UN ÉVÉNEMENT DANS LE PAYSAGE EDITORIAL MAROCAIN: La quasi-intégrale du Poète Kamel Zebdi arrive

Par Kamal Lakhdar

La parution prochaine à Rabat des «OEuvres Poétiques (presque) Complètes» de Kamel Zebdi sera sûrement un événement éditorial d’envergure. Ce poète marocain francophone de haute qualité, né à Safi en 1920 et décédé, on le sait, à Rabat en 1997, s’est fait remarquer par une huitaine de plaquettes, toutes marquées par une rare qualité originale d’écriture, saluées en leur temps par critiques et lecteurs amateurs de la belle ouvrage.
Il aura fallu vingt longues années pour que s’étaient fait ses admirateurs ainsi que ses amis de réunir en un seul et épais volume ses diverses productions poétique, puisse se réaliser. Ce sera chose faite grâce aux efforts de « militants », la plupart d’entre eux réunis sous la bannière de l’Association «Ribat Al-Fath». L’intitulée «OEuvres Poétiques (presque) Complètes» est une précaution bienvenue désespérant de pouvoir retrouver, à l’avenir proche ou lointain, d’autres textes d’un Kamel Zebdi, habitué de notoriété publique, à éparpiller des pièces poétiques, sitôt ciselées, aux quatre vents de sa générosité coutumière. Dans cette livraison prochaine qui verra donc le jour très bientôt, on pourra prendre connaissance d’un splendide «Après-Lire», qui est un hommage frémissant d’admiration élogieuse de l’ami fidèle qu’a été pour le poète un autre rbati : Kamal Lakhdar, l’homme de lettres et de culture distingué – qu’on connaît bien.
Bientôt, au tout début de la saison prochaine, paraîtra sous le titre «OEuvres poétiques (presque) complètes» de Kamel Zebdi, le fameux poète r’bati de haute mémoire.
En prévision de cet événement éditorial, il nous est agréable de fournir à nos lecteurs, en exclusivité, l’après-lire qui va paraître en final de ce recueil des huit plaquettes du poète récemment disparu.
Dans un des nouveaux quartiers de cette ville d’origine Rabat, de toute sa famille, Kamel Zebdi possède une rue en son nom…
Mais quel rapport peut-il y avoir entre Kamel Zebdi et une cité-dortoir ? C’est mieux que rien, dirions-nous… Or, Kamel Zebdi est l’incarnation des petits riens. Ces petits riens dont il faisait tout. Tout un monde – Un monde à lui, qu’il nous appartient, si nous le méritons, d’intégrer, et de savourer…
De là vient toute la difficulté : comment intégrer le monde poétique de Kamel Zebdi sans connaître le poète ?
Quand on regarde d’un peu près la biographie de ce grand timide, qui ne parlait finalement presque jamais de lui, on se rend compte qu’il a, en réalité, une véritable guérilla pour se consacrer à sa vocation.
A la sortie du lycée, en 1939, il est inscrit à l’Académie Militaire, qu’il déserte, quelques semaines plus tard. Ce fut ensuite une tentative aussi infructueuse à l’institut Agronomique de Paris.
Mais il finit par se stabiliser dans la Ville Lumière en intégrant l’Ecole du Louvre, où il resta cinq années, couronnés par un mémoire sur « Les Armes anciennes du Maroc ».
Ce sont finalement sept bonnes années qu’il vécut à Paris, entre 1945 et 1952. Ces années de la Libération et de l’Après-guerre le changent radicalement de la suffocante et répressive atmosphère coloniale qui sévissait alors au Maroc et c’est à travers la langue française, pleinement assimilée et réellement appropriée, qu’il développe les valeurs d’humanisme de coeur et de liberté d’esprit qui forgeront sa personnalité et demeureront, sans cesse, présentes dans sa vie et dans son oeuvre. Mais il ne s’agit ni d’aliénation ni de dénaturation ou de reniement de la culture d’origine…
Il était même, dans son mode de vie et dans ses comportements, en total déphasage avec les trépidations de cet Occident auquel il restait pourtant attaché pour ses valeurs humaines et l’ordonnancement de ses institutions et de ses structures sociales.
Né au bord de l’océan à Safi, issu d’une grande famille andalouse, cet enfant de Rabat était imbu du culte de la discrétion, de mal bienséance et du savoir-vivre. Ces vertus s’expriment dans sa poésie par la douceur des mots et de la langueur de la mélopée, par la joliesse du phrasé et la sophistication de la construction, jusqu’à donner une impression de mignardise, ce qu’il ne reniait absolument pas, tant il considérait que ses deux idéaux – la beauté et l’amour – devaient s’exprimer dans la douceur, la tendresse et le raffinement.
C’est sur cette double passion, celle de la beauté et de l’amour, qu’il a forgé sa philosophie et qu’il a focalisé son oeuvre.

