Faits saillants de l’actualité diplomatique marocaine : Décryptage avec Salah El Ouadie

Sahara, relation avec l’Afrique, la France, Israël… l’année 2022 a été forte en événements diplomatiques pour le Maroc. Le premier d’entre eux reste évidemment le dossier du Sahara sur lequel le Maroc a su amener plusieurs pays à reconnaître sa souveraineté, se référant à la dynamique étasunienne. Pour autant la brouille diplomatique avec la France a surtout été accentuée par la restriction des visas Schengen décidé par Paris, avant que sa ministre des Affaires étrangères ne soit dépêchée au Maroc pour éclaircir les zones d’ombre entre les deux «alliés ».

 Le Maroc s’est aussi distingué sur le plan international, à l’ONU lors du vote condamnant « l’invasion » russe en Ukraine, où le Maroc a préféré garder sa neutralité avec comme argument le respect de l’intégrité territoriale des États.

Pour analyser les faits saillants de l’actualité diplomatique marocaine sur le plan international, M. Salah El Ouadie, membre de la Commission Spéciale sur le Nouveau Modèle de Développement fait un tour d’horizon des moments forts de l’actualité diplomatique marocaine pour l’année 2022.

l Maroc Diplomatique : Depuis son déclenchement, la guerre russo-ukrainienne a presque basculé le monde sur le plan politique, économique et même sportif. Comment analysez-vous la position du Maroc face à cette tension ? Quelles peuvent être les conséquences sur le plan géopolitique de cette guerre ?

– Salah Ed-Dine El-Ouadie : Différentes lectures ont été faites de cette guerre. S’il est incontestable et évident que l’intégrité des États doit être respectée selon les principes du droit international, force est de constater que les superpuissances occidentales ne se sont pas faites prier par le passé et ne se font pas prier pour envahir et faire la guerre à plusieurs pays en dehors de toute légalité internationale (Iraq, Lybie…). Or ce sont ces puissances mêmes qui crient au loup à l’occasion de cette guerre qu’elles mènent par l’Ukraine interposée, sans oser s’y engager officiellement.

Ce qui est peut-être intéressant à aborder, c’est le sens que prend cette guerre dans le contexte international actuel à savoir la remise en cause, de plus en plus, déclarée de l’équilibre des forces en présence et le refus de la vision unipolaire revendiquée par l’occident, refus assumé par plusieurs pays émergents, et surtout par le géant chinois.

A ce propos l’on peut constater, ces dernières années, un changement de paradigme dans la vision et le comportement de la politique étrangère de notre pays, avec une propension à diversifier les partenaires et les alliés.  Et l’évolution du monde depuis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne ne fait que confirmer la justesse de ce changement.

Il est prématuré de se projeter dans l’avenir à propos des conséquences de la conjoncture actuelle. Mais dès à présent, l’on peut dire que plusieurs choses changeront : en premier le rôle et le poids des différents protagonistes dans le monde, avec un partage plus « équitable » d’influence. Cette situation imposera à notre pays de renforcer le changement déjà opéré dans notre politique extérieure.

lDepuis quelque temps, les relations diplomatiques entre le Maroc et la France ont été alourdies par la question des visas. Qu’est-ce qui sous-tend cette politique répressive de Paris à l’égard des Marocains demandeurs de visas ? Quelles peuvent être les conséquences économiques et diplomatiques d’une telle mesure ? Y a-t-il véritablement menace sur le plan diplomatique entre Paris et Rabat ?

– Les relations entre les deux pays n’échappent pas à cette évolution. Le Maroc entend s’émanciper dans un cadre de relations conçu depuis longtemps et devenu caduc, mais que la France entend conserver dans une vision paternaliste et « protectrice ». Cet esprit, toujours couvé et entretenu par l’État français, se trouve à présent désuet. Même si celui-ci prétend que la raison des tensions en est le dossier des immigrés clandestins sur son sol, un faisceau de données et de réactions de la part de la France trahit un agacement devant la volonté d’émancipation du Maroc.

Et cela s’est traduit récemment par le raidissement constaté dans le dossier des visas. En réalité, c’est le poids traditionnellement religieux, et depuis quelques années politique, économique et plus récemment sportif, de plus en plus grandissant du Maroc, qui fait grincer les dents à Paris. Si nous ajoutons à tous ces éléments les sérieux déboires que Paris ne cesse de connaître en Afrique, dans une zone traditionnellement « reconnue » comme étant sa zone d’influence, il va sans dire que les décideurs à Paris privilégieront le dialogue plutôt que l’escalade… Les intérêts bien compris de la France dans la région et l’incontournable poids géostratégique du Maroc – à mon sens – ramèneront l’ancienne puissance colonisatrice à des positions plus raisonnées.

lLe Maroc et Israël entretiennent des accords de coopération de plus en plus étroits, quels peuvent être les avantages de ce nouvel axe de coopération ?

