El Bacha : « le Royaume peut faire face à la gouvernance énergétique»

Propos recueillis par Mouhamet NDIONGUE

Géopolitique énergétique, gouvernance, problématiques juridiques, impacts économiques… Rabii El Bacha, Chercheur en Droit des Energies, Président-Fondateur du CDMA Maroc-Allemagne, propose une lecture analytique des enjeux de la question énergétique, non sans oublier celle des investissements, objets de plusieurs enjeux.

  • MAROC DIPLOMATIQUE : Depuis quelque temps, le Maroc se mute dans le domaine des énergies renouvelables. Quelle appréciation faites-vous du modèle marocain, notamment la feuille de route pour l’hydrogène vert à horizon 2050 ?

– Rabii EL BACHA : Il est laborieux de pouvoir apprécier un modèle réglementaire énergétique en particulier étant donné que les impératifs et les mix énergétiques varient d’un pays à un autre : le Royaume ayant privilégié la sécurité de l’approvisionnement à l’essor d’une concurrence « aveugle ». Sur la question de la structuration générale du modèle des énergies renouvelables (« EnR »), l’obligation pour les distributeurs d’intégrer progressivement celles-ci (« enveloppe ») selon un plan décennal (« trajectoire ») n’est pas résolue, depuis la promulgation du Décret n° 2-15-772. En effet, cet accès attend encore un arrêté conjoint du ministre chargé de l’Énergie et du ministre de l’Intérieur. Ainsi, les producteurs d’électricité à partir d’EnR ne peuvent jouir de leur droit de raccordement aux réseaux électriques de MT/BT (réseaux de distribution) comme cela devait être le cas avec l’esprit de la Loi 58-15.

On comptabilise ici plus de 338.757 km de lignes. Et cela d’autant plus que dans le cadre d’un raccordement au réseau MT d’une installation de production d’énergie électrique à partir d’EnR, le dépôt de la demande provisoire prévue à l’article 8 de la loi n°13-09 vaut réservation provisoire de capacité d’injection sur le réseau électrique de MT au sens de l’article 9 du dahir précité. Dans notre droit positif, à chaque fois que le principe cardinal du droit d’accès non discriminatoire ne sera pas appliqué aux réseaux ou une partie « essentielle » des réseaux de distribution, il y aura inégalité des traitements. L’accès aux infrastructures essentielles est un pivot de la libéralisation. C’est à cet effet qu’il faut offrir les clés d’accès à un marché et permettre à nos PME d’accéder aux réseaux de distribution. C’est à notre humble avis, l’une des limites du modèle énergique marocain.

Sur la question de la feuille de route de l’hydrogène vert, celle-ci est extrêmement prometteuse et les objectifs chiffrés escomptés sont réalisables. Le Cluster Maroc Hydrogène veut être force de proposition sur le volet juridique et cela est admirable tout autant que l’avis du Conseil de la concurrence sur le projet de loi gazier émis le 6 janvier mérite d’être salué. Le vrai enjeu au-delà de la codification est de clarifier les principes réglementaires directeurs applicables à l’hydrogène, comme l’a indiqué récemment l’ACER. On pourrait brièvement citer : l’exemption de réglementation pour les réseaux « interentreprises » ou « cluster » qui est juridiquement fondée.

Car là où il n’y a pas de signes de discrimination ou d’abus de pouvoir de marché, il n’est pas nécessaire de soumettre les réseaux à un régime régulé. On citera encore la nécessaire définition pur une terminologie juridique de l’hydrogène et de son réseau autonome (« réseau d’hydrogène pur »), ou encore les cas d’espèces édictant le cas d’injection d’hydrogène vert dans les réseaux de transport gazier… L’IRENA a classé récemment le Maroc parmi les pays les plus prometteurs en production d’hydrogène vert. Une approche réglementaire dynamique dite « graduelle » doit être rapidement soufflée car elle permettra une surveillance et une analyse minutieuse du marché et éviter sur le long terme tous risque d’abus en droit.

  • Quelles sont les opportunités qui s’offrent aux investisseurs en matière d’énergies propres au Maroc ?

