Fès une nouvelle fois en première ligne

Par Taoufiq Boudchiche, Economiste et ancien fonctionnaire international

Fès est une nouvelle fois en première ligne en matière culturelle à l’occasion de la 14eme édition du festival de la culture soufie qui se tient du 9 au 14 octobre 2021.

La programmation est soignée entre expressions culturelles soufies typiquement nationales dont le Royaume détient des secrets encore inconnues et inexploitées combinées aux goûts et saveurs spirituelles des cultures soufies venant d’Inde, de Turquie, d’Iran…

Sur le thème du voyage, cette édition est organisée de telle sorte à faire voyager à travers les splendeurs du Monde musulman, autant le passionné de spiritualité, que le croyant ou l’agnostique le plus sceptique d’entre nous.

L’organisation d’un tel évènement à l’impact international ne peut nous empêcher d’évoquer la dimension diplomatique qu’il génère en termes de rayonnement du Maroc et de la ville de Fès en particulier. Il s’agit d’une « diplomatie culturelle » dans son acception la plus noble, celle de fédérer des traditions culturelles mondiales autour de valeurs universelles de paix, de civilisation et d’humanisme spirituel.

Le Soufisme, un rempart à travers l’histoire contre l’extrémisme

En guise de bref rappel historique, évoquons les débuts du soufisme au Maroc à travers ces religieux ascétiques venus d’Orient qui accompagnent dés les débuts du VIIème siècle, l’expansion de la religion musulmane naissante en Afrique du Nord. Une expansion rapide face à une religion chrétienne à l’époque affaiblie par de profondes dissensions théologiques. Le Maroc du fait de sa position géographique entre l’Occident et l’Orient, porte d’entrée africaine, est alors traversée par un brassage des courants doctrinaires qui se disputaient au sein de l’Islam émergent  la prédominance entre mutazilisme, chiisme yazedite, khawarij, synchrétisme…

A cette époque, les soufis qui n’étaient pas encore désignés comme tels, fondaient des « Ribats », lieux d’isolement, de prières, d’enseignement de la religion et de la langue arabe, voire parfois de résistance religieuse aux autres courants extrémistes. Les plus connus au Maroc chez les historiens (Ribat Sidi Chiker, Ribat Ajwaz, Ribat Oqba, Ribat Abou Selham, Ribat Sidi Ali Boutchich…).  Les soufis se distinguaient par leur ascétisme et leur détachement de la vie matérielle.

Mais il faudra attendre entre la fin du XIeme siècle et le XIIeme sous la dynastie des almoravides et la dynastie almohade pour que le soufisme se formalise en un mouvement de pensée unifié structuré autour des Ribat’s, qui étaient clairsemées  au sein du Royaume. Ils étaient d’abord, des Ribat’s (Liens) ensuite Taïfa’s (groupes) pour prendre finalement la forme de Zaouïas (Centres), centres d’enseignement religieux et de rassemblement autour d’un Cheikh, considéré comme héritier et transmetteur de la chaîne initiatique du prophète Sidna Mohammed.

Au Maroc, les traditions soufies sont fortement ancrées dans les milieux populaires jusqu’aux fins fonds des zones rurales. Malgré qu’ils soient parfois combattus avec véhémence par l’orthodoxie doctrinaire, au Maroc, le soufisme a néanmoins traversé les siècles du fait de cet ancrage populaire et de traditions adaptées aux coutumes ancestrales locales. Parfois seules les zaouïas dans les contrées reculées, constituaient le lieu de rencontre des communautés locales, avec une valeur ajoutée certaine en termes d’enseignement religieux et de contribution au  lien social.

