Femmes : Comment le Maroc recule

Dossier du mois

Selon des statistiques de la DGSN, 63,3% des femmes citadines à savoir 13.445 ont été victimes de violence physique, en 2014. Les femmes au foyer représentent 53,8 % de l’ensemble des victimes contre 16,7% des femmes actives, suivent les employées de mai­son qui représentent 12,4% (9,8%) de l’ensemble des victimes.

Les violences sexuelles contre les femmes, en 2014, constituent 9% de l’ensemble des types de violence subie par les Marocaines, note le rapport de l’Observatoire national de lutte contre la violence à l’égard des femmes qui révèle que les femmes célibataires sont les plus touchées par ce genre de violence avec 53,6 % des violences sexuelles. Selon ce même rapport, c’est dans l’espace public que la plupart des violences sexuelles sont commises (66,4% des cas). Au sein du couple, plus de 6 Marocaines sur 10 ont été victimes de violences conjugales.

Cette banalisation de la violence est donc inquiétante. Une violence qui trouve son origine dans le schéma social patriarcal. En effet, c’est une conséquence directe de la hiérarchisa­tion des relations entre les hommes et les femmes dans la société.

Mais n’est-il pas un peu normal qu’un homme, à qui déjà enfant, on apprenait à surveiller sa soeur, aînée fût-elle, à commander et à rudoyer sa femme s’il le faut pour qu’elle lui obéisse et s’échine devant sa masculinité et son machisme ? La maman en particulier et la société en général composent ainsi et de façon complice dans le modelage de monstrueux aliénés qui vouent admi­ration et vénération à la femme-mère, chérissent la maîtresse, maltraitent l’épouse et traitent de tous les noms toute femme libre.

Que ce soit donc dans son foyer, dans la rue, au travail et là où elle va, la femme est humiliée, violentée, harce­lée et violée. Elles sont autant exposées à la violence dans leur ménage qu’en dehors.

Mais le coup de grâce c’est quand son bourreau –par un paradoxe incroyable- devient victime et pour cause, elle l’au­rait cherché ! Aujourd’hui encore, des femmes se font maltraiter et protègent leurs oppresseurs. D’autres se sou­mettent à la loi de la polygamie au motif fallacieux qu’il vaut mieux bénéficier de la tutelle de l’homme. Ne dit-on pas chez nous que ce dernier reste le rem­part et « la couverture » de la femme ?

Force est de rappeler que la violence contre la femme n’est pas seulement physique mais c’est avant tout un phé­nomène d’emprise et de pouvoir du conjoint violent sur la femme domi­née. Cela commence par la dépréciation pour la fragiliser psychologiquement de manière qu’elle encaisse les vio­lences les plus violentes. D’ailleurs, le pire dans la violence psychologique est qu’elle est plus diffuse mais intangible.

Pour notre grand malheur, nous vi­vons dans une société où des « normes » perpétuées par l’éducation et valorisées par les sociétés exigent des hommes d’être agressifs, puissants, sans émo­tion et dominants, et des femmes d’être passives, faibles, émotionnelles et dé­pendantes des hommes.

Quand la femme est maltraitée, tout le monde y perd… ou presque

Mona Bahtit, Directrice de l’Institut international de la Santé de la femme

Je travaille sur le sujet de la condition de la femme marocaine, c’est-à-dire la sécurité, la liberté, la dignité et l’in­tégrité de mes concitoyennes depuis près de vingt ans, ici et ailleurs. Et pour ainsi dire, je suis toujours indignée, révoltée et complètement stupéfaite face à Notre condition.

Une réflexion sur le caractère social de la violence faite aux femmes maro­caines est en train de prendre forme. Une révolte idéologique, certes, mitigée, em­bryonnaire. Or nous avons besoin d’une mobilisation de l’ensemble de la société, à moyen et long terme, pour contrer cette violence dans tous les milieux de vie. Aussi devrions-nous rallier les efforts des femmes mais aussi et surtout des hommes déterminés, afin d’y mettre fin. Cepen­dant, l’absence de reconnaissance des différentes instances gouvernementales à admettre non seulement l’importance et la gravité de ce fait, mais aussi leur respon­sabilité par rapport à son élimination, est un véritable mur sur lesquels se fracassent nos espoirs de liberté.