– Le Maroc est leader africain et arabe dans l’indice RECAI, classé au 16ème rang, devant Israël et derrière le Danemark selon le rapport du Cabinet Ernst & Young (2021). Le droit de l’investissement est soutenu depuis 1995 par la Charte de l’Investissement qui a édifié un ensemble de mesures incitatives d’ordre fiscal et financier tout autant que le Royaume peut se prévaloir de sa grande stabilité politique. La position géostratégique marocaine offre un accès à l’ensemble des traités et conventions internationaux transatlantiques et européens pour le commerce extérieur comme l’a rappelé le Ministre de l’Industrie et du Commerce allemand dans son entrevue avec Dennis Wholey pour TIA&TW. La fiscalité verte progresse. On peut citer en matière de TVA, l’introduction par la loi de Finance 2022 de l’application de la taxe au taux de 10 % aux acquisitions de panneaux photovoltaïques et aux chauffe-eaux solaires en local et à l’importation et la loi exonère, avec droit à déduction, les produits et matières entrant dans la fabrication des panneaux photovoltaïques acquis localement ou importés par les fabricants.

→ Lire aussi : Plaidoyer pour une politique ciblée de concentration dans les pays émergents : exemple de l’énergie verte au Maroc

D’un autre côté, l’expérience marocaine a démontré des investissements conséquents dans les TSO-Procuments (contrats avec le gestionnaire de réseau de transport historique) avec un système de facturation nette. Mais il serait d’un grand acquis d’instaurer des mesures d’incitations « strictement économiques et ciblées » dans le secteur de l’énergie pour encourager la commercialisation d’électricité à partir d’EnR. Pour ce qui nous intéresse, le Contrat de Complément de Rémunération (Contrats for Difference – CfD) fait partie de ces mécanismes et a pour objet de prévoir, dans un contrat administratif, le versement d’un complément de prix si l’électricité qui est vendue sur le marché est en dessous d’un certain prix. Quelles que soient les fluctuations du marché, ce mécanisme a fait ses preuves en Europe et incite à produire et à commercialiser à partir d’énergies renouvelables (EnR). En s’intéressant au règlement des marchés de MASEN, l’article 17 portant sur les « contrats relatifs à des installations de production d’électricité à partir d’EnR » prévoit ce mécanisme. La coutume marocaine n’est donc pas étrangère au principe de rémunération par compensation mais elle nécessite un encadrement clair et strict qui ne pourra se faire sans le développement d’un réel Droit des aides d’État au Maroc cantonnée, aujourd’hui, au seul article 7 de la loi concurrentielle n°20-13.

  • Quelle peut être la valeur ajoutée du Maroc pour l’Afrique en matière de développement des énergies renouvelables ?

– Lorsque l’on regarde le bilan actuel, sans oublier que l’ONEE est déjà largement présente en Afrique (Sénégal, Gambie, Sierra Leone, Guinée, Cap Vert, Tchad, Niger, Mauritanie et Mali), les initiatives récentes initiées par le Royaume pour améliorer l’approvisionnement en électricité dans la région du nord-ouest du Nigeria et dans d’autres parties du pays sont porteuses et font honneur à la dynamique engagée par notre pays à la faveur de la politique africaine, voulue par notre Roi que Dieu L’assiste. Plus récemment, la chambre des Conseillers a approuvé le Projet de Loi n°12-21 portant approbation d’une convention-cadre de coopération dans les domaines de l’énergie et des mines avec la République du Tchad. Bien que disposant d’un potentiel énergétique important, le Tchad vit encore une crise énergétique notoire. Seulement 8,4% de la population urbaine a accès à l’électricité (Banque mondiale) et l’expérience marocaine sera d’une grande aide. Mis à part le pétrole, le pays recèle d’énormes potentialités : les zones d’Aboudeya, Melfi, Mongor, Lere, et Pala ont révélé un potentiel de gisement d’uranium.

