France-Maroc :Le vrai du faux et l’incontournable amitié

Par Hassan Alaoui

 La rumeur, à force, transfigure de plus en plus le champ des certitudes et semble gouver­ner le monde. Evoquer la culture des « fake-news », c’est sacrifier à l’euphémisme, tant il est vrai qu’elles résistent au démenti qui leur est opposé. Dans le cas d’espèce, nous sommes confrontés à ce que d’aucuns, prompts à interpréter les événements sous la dimension conflictuelle, ont cru nous révéler une prétendue crise profonde entre le Maroc et la France. Le florilège de textes, de commentaires et de déclarations n’en finit pas de nous fourvoyer et de nous faire prendre des vessies pour de lanternes lumineuses.

En fait de crise entre les deux pays, il y a lieu de parler, encore que c’est le moins sûr, de « crispation » pour reprendre le terme inventé par Valéry Giscard d’Estaing. La relation maro­co-française , par son intensité et sa profondeur, nous a depuis toujours habitués à une fluidité linéaire, ponc­tuée de temps à autre par des crispa­tions qui, paradoxalement, ponctuent une relation difficile.

 Nulle part, nous ne percevons de manière officielle des éléments qui accréditeraient la thèse d’une crise quelconque entre Paris et Rabat. Les « choses suivent leur cours normal », nous assure-t-on et s’inscrivent plutôt dans la continuité.

 La France a nommé une nouvelle am­bassadrice, en août dernier à Rabat, en la personne de Hélène Le Gal qui a succédé à Jean-François Giraud, une personnalité au fait des questions africaines notamment de par la fonction qu’elle exerçait au Quai d’Orsay et qui a transité par Israël, poste difficile d’observation.

Qu’il y ait un « silence » – comme d’aucuns l’affirment non sans raison, ne signifie guère l’existence d’une crise ou­verte, encore moins celle d’un risque ex­trême qui mettrait leur relation en péril. La France et le Maroc, c’est une « histoire » qui remonte à de longues décennies voire à des siècles. Les deux pays partagent une « histoire commune », et quelle que soit la nature du régime en place en France, li­béral ou socialiste, la relation avec le Ma­roc échappera toujours aux critères de la conjoncture et transcendera la volonté de quiconque tentera de la dénaturer. C’est si vrai que , de part et d’autre, l’on n’hé­site guère à affirmer « qu’une vraie rela­tion d’amour » comporte toujours sa part d’ombre et de crise latente.

Jusqu’ici le projet de réunion de la Haute Commission mixte franco-maro­caine, prévue à la date du 19 décembre prochain à Paris qui sera coprésidée par Edouard Philippe et Saad Eddine El Oth­mani, reste maintenu, chaque partie prépa­rant ses dossiers avec assiduité. Il y sera question , certes, de traiter les dossiers traditionnels de coopération économique et financière, ce « serpent de mer » de l’immigration qui est à présent à la po­litique en France ce qu’un test de survie électorale est aux partis politiques ; les relations commerciales mises à mal mais non insurmontables, les investissements et, nourrissant ici et là des inquiétudes jus­tifiées, cette question d’échanges d’infor­mations sur les avoirs des binationaux et la fiscalité qui lui est consubstantielle. Il est de fait que des discussions franches et sereines s’imposent, elles sont impératives entre les deux parties, comme également se trouvent sur « la table » des dossiers que la Commission mixte devrait prendre en charge, le plus important étant que la confiance devrait prévaloir et constituer le ressort de la coopération bilatérale.

Si certains « commentateurs » zélés et ostensiblement portés à la critique ou en quête du poil à gratter, semblent impatients à imaginer malentendus, discordance, voire défaillance, la réalité franco-maro­caine ne se nourrit jamais des campagnes de dénigrement. Elle est au-dessus des confidences des chaumières. Souvent, les esprits chagrins invoquent le cas de l’Es­pagne qui aurait pris la place de la France en termes d’échanges commerciaux, celle-ci devancée par celle-là et donc susceptible de modifier la traditionnelle perception que nous avions ainsi que la configuration verticale de partenariat. En réalité les deux pays que sont l’Espagne et le Maroc demeurent deux incontestables partenaires, leaders chacun en son champ, deux pays européens qui portent aussi un héritage commun avec le Maroc, sur les plans historique, géographique, diploma­tique et humain.

