EXISTE-T-IL UNE ÉLITE INTELLECTUELLE DES MAROCAINS DU CANADA ?

Par Majid Blal

Une élite intellectuelle? Pour quoi faire?

Je ne crois pas que cela soit la bonne question à poser. Formulée ainsi, l’interrogation laisse suinter des relents de prétention et un brin de folie des grandeurs. Avec le mot élite dans la phrase, l’allusion a l’air de ne se préoccuper, de prime abord, que du cosmétique qui scintille de l’emballage.

La question qui serait plus pragmatique, et loin de l’élitisme annoncé, serait de se demander s’il y a des femmes et des hommes de culture qui s’investissent dans le culturel et dans l’interculturel. Des intellectuels, des artistes, des universitaires, des activistes, des militants associatifs, de simples citoyens… Soit des femmes et des hommes, de toutes conditions sociales, qui s’engagent spontanément, librement et d’une manière désintéressée dans la création, la créativité, la réflexion, les débats sociétaux, la défense des droits… par vocation ou par devoir altruiste.

La question serait de se demander s’il y a présence d’éléments convaincants de l’importance de la culture dans la construction identitaire au sein des milieux métissés. S’interroger sur le rôle de l’interculturel dans l’élaboration des dynamiques qui permettent l’enracinement sans se détourner des ancrages. Exhorter la réflexion sur la résilience qui permet de se raccommoder des traumas de l’émigration. Revoir, avec la volonté de mieux comprendre, les parcours qui façonnent les marocains dans leurs nouvelles attributions de citoyens, car le développement humain est déterminant en dernière instance.

Ces profils existent et sont de plus en plus nombreux et nombreuses. Souvent dans le low-profil, car il est ardu de se faire une place dans un espace restreint qu’une minorité a voulu s’accaparer depuis un moment déjà. Ces profils existent et viennent bousculer un ordre établi où des individus s’autoproclament porte paroles des marocains du Canada et surtout du Québec. Les canadiens d’origine marocaine n’ont pas besoin de gens qui parlent en leur nom sans leur consentement.

Que chacun parle en son nom et assume.

Les marocains du Canada n’ont pas besoin d’une élite intellectuelle ou autres élitistes qui se vautreraient dans la phraséologie qui fabule et dans le fauteuil du statut glorifiant.

Il y a, déjà, des intellectuels et des gens de culture qui s’attèlent, sur un énorme chantier, à décortiquer la superstructure. Cette dimension qui englobe les rapports sociaux pendant les transitions, les mutations sociétales et qui subissent l’influence de l’ensemble formé par les idées, la culture et les institutions d’une société dynamique. Appréhender la superstructure facilite la compréhension, car elle a plus d’impact sur l’émergence d’un profil citoyen que les signes ostentatoires d’épanouissement que confèrent le consumérisme et la consommation des gadgets des technologies nouvelles.

Parler d’élite intellectuelle démontre un flagrant manque d’humilité. En effet, il serait plus juste, probe et intègre de ne placer aucun prétendant sur la case « mot compte triple ». Personne ne peut être considéré comme élite, uniquement, parce qu’il a commis trois rimes colportées, comme le nirvana revisité, au sein de son groupe ethnoculturel. Trois rimes et un Ô repris en chœur par ses congénères issus de sa ville de provenance au bled ou par la force du copinage qui octroie beaucoup de complaisance.

Dans les balluchons des immigrants, a fuité l’esprit de corps importé dans les mêmes lots que certains travers. Esprit de corps qui sert de confirmation à certaines castes dans leurs lubies et leurs perceptions élitistes.

Les marocains au Canada n’auraient besoin ni d’une pléthore de leaders, ni d’une profusion de dealers. Ils veulent uniquement que chacun tende sa participation dans le milieu de vie, vers l’excellence. Qu’importe la discipline, le domaine ou l’identité professionnelle, on devrait exercer pleinement sa participation citoyenne.

Qu’est-ce qu’un intellectuel?

On a tellement galvaudé le terme intellectuel qu’on en a perdu la substance. On a mortifié la chair et défiguré les traits, au point d’en faire une dépouille anonyme que même sa propre famille ne peut identifier. Une charogne que n’importe quel inculte becquette et picore comme un vautour qui y trouve excuses à toutes ses tares et une pitance, sans défense, à ses préjugés.

