Geneviève DORMANN: Dernier bivouac d’un hussard en jupons

Le 13 février dernier, Geneviève Dormann s’éteignait à Paris. Amie des Hussards, elle était passionnée de voyages et de découvertes. Eblouie par le Maroc, elle y retrouvait «l’âme des peuples anciens, le respect de la tradition et l’ouverture vers un avenir à hauteur d’homme». Ecrivaine, journaliste, femme de radio et de télévision, elle a traversé son époque fidèle aux préceptes de ses amis : avec fidélité, légèreté et au grand galop.

«C’est une drôle de femme. Elle a au moins trois caractères différents, elle n’est pas facile à résumer. Chez beaucoup, on appelle ça de la complexité, on trouve ça excellent, un signe de richesse… Chez elle, c’est d’une brutalité totale : d’un plan à l’autre, il n’y a rien. … Elle est intelligente, seulement on ne la voit pas s’intéresser aux « choses de l’esprit » : elle est carrée, c’est une nature forte. Si elle touche aux idées, c’est en les faisant un peu saigner au passage, pour voir si elles sont vivantes.» Roger Nimier appréciait Geneviève Dormann. En fidèle hussarde, elle a quitté son dernier bivouac le 13 février dernier. Elle avait 81 ans.
Son père Maurice Dormann est ouvrier-typographe, imprimeur, puis grièvement blessé pendant la Grande Guerre en 1916, il devient journaliste et directeur du Réveil d’Étampes, puis est élu député et sénateur. Il sera aussi brièvement ministre en 1930.
Enfant, elle puise dans la bibliothèque de son père et dévore tout. Elle se lance tout naturellement dans le journalisme en 1959.
Alliant la verve, le style, elle est de ces esprits qui ne célèbrent pas un anticonformisme de façade. Comme Philippe Muray, elle ne cesse d’analyser, de contextualiser des phénomènes modernes et grotesques, qui à force de nous noyer, ont fini par apparaître souhaitables au plus grand nombre. Armée d’un subtil cocktail de cynisme, de perfidie et d’élégance, elle dégomme les démagogies de son temps. Pour elle, cette chasse à la bêtise doit paradoxalement cheminer à travers les invectives et les outrances pour toucher son but. De façon parfois impatiente, polémique, et souvent forcenée : Geneviève Dormann c’est un certain ton, une violence, une intransigeance, une franchise, une hauteur, une exigence, une personnalité, un caractère, une gouaille.
Très tôt, elle se lie d’amitié avec les Hussards. Nimier incarnait avec Antoine Blondin et Jacques Laurent, le courage des écrivains irréductibles à la pensée sartrienne alors toute-puissante comme à l’esprit de défaite, d’épuration et de repentance régnant en maître sur le monde des lettres. Farouchement attachés à la séparation des pouvoirs du politique et du littéraire, ils cultivèrent avec elle les qualités qui conservent à la littérature française l’éclat de son génie particulier : panache, lucidité et naturel, secret du grand style explorant les intermittences du cœur et les gouffres du hasard.
Après avoir écrit pour Marie Claire, Le Figaro Magazine, Le Point et Le Nouveau Candide, Geneviève Dormann entame une carrière d’écrivain, tout en continuant à travailler dans la presse écrite et la radio.
Roger Nimier lui fait alors un canular : il lui envoie de faux courriers de Gaston Gallimard, d’Henri de Montherlant – auquel il fait dire qu’«une nouvelle Colette est née» – et d’Hélène Lazareff louant son talent.
Son caractère trempé, son goût de l’aventure et des voyages – au Maroc, en Indochine ou à l’Ile Maurice –, son esprit provocant, souvent à contre-courant des modes idéologiques, se retrouvent dans ses romans.
«La Fanfaronne », comme la surnommait Blondin, avait ses jours comme les duchesses du temps passé. Tantôt elle vous faisait fête. Tantôt ses yeux bleus devenaient lasers et vous sciaient en deux. Ou trois. Ou quatre. Peu importe.
«Elle n’était pas méchante contrairement à ce qui se disait dans Paris, mais elle se serait fait pendre pour un bon mot. Ou un calembour. Et puis elle détestait les cons. Les pédants. Les pleins de soupe. Les rapiats. Et les Tartuffes.» écrit d’elle Irina de Chikoff.
Les nouveaux bigots de l’époque étaient de gauche. Cœur dur et tripes molles, comme disait Marguerite Yourcenar. Marguerite, elle l’aimait au point d’avoir adapté pour le cinéma son Coup de grâce. Geneviève aurait bien aimé avoir écrit ce petit chef-d’œuvre. Ou le Hussard bleu de Roger Nimier.
Anar, libertaire, luronne d’une droite buissonnière, insolente, elle pratiquait, comme ses aînés, l’ironie par désenchantement. Tendresse blessée. Les années grisaillaient. Et plus elles passaient, plus Geneviève se sentait «comme un océan transformé en lac et qui aurait la nostalgie des marées»
En 1967, elle rate le Prix Interallié au profit d’Yvonne Baby, puis en 1974, de deux voix; il revient finalement à René Mauriès pour Le Cap de la gitane.
Elle fait partie du comité éditorial du magazine Géo à sa création en 1979.
Amie des Hussards, elle est également proche de Kléber Haedens et Jean Dutourd. Elle est par ailleurs membre du Club des ronchons dont ce dernier est un des piliers.
«Il est clair que je n’ai pas ma place dans ce monde, parmi ma génération, au sein de cette civilisation. Je vais écrire quelques romans, et puis j’éclaterai comme un feu d’artifice et j’irai chercher la mort quelque part. La pensée de mourir est finalement ce qui me console le mieux de tout.» Elle encensait Huguenin et ses romans précoces et prometteurs.
En 1975, avec Robert Aron, Thierry Maulnier, Roger Bésus, Dominique Jamet et Claude Joubert, elle cosigne une lettre au Monde, où elle s’insurge de l’article d’un universitaire faisant profession d’« aller cracher sur la tombe » de Robert Brasillach.
En vain a-t-elle tenté d’être de son temps et de son milieu. Elle en a vite été excommuniée pour absentéisme et scepticisme. Anarchiste de droite, elle n’a jamais occupé pas une position facile.
Les uns lui reprochent d’être plus de droite qu’anarchiste ; les autres d’être plus anarchiste que de droite. Dans le fond, elle-même ne savait pas trop où elle se situait.
En 1980, elle dénonce dans la presse les « prix truqués, jurés achetés », visant expressément le Goncourt.
Elle avait ses marottes : le matérialisme vautré de notre époque, la technocratie, le snobisme, l’attention au collectif, l’affirmation d’une égalité, l’exaltation de notre sempiternelle perfectibilité. Elle aimait tirer sur tout ce qui bouge, tout ce qui se costume en «avant-garde», esthétique, intellectuelle, politique : le moderne.