Le Maroc est incontestablement leur prolongement et, mieux, leur « profondeur stratégique ». On peut sans doute modifier voire falsifier l’histoire, mais jamais la géographie, tant les rapports triangulaires sont profonds, les métissages si enracinés et une commune destinée ont dessiné de­puis des lustres leur visage, et tracé leur horizon. La France reste, quoi qu’on en dise, un partenaire de premier plan pour le Maroc, le soutien précieux qu’elle exprime à ce dernier, l’engagement qu’elle prend notamment au Conseil de sécurité dans l’affaire du Sahara, sont inestimable. Il n’a jamais varié d’un iota, depuis toujours, aussi bien sous les pouvoirs de la droite que de la gauche. La coopération écono­mique quant à elle reste d’autant plus in­variable, inspirée du même principe de fi­délité réciproque , que les groupes français importants renforcent leur implantation au Maroc et , la COFACE pour ne citer que cette institution de mesure n’a de cesse de renouveler ses témoignages élogieux à l’égard du Royaume. Une note française se réjouit que « la France reste un par­tenaire économique majeur du Maroc, malgré l’accroissement de la concurrence dans les domaines du commerce et des in­vestissements. Les exportations françaises vers le Maroc ont connuun léger recul de 2% en 2017. Les exportations marocaines à destination de la France ont augmentées de 52% entre 2012 et 2017. Cette hausse est concentrée sur les produits textiles, les composants électriques et électroniques et les produits agroalimentaires. Globa­lement, les évolutions récentes tendent à confirmer la montée en gamme des expor­tations marocaines, davantage orientées vers des produits industriels.

Et d’affirmer tout compte fait que « La France maintient son rang de pre­mier investisseur étranger au Maroc. En 2017, la France a réalisé 31,4% (737 M EUR) du flux net total des IDE reçus par le Royaume, largement concentrés dans l’industrie. Avec plus de 900 filiales d’en­treprises françaises recensées, le Maroc est la première destination des investisse­ments français sur le continent africain. A noter que 33 des 40 entreprises du CAC 40 sont présentes au Maroc » . Comme l’on dit, il n’y a pas photo…

L’arrivée à la tête de la République fran­çaise d’Emmanuel Macron en mai 2017 n’a pas changé la donne ou le tropisme promarocain de l’Elysée. Une relation amicale s’est tout de suite nouée entre ce dernier et le Roi Mohammed VI qui, au fil du temps, a été convié régulièrement aux manifestations internationales organisées en France. Signe s’il en est besoin d’une bonne entente entre les deux chefs d’Etat. A l’inauguration du premier LGV, al Bou­raq, en novembre de l’année dernière, Emmanuel Macron a fait lui-même le dé­placement à Tanger et, sourire éclatant et accolade chaleureuse, coupé le ruban avec le Roi. Le projet du train rapide al-Bouraq , tout comme celui du tramway de Rabat et Casablanca sont le fruit du partenariat entre l’ONCF, la SNCF, la RATP et le groupe Alsthom. Il illustre une dimen­sion exceptionnelle en termes d’investis­sements, de technologies, de maîtrise, de suivi, de formation et de maintenance, la France ayant réalisé une avancée majeure dans le continent africain.

C’est peu dire , en effet, qu’au-delà de cette réalité tangible, la coopération maro­co-française ne se résume pas aux chiffres et aux courbes. Pourtant, elle illustre abon­damment un spectral développement en termes de réalisations, de projets en cours, de perspectives à long terme. Une note du Quai d’Orsay illustre bel et bien la den­sité de cette relation en ces termes : « Le Roi Mohammed VI avait choisi la France pour effectuer sa première visite d’Etat à l’étranger en mars 2000. Le président de la République s’est rendu au Maroc pour une visite d’amitié à l’invitation du Roi, les 14 et 15 juin2017, soit moins d’un mois après son investiture et pour le premier déplacement bilatéral du chef de l’Etat hors d’Europe. Au terme de deux mois de présence en France à la suite d’une opéra­tion chirurgicale, Mohammed VI s’est en­tretenu avec le président de la République le 10 avril 2018, à Paris. Mohammed VI a également participé aux commémorations de l’armistice le 11 novembre 2018. Le président de la République s’est rendu au Maroc le 15 novembre 2018 pour l’inau­guration, aux côtés de Mohammed VI, de la ligne à grande vitesse reliant Tanger à Kenitra, fruit d’un partenariat bilatéral ». Autant dire que la dimension affective voire sentimentale de la relation bilatérale est en quelque sorte une manière de socle.

Pour la France, le Maroc est un parte­naire sécuritaire de premier plan. La coo­pération à ce niveau , mise à l’épreuve des tragédies vécues en 2017 et 2018, ont plutôt mis en relief l’efficacité du soutien des services de sécurité marocains dans les opérations de neutralisation et de dé­mantèlement des groupuscules terroristes en France. Il peut exister en effet une ma­nière de malaise, sourd, muet et relative­ment interpellatif – ce qu’on appelle un flot de nuage – dans les relations entre la France et le Maroc. Encore que ni l’une ni l’autre n’en font état, à tout le moins ou­vertement. Comme l’hirondelle ne fait pas le printemps, le merle ne fait par l’hiver…Le diplomate averti qui nous a assuré que les « dossiers sont sur la table » a ajouté qu’une « relation d’amitié forte a aussi besoin de temps en temps de secousses » et en tout état de cause, cela ne peut que « constituer un saut qualitatif pour pou­voir aborder les sujets stratégiques ».

Dont acte…

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