Un statut à la traîne

La femme marocaine a, incontestable­ment, évolué depuis l’indépendance du pays, comme le reste de la société ma­rocaine, d’ailleurs. Elle est en transition. Mais pas assez, voire très peu par rapport à notre potentiel marocain.

En effet, le statut de la femme laisse tou­jours à désirer. Ainsi, sortir dans une ville marocaine est pour elle un périple, sans aucune garantie de retour indemne. Quels que soient son âge, son aspect physique, son habillement, son niveau d’instruction. Quels que soient le quartier, le moment de la journée, sa destination. Dans les milieux de travail, aucune loi ne la protège contre le harcèlement sexuel, qui commence du petit collègue pour finir au sommet de l’échelle.

La violence conjugale est omniprésente dans nos familles et personne ne s’insurge. Pire, on la trouve normale et même l’ava­lise par des références religieuses dou­teuses. Cette violence s’exporte aussi et migre avec nos MRE, qui n’hésitent pas à user de leurs mauvaises habitudes.

Entre devoirs et droits, le statut de la femme vacille

Nos femmes, dans nos villes, sont chefs de famille et participent à l’évolution du pays. Payant leurs impôts, elles devraient être des citoyennes à part entière, obte­nir l’égalité de droit et de fait et jouir des espaces extérieurs au même titre que les hommes. Malheureusement, notre situa­tion est lamentable et n’évolue qu’à pas comptés.

Des responsables sans conscience ni expertise, prennent des décisions vitales, unilatérales, sans jamais se concerter avec les concernés ou demander l’avis des ex­perts désignés et assis autour de la même table. Lors des réunions, personne n’ose proférer un avis, une analyse car trop sou­vent prise pour une critique négative et personnelle, jamais comme un processus d’amélioration. Personne ne peut dire NON, encore moins les femmes. D’ail­leurs, celles-ci sont très peu présentes dans les postes de gouvernance, de pouvoir et encore plus réticentes à dire ce fatidique NON qui attire l’opprobre et les sanctions. Et pourtant, ces dames ont pour la plupart eu ces postes par pur clientélisme. Donc elles sont bien proté­gées et n’ayant rien à craindre pour leur image, leur position , leurs émoluments. Elles auraient pu faire la différence. Elles auraient dû faire une différence, même minime. Une différence qui amorce un début, un point de départ, une référence, un engagement, une empreinte.

En vue de briser la tolérance sociale face à la violence faite aux femmes, il fau­drait que notre société civile, le gouverne­ment, les syndicats, les ONG, affirment son caractère inacceptable et criminel. La violence hypothèque lourdement nos vies, tout comme elle limite le potentiel de développement social et économique de notre pays. Tout le monde y perd….ou presque!

Somme toute, la situation actuelle des femmes marocaines, pâtit d’un manque flagrant d’application des lois et non d’un manquement de lois qui sont faites et dé­faites par les hommes. La justice, elle, doit poursuivre ses efforts en vue d’assurer la sécurité des femmes et renforcer leur confiance dans son administration et sa justesse.

Comme pistes de solution, nous pou­vons organiser et soutenir des activités de promotion à la non-violence dans tous les milieux, en partenariat avec les ministères, les ONG, les syndicats, etc. Nous pouvons contribuer à diffuser l’information sur les approches les plus efficaces en matière de prévention et amener les nouvelles géné­rations à adopter des modèles relationnels basés sur le respect des autres, de leurs droits et de leurs différences.

Puis, n’oublions pas le pouvoir indé­niable des médias, grand chef d’orchestre de la symphonie de nos vies, publiques et privées. N’est-ce pas leur devoir est de traiter, de manière adéquate, les évé­nements liés à la violence et éviter le sensationnalisme, la banalisation et le sexisme ?

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