2013. La substitution en tant qu’acte pharmaceutique, existe un peu partout dans le monde, ce n’est pas quelque chose qu’on va inventer au Maroc, d’autant plus qu’avec le confinement et les ruptures de stock de médicaments, cette question refait surface et se fait importante plus que jamais ».

Pour les patrons des officines, le plus important est de respecter le dosage, de garder la même molécule et de demander l’avis des médecins en cas de pathologie chronique ou d’antécédent médical, mais il ne s’agit nullement d’une substitution systématique.

« Il faut comprendre qu’on ne conteste absolument pas l’autorité du médecin sur l’ordonnance, mais les médecins ne doivent pas non plus contester l’autorité du pharmacien par rapport à l’acte pharmaceutique. Certes les médecins sont des spécialistes du diagnostic et de la prescription, mais, on est aussi des spécialistes des médicaments et de molécules médicamenteuses », explique le président du Syndicat des pharmaciens de Casablanca, qui estime qu’il est temps de se mettre à table avec le département de tutelle et toutes les parties concernées pour discuter de ce dossier et trouver une éventuelle solution, mettant en ligne de mire l’intérêt du patient marocain.

Tandis que le Syndicat National des Médecins du Secteur Libéral (SNMSL) a clairement exprimé, via un communiqué, le 20 mai, son «opposition ferme» à cette proposition de loi, considérée comme «dangereuse pour la santé des citoyens».

S’adressant au président du SNMSL, les pharmaciens ont adressé une lettre ouverte, signée par le vice-président du Conseil des pharmaciens biologistes et membre du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens Ahmed Riany, exprimant leur étonnement quant à la réaction des médecins, tout en considérant que « la profession médicale et la profession pharmaceutique constituent deux activités distinctes, l’une a le monopole de la prescription, l’autre celui de la délivrance des médicaments. Chacune a donc des pouvoirs et des  obligations bien spécifiques susceptibles d’engager sa responsabilité « .

Le document explique ainsi que le pharmacien ne doit pas « se contenter de délivrer des remèdes en reproduisant sur les emballages, la posologie figurant sur l’ordonnance, ce qui est à la portée de tout épicier, sachant lire et écrire, mais tout à fait insuffisant de la part d’un spécialiste de la santé ».

Pour eux, « si le législateur est aussi clair et précis pour la définition du générique, il a laissé le soin au professionnel du médicament à savoir le pharmacien, de le préparer dans les laboratoires, et le dispenser dans les pharmacies. Nul autre  professionnel, n’a le droit de mettre en doute sa compétence ».

En revanche, docteur Badreddine Dassouli, président du SNMSL nous accorde son droit de réponse sur ce sujet, « c’est vrai que la substitution existe dans plusieurs pays, mais n’empêche que l’application de ce droit risque d’engendrer des complications pour le patient. Et puis, sur le plan scientifique et juridique, qui va endosser ce genre de problème? », se demande-t-il, en expliquant que la question de la substitution n’est qu’« un point epsilon dans un système de Santé qu’il faut revoir ».

« Le changement d’un médicament prescrit par un médecin remet en cause la relation médecin-patient, crée un problème quant à l’observance du traitement et la valeur de l’ordonnance tombe aux yeux du patient », c’est ce que nous explique Dr. Dassouli, qui évoque aussi le risque de « l’effet nocebo » suite au changement du médicament, s’agissant d’un décalage entre l’effet bénéfique attendu d’un traitement et l’effet observé : moindre et/ou nocif.

Par ailleurs, une étude réalisée par les représentants des pharmaciens, montre que les médecins ne prescrivent que 20% des médicaments en vente publique, tandis que 80% sont vendus sans ordonnance, avec autorisation. « Plus de 75% des médicaments vendus en pharmacies au Maroc, le sont sans aucune ordonnance médicale, même si l’automédication et le conseil médicamenteux au niveau des pharmacies est une pratique illégale selon la loi marocaine toujours en vigueur », précise le président du SNMSL.

Il poursuit : « il ne faut pas oublier aussi que les médecins sont habitués à avoir le retour des patients sur l’effet des médicaments prescrits, ce qui leur permet d’avoir un mot à dire quant au choix des médicaments».

De leur côté, les médecins se disent ainsi prêts à se mettre à table avec les pharmaciens, mais à condition de discuter de tous les points de discorde, notamment celui de « la délivrance de médicaments sans ordonnance » et « des circuits de vente du médicament », affirme docteur Dassouli.

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