Une donnée rappelée par Sa Majesté le Roi en 2013 dans son message à la 2eme rencontre mondiale Sidi chiker à  Marrakech en  2013 : « les rencontres soufies au sein des confréries « centre de rassemblement soufis, de rayonnement spirituel et d’essor civilisationnel… le Maroc qui en a posé les jalons n’a eu de cesse d’en perpétuer les traditions tout au long de son histoire millénaire  »

Le Maroc, creuset de la  tolérance religieuse

Aujourd’hui, le soufisme est officiellement constitutif des trois piliers fondamentaux du socle religieux marocain  « La doctrine asharite, le rite malékite et le soufisme sunnite» ref. Ahmed Toufiq, Fès décembre 2017.  Un islam certes fondamentaliste voire conservateur, de tradition malékite, mais réfractaire historiquement aux courants extrémistes qui ne jurent que par la Charia. Celle-ci étant elle même sujette à controverses historiques, interprétations et instrumentalisations qui ont atténué sa force théologique au sein des différentes écoles doctrinaires. Les Oulémas marocains sous l’égide des monarques et de la clairvoyance de « Imarat Al Mouminine », ont su domestiquer les éléments forts de la Charia les plus conformes aux fondamentaux de la Sunna, en évitant les excès d’interprétation tels que vécus par exemple dans d’autres régions du monde musulman.

Aussi, l’interaction doctrinaire entre ces trois différents piliers de l’Islam au Maroc a-t-elle permis aux autres vecteurs identitaires du Royaume de coexister, notamment, celles issues des cultures hébraïques et des cultures berbères qui ont été préservées et dont la valeur historique et structurante de l’identité nationale est consacrée dans la constitution de 2011.  La préservation de la diversité culturelle a été permise notamment par les vocations « ijtihadistes  de tolérance » issue  du rite malékite associé à la doctrine asharite et aux traditions soufies pratiquées dans le respect de l’esprit des textes coraniques et de la Sunna.

Le rite malékite, pour illustrer nos propos est l’une des quatre principales écoles de jurisprudence de l’Islam sunnite. Il accorde sur le plan de l’interprétation juridique,  une grande importance à l’intérêt général, au contexte, au consensus et aux coutumes locales. Il favorise l’intégration des tribus, des étrangers et des minorités. La doctrine « asharite »,  quant à elle, a une vocation théologique et se situe de ce point de vue entre le traditionalisme littéraliste et le rationalisme mutazilite.

Festival de la culture soufie de Fès, une vocation culturelle, artistique et intellectuelle

Le festival de la culture soufie a cette particularité de mettre en perspective les éléments culturels du soufisme qui participent au message humaniste universel.  Fès, capitale spirituelle du Royaume, riche de son patrimoine religieux, entend par ces rencontres culturelles issues des traditions soufisme qui parsèment le monde musulman, valoriser les valeurs civilisationnelles de paix et de coexistence des différentes visions spirituelles.

Le monde aujourd’hui est défiguré par la multitude de crises que nous provoquons et qui nous dépassent ensuite. On peut citer la violence des systèmes économiques, les guerres soi-disant « civilisationnelles », la xénophobie, le repli sur soi, les effets du réchauffement climatique, la crise sanitaire….

Par conséquent, le mérite d’un tel  festival est d’offrir un moment de répit et  un espace pour célébrer ce qui est fondamental chez l’homme. A savoir, la pleine conscience de sa vulnérabilité existentielle, un moment pour lui rappeler cette « insoutenable légèreté de l’être » comme dirait l’écrivain Milan Kundéra et  qui contribue, si ce n’est  que le temps d’un instant soufi, à sonder son âme intérieure. Et, ainsi renforcer foncièrement la  capacité humaine au recul, à la réflexion intime, à la communion et à la résilience.

Crise sanitaire oblige le programme combine, une légère participation en présentielle nécessaire pour certains intervenants dans le respect des règles sanitaires avec une organisation qui sera pour l’essentiel en version digitale. La programmation a été conçue autour de visites pédagogiques des sanctuaires religieux de la ville diffusées en « podcasts », d’expressions artistiques et de chants samaa, de mises en scène de lectures des textes soufis pour mieux nous en imprégner, de tables rondes pour susciter le débat et la réflexion. En parcourant le programme et ses concepteurs, on notera qu’il résulte d’un haut niveau d’expertise artistique et d’une connaissance à spectre mondial des cultures soufies. Il est captivant autant pour les initiés que pour les non initiés.

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