«En fait, le nombre n’est rien, mais personne n’a le droit de le dire» (Anouilh)

Le 25 janvier 1996, elle déclare sur France Inter que «Louis XVI était très populaire à l’époque», qu’«il aurait suffi de faire charger l’armée pour les sauver, lui et la France» et qu’ainsi «on n’en serait pas là aujourd’hui».

Sagan la décrivait ainsi : «Certains la déclarent grand voyou, avec ce ton que prennent parfois les mères lorsqu’elles parlent de leur progéniture ou les amants lorsqu’ils reprennent leur souffle après un baiser fougueux. Elle a ce profil de rapace des condottières et des manières de bonne famille ; une posture qui agace. La voilà promenant légèrement une aisance physique, une physionomie : d’une beauté surnaturelle, scandaleuse, «de ces beautés indécentes à porter pour une femme».

Il y a dans ce flot de constatations un parfum de déchéance qui peut plaire. Incontestablement, cela flatte quelque chose en elle. «On a toujours envie de flirter avec la décadence lorsqu’on est sûr d’en rester le maître», disait-elle.

«Geneviève Dormann, c’est quelqu’un à qui on ne la fait pas. La façade ne l’impressionne pas, car elle connaît les coulisses», écrivait Jacques Laurent, « le pouvoir pour elle était méprisable, non parce qu’il est bas en lui-même mais parce qu’il est bas de le vénérer».

S’il est une notion qui lui est étrangère, c’est celle de société, un de ces noms qui vous obligerait à croire au collectif. Compassion et empathie sont moquées. L’humanité figurerait plus volontiers dans son vocabulaire. Même si elle apparaît souvent pauvre, sinistre et sordide. Dans ses livres, le capitalisme n’est pas dénoncé en lui-même, mais elle affiche sa volonté de bouffer du bourgeois, de casser du ploutocrate : au fond, elle reprochait à la bourgeoisie de ne pas se comporter en aristocrate.
Jusqu’à son dernier bivouac parisien, seule face à la maladie, Geneviève Dormann est restée fidèle au galop séduisant et désinvolte des Hussards.

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