C’est avec le renforcement des interconnexions que le Maroc est devenu un carrefour énergétique entre les deux rives de la Méditerranée et offre l’infrastructure de base, critère primordial, à l’émergence d’un véritable marché de l’électricité. La construction d’interconnexions est un impératif climatique dans la perspective de l’augmentation de la part des productions d’EnR dans le mix énergétique. Et cela bien qu’ils permettent d’éviter l’isolement électrique et représente à ce titre une forme de solidarité africaine. Au-delà de constituer des défis technologiques, l’ONEE est responsable « de ses interconnexions » au sens même du chapitre premier de la loi n°13-09 tout comme cela est défini dans l’article premier de la loi°48-15 relative à la régulation du secteur de l’électricité. Récemment, les projets d’interconnexions avec le continent européen sont nombreux : l’entreprise britannique « Xlinks » est chargée de l’interconnexion électrique sous-marine entre le sud du Maroc et le Royaume-Uni (quatre câbles HT de 1,8 GW), tout comme la réalisation de celle entre le Maroc et le Portugal déjà en cours avec l’adjudicataire « DNV-GL » (1 GW). Enfin, le projet de renforcement de l’interconnexion électrique Maroc-Espagne avec la réalisation d’une troisième ligne d’une puissance de 700 MW conforte la place du Maroc comme partenaire privilégié. Actuellement, le programme « Long-term Europe-Africa Partnership on Renewable Energy » a sélectionné 13 projets marocains pour recevoir des fonds sur les énergies renouvelables.

Ce qui peut être développé, aujourd’hui, entre l’Afrique et l’UE est un accord de reconnaissance mutuelle pour les garanties d’origine dite « GO ». Inscrit dans la directive européenne 2009/28/CE puis à nouveau dans celle du 11 décembre 2018, ces garanties sont un document électronique certifiant que l’électricité a été produite à partir d’une source EnR et injectée sur le réseau électrique et seront étendues à l’hydrogène décarboné. Et cela, à l’heure où l’Europe réfléchit son MACF (mécanisme d’ajustement carbone aux frontières). Comme le rappelle le second alinéa de l’article L. 311-21 du code de l’énergie français, ce droit ne les reconnaît mutuellement que lorsqu’elles sont émises par un pays tiers sous réserve que « l’Union européenne a conclu un accord avec cet État tiers » ou s’il s’agit de « garanties d’origine d’un système compatible établi dans l’État tiers ». Tout cela s’inscrit dans le cas de l’importation ou de l’exportation directe d’énergie verte entre les deux continents. Pour le droit allemand, la reconnaissance mutuelle étrangère « ne vaut que pour les garanties d’origine qui satisfont au moins aux exigences de l’article 15, paragraphes 6 et 9, de la directive 2009/28/CE (…) » au sens de l’article § 55 de la EEG. Les garanties d’origine permettent le développement d’offre de fourniture verte et une traçabilité. Parmi les 3 systèmes existants au monde, les Standards I-REC sont émis dans de nombreux pays et sont disponibles dans des pays ne bénéficiant pas ou pas encore d’une réglementation en la matière comme le Maroc et l’ensemble des pays africains. Ils sont gérés par une fondation à but non lucratif qu’est « l’International-REC Standard ». Et cela, lorsque l’on sait que l’article 2 de la loi 37-16 permet à MASEN désormais de développer ses missions à l’échelle continentale et internationale. Sur cette question, le Royaume peut être avant-gardiste en développant une première coopération africaine.

S’agissant de l’enjeu de codifications en droit des énergies, l’échec définitif du Code de l’environnement allemand annoncé par Sigmar Gabriel, ministre fédéral de l’Environnement, il y a près de douze ans, réaffirme la grande difficulté de codifier un tel code. C’est pourquoi une initiative marocaine positionnerait le Royaume comme précurseur pour un futur Code de l’environnement africain. Cela serait un réel gage de crédibilité pour les opérateurs internationaux, notamment allemand.

Qu’il s’agisse de poser les principes cardinaux de la filiale hydrogène vert et/ou d’un futur code, le Royaume a les moyens de surmonter, en Afrique, l’absence d’une gouvernance mondiale énergétique.

Articles similaires

Laisser un commentaire

Bouton retour en haut de la page