Fatima Mernissi : pionnière du féminisme même dans ses funérailles [Vidéo]

 

Contre toute attente et malgré sa maladie qu’elle a su porter et supporter, dans la nuit de ce dimanche au lundi 30 novembre, elle a préféré tirer sa révérence dans la grande discrétion, elle qui a vécu royalement, debout et libre. A 75 ans, son âme a pris son envol vers des cieux lointains telle une colombe légère de ses fardeaux et forte d’une liberté dont elle seule avait le secret. Mais son ultime voyage n’allait pas se faire dans l’ordinaire. Grande et première en tout, sa sépulture sera une énième leçon de militantisme dès lors  que ses amies de parcours ont tenu à transgresser les lois masculines qu’elle a toujours réfutées, de son vivant, en se prenant main dans la main et en formant une chaîne tout autour. Au cimetière Sidi Messoud de Hay Riad à Rabat, où la défunte reposera à tout jamais, ses amies ont tenu à lui rendre un dernier hommage en prenant part à ses funérailles. Une première dans une société qui interdit à la femme d’assister à ce rituel éprouvant et exclusif « dans sa masculinité ». Sa disparition est une grande perte pour le paysage académique et intellectuel marocain désormais orphelin d’une plume qui faisait trembler plus d’un et qui déstabilisait les esprits rouillés dans leurs anachronismes. Avec la mort de Fatima Mernissi, c’est une grande voix de la littérature du monde arabe qui s’en va, une immortelle qui disparaît.

Née en 1940, à Fès, dans une famille de la grande bourgeoisie marocaine. Jeune, elle s’inscrit dans l’une des premières écoles privées mixtes du Maroc et poursuit ses études à Rabat, puis en France et aux États-unis où elle décroche son doctorat en Sciences sociales en 1973, avant de regagner le pays pour enseigner la sociologie. A partir des années 1980, elle est professeure à l’institut universitaire de recherche scientifique de l’université Mohammed V à Rabat. Elle est également membre du Conseil d’université des Nations unies et mène, en parallèle avec sa carrière, un combat dans la société civile. Ainsi, elle fonde les « Caravanes civiques« , le collectif « Femmes, familles, enfants » en 1981. Elle est également membre du Groupe des Sages sur le dialogue entre les peuples et les cultures de l’Union européenne.

Déjà en 1983, son premier livre Sexe, idéologie, Islam, la sort du lot comme une femme exceptionnelle qui se veut pionnière dans son féminisme et son militantisme dont elle fait son bourdon de pèlerin. Cette sociologue et écrivaine de renom est aussi une féministe marocaine de réputation internationale qui a su porter haut et fort les couleurs du féminisme marocain et musulman afin de remettre les pendules à l’heure en dépoussiérant l’histoire faussement et volontairement occultée du rôle politique assuré par les femmes dans la société musulmane et ce à travers ses analyses pertinentes sur la culture religieuse et spirituelle des Marocains. Forte de son savoir, elle défonce les portes longtemps cadenassées des tabous tissés autour de la femme sans pour autant se laisser intimider par les accusations et les menaces qui s’abattaient sur elle.

Auteure prolifique, elle est d’un humanisme incommensurable. Aussi se voue-t-elle au militantisme des droits des femmes dans son pays et dénonce le patriarcat dans la culture musulmane. Cette grande intellectuelle a marqué au fer rouge la scène culturelle marocaine depuis déjà un peu plus d’un demi-siècle.

Elle a reçu, en mai 2003, le prix littéraire Princesse des Asturies en littérature. Elle a reçu le prix Erasmus (2004) aux Pays-Bas pour le thème « Religion et modernité ». Elle a aussi été membre du Groupe des Sages sur le dialogue entre les peuples et les cultures de l’Union européenne.

L’œuvre de « Fatna Aït Sabbah », pseudonyme que Fatima Mernissi a utilisé, est un voyage prenant et saisissant qui nous plonge dans le corps et l’âme des femmes maghrébines auxquelles elle prête sa voix pour soulever toute les problématiques dont elles font l’objet car sa forte animation, à elle, est d’interroger la vie et le parcours de la femme maghrébine en faisant un parallélisme avec la trajectoire de la femme européenne et tout cela dans un ton tantôt grinçant tantôt sarcastique et empreint d’humour.

«Rire en tant que marocaine de l’Occident arrogant a toujours été un de mes fantasmes les plus délicieux. J’ai commencé à le savourer en écrivant ce livre dans lequel je décortique les archaïsmes chez nos voisins européens. Archaïsmes soigneusement cachés derrière leur mythe de la modernité occidentale».

Fatima Mernissi est la voix née pour crier à travers son écriture et rappeler que le combat des femmes est perpétuel, qu’il restera toujours d’actualité dans les sociétés des deux rives de la Méditerranée.
De sa plume, elle fait une arme redoutable contre l’obscurantisme et l’hégémonie masculine qui sévit. Sa carrière littéraire est mise au service d’une cause dont elle fait sa raison de vivre à telle enseigne  qu’elle  a choisi de vivre seule sans avoir la contrainte de troquer son nom de jeune fille contre celui d’un mari.

Forte de ses convictions, cette érudite hors pair a su franchir les frontières culturelles avant celles imposées par la géographie. Du monde,  elle a fait un petit village qu’elle a sillonné pour collectionner conférences et séminaires accueillis avec engouement et ferveur,  ornée juste de son intelligence et de son magnifique sourire. Ses œuvres et ses écrits qui, à chaque fois, lui valent un franc-succès bien mérité, enrichiront et agrémenteront, pour toujours, le patrimoine culturel marocain. Cette femme de lettres d’une sensibilité inégalée et sociologue hors du commun a effectué un parcours riche et exceptionnel. Son engagement pour les droits des femmes a fait d’elle une icône incontournable dans le monde arabe et musulman.

Fatima Mernissi, cette lumière qui nous a longtemps éclairés, s’est éteinte, toutefois son cri résonnera à tout jamais pour dire: «  Le monde n’est pas un harem » … et son combat sera le nôtre, nous femmes du Maroc qui sommes inspirées de ses idées.

Ses écrits, d’une grande sagesse, sauront transpercer l’au-delà et continuer à raviver la flamme du féminisme et d’humanisme en nous. Ses mots demeureront en nous comme la meilleure preuve que les frontières qu’elle a toujours tenu à bannir n’existeront jamais entre sa voix et tous ceux et celles qui l’ont lue, connue ou côtoyée de près : «Je leur parlerai de la fascination de l’inconnu, de celle du risque et de l’inaccoutumé. Je leur chanterai l’insolite et tout ce qu’on ne contrôle pas. C’est-à-dire la seule vie qui est digne d’un être sans frontières sacrées ou pas. Une vie aux odeurs nouvelles qui ne rappellent rien d’ancestral. Je cisèlerai les mots pour partager le rêve avec les autres et rendre les frontières inutiles. »

 

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