«  Un intellectuel est une personne dont l’activité repose sur l’exercice de l’esprit, qui s’engage dans la sphère publique pour faire part de ses analyses, de ses points de vue sur les sujets les plus variés ou pour défendre des valeurs »

Cette définition est juste car elle ne fait pas d’exception en se limitant aux lettrés ou aux écrivains. Elle est inclusive et elle mentionne le concept  » valeurs  » qui est d’une importance capitale dans le domaine et en la matière.

Qu’ils soient progressistes ou réactionnaires, réalistes ou théoriciens, pragmatiques ou utopistes, altruistes ou opportunistes, le champ est libre. Par conséquent, les intellectuels devraient être à l’image de la société. Un ensemble hétérogène, dissemblable, varié, avec des approches, des angles, des visions et des intérêts différents.

Toutefois et ce serait judicieux, les intellectuels devraient s’extirper du ghetto du communautarisme pour performer dans la dimension commune et inclusive de la citoyenneté. Ils devraient apprendre à vivre une identité multiple, dynamique, en pleine évolution, mutation…

S’enraciner sans s’arracher de l’ancrage initial. Ainsi, ils devraient assumer leur statut de canadiens ou de québécois ou des deux sans avoir le sentiment d’être traitres à leur marocanité. Ils devraient porter leur marocanité à bras le corps sans avoir le sentiment d’être déloyaux au pays d’accueil. La citoyenneté de l’avenir est la citoyenneté transnationale. La citoyenneté transnationale permet de contribuer sur deux fronts en investissant les sphères associatives et en agissant sur les leviers économiques et politiques dans les deux pays en même temps pour être partout chez soi et partie prenante décisionnelle.

Les intellectuels d’origine marocaine auraient mieux à faire en évitant de souffler sur les crispations identitaires et surtout en évitant de prendre ce qui est une religion pour une identité. Ils devraient, également, être justes quant à leurs indignations souvent sélectives. Dénoncer le racisme, l’islamophobie, les différentes discriminations ne devraient pas immuniser contre l’indignation face aux terroristes, face aux intégrismes religieux, face aux sexistes, au machisme ambiant dans les rues du pays natal…

S’intégrer est tout à fait dans l’ordre normatif des choses. Vouloir décamper des œillères du ghetto culturel n’est pas une infidélité ni une traîtrise et encore moins une inconstance. La recherche du consensus n’est pas un réflexe démocratique. Refuser de soutenir des causes ou des personnes uniquement parce qu’ils proviennent du bled ou qu’ils soient musulmans n’est ni de l’aplaventrisme ni de l’assimilation. Dénoncer les travers d’un islamisme radical, ne devrait pas être perçu comme une façon de fournir des armes aux islamophobes, par exemple. Les intellectuels d’origine marocaine devraient, en premier lieu, accepter que puisse exister une diversité d’opinions au sein même de ce qu’on surnomme: leur communauté. S’arracher de la crispation religieuse et du discours victimaire pour commencer à bâtir des ponts en agissant comme de vrais médiateurs interculturels qui rapprochent les différences et s’attaquent aux ignorances. Intégrer la mosaïque du tissage démographique et de la diversité.

Bien qu’il ne puisse incarner la neutralité complète, l’intellectuel est supposé dépasser le trop de subjectivité par le moyen de la distanciation face à son sujet. Ce qui éviterait de s’embourber dans les appréhensions des partis pris et des instincts primaires. Nuancer, nuancer, mettre en contexte sont la signature de l’intellect. Encourager la singularité et l’excellence. L’engagement est d’abord un sentiment d’appartenance inclusif et inconditionnel à cette terre qui est aussi la nôtre par tellement de phénomènes d’enracinement, dont la conscience du devenir commun.

Être un intellectuel n’est pas un titre pour garnir son CV, ni pour se rapprocher des autorités consulaires ou autres pour soutirer un bénéfice marginal. Être intellectuel, n’est pas d’afficher sa face publiquement pour d’éventuelles demandes de subsides ou de subventions. Un intellectuel, c’est aimer les gens, les humains et vouloir apporter une contribution pour améliorer le monde.

Comme je l’ai toujours pensé et écrit: l’interculturalité, c’est creuser des tunnels au fond de soi afin de trouver le chemin des autres.

 

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