  Durant près  d’un demi-siècle,  Kamel Zebdi a égrené d’incessants chapelets  de poèmes, au fil  de ses pérégrinations  géographiques  et mentales. Parfois,  il se heurtait à  «l’incommunication» ou s’égarait dans «les déserts sansmajesté» ; se rendant parfaitement compte que « le savoir ennoblit, en même temps torture».

Et ce qui réunit ces deux idéaux de la beauté et de l’amour, ce sont bien entendu les femmes, ou plutôt «LA» femme, cette créature sublimée à laquelle il vouait une passion sans borne, une passion elle aussi sublimée, non pas désincarnée mais idéalisée et qui, en fin de compte, méritait plus que de l’amour : de l’amitié.
Au crépuscule de sa vie, voici ce que Kamel Zebdi en disait :
«sur la feuille qui s’étiole,
s’épand la goutte de rosée
l’amitié des femmes»
Les femmes aussi étaient fascinées par lui, et les rencontres de Zebdi avec des femmes, dans les cercles familiaux, ou amicaux, était un spectacle fascinant par cette atmosphère de complicité et d’affection qui s’en dégageait.
Outre les femmes, il avait aussi une passion pour la mer, dont il a arpenté les rivages à Rabat et aussi à Safi, à Skhirat et à Tanger, et jusque sur les plages lointaines d’Italie, du Danemark ou des Etats-Unis…
«les fragments de mon être
A l’appel secourable de la mer
se remembrent
(…)
Je fais le serment de l’aimer
au-delà la mort»
En fait, les huit recueils de Kamal Zebdi sont un énorme hymne à l’amour : son pays, son lot, ses grands hommes, sa ville, sa famille, ses amis, Paris, la Seine, les lieux de mémoire, les rencontres fugaces, les paysages grandioses, les petites gens, les fleurs, les oiseaux, la musique, la vie…
Il n’éprouvait ni haine ni détestation. A deux exceptions près, soigneusement consignées dans ses écrits : il a tenu à exprimer, avec fermeté, sa compassion (qui est une forme d’amour) pour les souffrances des peuples arabo-musulmans à la fin du vingtième Siècle et dont les ondes de chocs se perpétuent encore :
«Qu’est-il resté de nous
après tant de massacres !
(…)
Hier l’Irak, aujourd’hui la Bosnie
et encore la Palestine mise en sourdine
et d’autres braises ardentes
qui perpétuent la déchéance,
échéance après échéance… »
Il nourrissait aussi une rancune tenace, inextinguible, à l’égard… d’Isabelle la Catholique qui, en 1492, avec son mari le Roi Ferdinand, avait bouté musulmans et juifs hors de leur Andalousie Grenadine, hors de leur cité amandine, gardée de senteurs et de saveurs, perdue de nonchalance et de décadence, noyée dans le raffinement, le luxe…
«Lorsque soudain aux portes de la ville
Le souffle d’Isabelle
Comme une trompette de mort
Sonne la tocsin
pour un réveil cruel
(…)
Lève-toi mon âme
Il est temps de partir
Les bonheurs négligés
ne se renouvellent pas»
Mais là encore, la rancune ne vise pas, en fin de compte, la Reine Isabelle, mais surtout le roitelet Boabdil, qui s’en alla piteusement, en laissant couler une larme, tout aussi piteuse…
Il ne fut donc ni soldat ni agronome, ni, non plus diplomate comme de hauts responsables ont voulu, plus tard, l’y convaincre (l’y forcer ?). Il ne se laissa enfermer ni dans des casernes, ni dans des fermes, ni dans des chancelleries, préférant errer à travers les tropes, même dans des chambres exiguës.
Durant près d’un demi-siècle, Kamel Zebdi a égrené d’incessants chapelets de poèmes, au fil de ses pérégrinations géographiques et mentales. Parfois, il se heurtait à « l’incommunication » ou s’égarait dans « les déserts sans majesté » ; se rendant parfaitement compte que « le savoir ennoblit, en même temps torture »
Même s’il en donne parfois l’impression, ce n’est ni un dilettante ni un adepte de la facilité. Il aimait « le parfum des mots rares » et se faisait souvent accompagner, comme ces poètes arabes de l’époque anté-islamique, par cette sorte d’alter–ego invisible avec qui il partageait ses joies et ses peines.
«Sais-tu le secret de raconter le chant
des oiseaux morts à la guerre»
(…)
«Prends garde à la douceur des mots»
(…)
«Dans la main une bougie vacillante
«qui cherche à pénétrer un rêve»
(…)
«On n’est jamais seul sur la voie de la création» a dit notre vieil ami Claude Lévi-Strauss.
Ce n’est pas notre Kamel Zebdi, qui le contredirait …

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