Femmes : Comment le Maroc recule

Dossier du mois

Yasmine Khayat, Journaliste-reporter

Lorsque le beau et l’amour sont proscrits, la haine et l’extrême gagnent du terrain

En plus d’être cruels, les faits sont têtus. Une jeune fille est violentée et violée dans un autobus qui roule en ville. Les jeunes se savent filmés et ne semblent ni gê­nés ni honteux. La vidéo d’une durée d’une minute se propage comme une traînée de poudre et on viole à nou­veau cette fille par ce voyeurisme qui nous hante. Notre société se nour­rit des extrêmes lorsqu’elle devrait cultiver le beau. Le sexe et la religion prennent toute la place. J’emploie le « nous » à dessein puisque ce viol est notre faute à tous.

Dans ce drame, il y a deux vic­times : la jeune fille et ses agresseurs. Il est très aisé de transposer le drame de cette fille à toutes les femmes au Maroc. La place de cette dernière dans l’espace public se rétrécit comme peau de chagrin. A moins qu’elle ne prenne enfin conscience de son droit légitime d’investir cet espace que l’homme monopolise. Difficile de marcher dans la rue se­reinement et sans raser les murs et tout aussi difficile d’échapper à la vulgarité de certains et à l’insulte d’autres, jeunes ou adultes. Le re­gard pesant se mue en geste voire en tripotage pour peu qu’il s’agisse d’un groupe de garçons.

En discutant du viol en question avec des jeunes, lors d’un atelier as­sociatif sur la violence, je comprends l’étendue du phénomène. Le fait se­rait banal. Certains avouent avoir harcelé une camarade de classe dans une salle vide, dans une cage d’es­calier ou encore à la plage. Cette fa­meuse « Mouja » ou vague de jeunes aux hormones en ébullition qui se jettent, d’un seul coup, sur une fille en maillot de bain et qui, dans la co­hue générale, en profitent, l’espace d’un instant, pour ploter du sein et de la fesse. Ils se disent soulagés de ne pas s’être fait prendre comme ces gamins de la vidéo.

Si la jeune fille est victime de ses violeurs, ceux-ci sont des coupables, mais victimes de manquements flagrants à leur égard. Quelle école l’état a mise en place ? Quelle poli­tique de la jeunesse nos gouverne­ments successifs ont concoctée pour leur épanouissement ? Quels accès à la culture leur a-t-on réservés ?

Notre jeunesse n’est rien tant qu’elle ne devient pas une voix ou un rabatteur potentiel lors de nos cam­pagnes électorales cacophoniques. En attendant, les jeunes sont livrés à eux-mêmes, face à leurs désillu­sions, leur manque de projection dans l’avenir et leur misère intellec­tuelle. Le seul langage qui persiste alors est celui de la violence et de la loi du plus fort. Le viol n’est alors qu’un outil de plus pour exercer son pouvoir et son contrôle sur l’autre. Lorsque le beau et l’amour sont proscrits, la haine et l’extrême gagnent du terrain.

Cette affaire a soulevé telle­ment d’aberrations qu’il est ur­gent de rectifier le tir. Crise des valeurs au sein de la famille. Crise de l’école. Pauvreté criante et écarts sociaux de plus en plus profonds.

Je n’ose parler de la famille car je demeure hantée par l’idée que l’éducation est en grande partie assurée par une femme, la mère. Celle qui dans une fratrie va trouver légitime de favoriser le garçon et d’accabler la fille. La mère qui portera, en premier, le regard accusateur sur le vê­tement de sa fille avant même qu’elle ne foule le pavé de la rue. C’est une castration collective du corps qui se joue. La religion est haranguée et le discours mora­lisateur se substitue au respect de l’autre. Nous sommes encore loin du « vivre et laisser vivre ». La femme est un bien qui doit rester scellé jusqu’à sa consommation. Puisque l’amour est banni alors les pulsions s’expriment dans le mensonge et dans le viol.

Rappelons-le à toute fin utile et pour parer à la récupération poli­tique, que le viol est un crime et doit être jugé en tant que tel. Le noyer dans l’océan de ces textes de lois sur le harcèlement que nous atten­dons encore, serait simplement une manière peu habile de dédouaner le viol.

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