– Ce volet fait partie, selon mon point de vue, de la stratégie de diversification des relations bilatérales du Maroc afin de mobiliser tout ce qui peut l’être pour préserver son intégrité territoriale. Le fait que le Maroc ne cesse d’insister, après le rétablissement des relations avec Israël, sur les droits du peuple palestinien, y compris la création de son État souverain, souligne la nature des nouveautés de sa politique extérieure, à savoir qu’il ne change rien à ses positions de principe à ce sujet, mais qu’il entend gagner en termes d’alliances dans la préservation et la consolidation de sa sécurité. Pour ce qui est de l’avenir et des avantages qu’il peut en tirer, cela dépendra de la qualité de gestion de ce choix. Les responsables israéliens sont connus pour leur pragmatisme et leur souci d’engranger les retours de leurs positions et de leurs initiatives. À nous de savoir tirer le meilleur sans tomber dans les travers. Le Mondial de Qatar a montré – y compris à travers les initiatives des joueurs marocains – que la Palestine jouit toujours d’un large mouvement authentique de solidarité dans le monde. À prendre en compte.

lLe Maroc développe une diplomatie de plus en plus offensive en Afrique. Qu’est ce qui a été déterminant, ces derniers mois, dans la nouvelle approche de Rabat en Afrique ?

Le projet du gazoduc avec le Nigéria est l’exemple le plus éloquent de la réussite de cette offensive, en plus de l’ouverture des consulats au Sahara marocain. Quinze pays africains, au moins, bénéficieront des conséquences bénéfiques de ce projet. Chose difficilement imaginable il y a quelques années. Ce n’est là que le résultat des efforts consentis par notre pays depuis déjà une décennie. La présence économique de plusieurs opérateurs marocains en Afrique ainsi que le déploiement des programmes de coopérations ne sont plus à démontrer. Plus encore, c’est l’esprit constamment porté par le Maroc d’une solidarité panafricaine effective, qui augmente son crédit politique, diplomatique et symbolique. La longue absence du Maroc de l’espace africain n’est plus qu’un lointain souvenir.

En 2021 et 2022, le Maroc a marqué un grand coup sur le plan diplomatique avec le changement de position de l’Espagne, de l’Allemagne et la réaffirmation des États-Unis de la reconnaissance du Sahara. Comment analysez-vous cette victoire du Maroc pour l’année 2022 ?

Le Maroc a incontestablement gagné durant l’année 2022 sur le plan diplomatique avec le changement des positions de ces pays concernant l’affaire du Sahara marocain. L’une des raisons principales réside dans la fermeté affichée dont il a fait montre. Ces réalisations spectaculaires, difficilement concevables il y a quelques années, démontrent le net changement de « statut » de notre pays aux yeux des décideurs de ces pays. L’intelligence d’investir dans la communauté juive d’Israël, sans pour autant abandonner le peuple palestinien à son sort est également à souligner. Nous avons tous pu suivre les marques de soutien à l’équipe nationale, qui nous sont parvenues de Palestine dernièrement. Cette conjoncture qui a été également une occasion de rappel au monde de l’injustice qui perdure et qui la frappe en dehors de tout respect du droit international.

Ceci étant dit, il demeure difficile de préciser les contours des évolutions futures en dehors de la prise en compte de la situation qui prévaudra après la fin des hostilités entre la Russie et l’Ukraine. Le Maroc est tenu d’engranger les retombées de ses acquis pour régler d’une façon définitive la question de son Sahara. Beaucoup de facteurs pèseront dans la balance. Mais l’on peut dire sans risque de se tromper lourdement, que notre pays est dès à présent assuré – grâce à ces acquis – de pouvoir marcher sur ses deux pieds en cas de perte d’équilibre du consensus international actuel au sortir de cette guerre, ou à l’occasion d’une éventuelle crispation plus accentuée entre les USA et la Chine …

Encadré

Maroc-Allemagne : fin de crise

Le Maroc et l’Allemagne ont tiré un trait sur une crise diplomatique qui a duré des mois et ont convenu de relancer leurs relations.

Lors d’une visite à Rabat, de la ministre des Affaires étrangères allemande Annalena Baerbock, le 25 août 2022, le Maroc et l’Allemagne se sont mis d’accord sur une déclaration commune pour une reprise de la coopération dans tous les domaines. Le ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita et son homologue allemande ont tous deux évoqué un «nouveau chapitre » dans les relations germano-marocaines.

Après leur conversation, M. Bourita et Mme Baerbock ont soutenu conjointement les efforts des Nations Unies pour résoudre le conflit.

« Le Maroc ne cherche pas de solution en dehors des Nations unies », a déclaré le ministre des Affaires étrangères. Mme Baerbock a souligné à quel point il était important pour elle que les deux parties veuillent emprunter cette voie. « Le fait qu’il y ait des différences de nuances est généralement le cas lorsque vous êtes au début des processus. »

En février 2022, une visioconférence entre Baerbock et M. Bourita a brisé la glace. Maintenant, les relations doivent être placées sur une nouvelle base avec la déclaration convenue avec un total de 59 points. Il envisage entre autres une intensification de la coopération dans les domaines des énergies renouvelables, de la production d’hydrogène vert, de la lutte contre la crise climatique, mais aussi de la politique de sécurité. « Le Maroc est un partenaire extrêmement important, non seulement pour l’Allemagne mais pour l’ensemble de l’Union européenne», a déclaré Baerbock. M. Bourita a évoqué « une nouvelle phase dans les relations ».

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