Gouvernants : donnez-nous de l’espoir mais faites-en une réalité

Par Souad Mekkaoui

 Quand la peur, l’une des émo­tions humaines les plus puis­santes et les plus intenses, se conjugue au pluriel et qu’elle nous tenaille les entrailles au point de nous ankyloser, quand on nous donne l’espoir avec de belles paroles avant de le réduire à néant en nous privant de faire de cet espoir une réalité, quand, petits, nous sommes démotivés et découragés, il nous est difficile d’avoir confiance en l’avenir et surtout d’espérer. Nous descendons de notre petit nuage et nous nous concentrons sur nos doutes et nos craintes.

Mais alors de quoi avons-nous peur au juste?

La question est à l’époque ce que la prise de conscience est à l’Homme. Elle s’est transformée en euphémisme parce qu’elle recouvre tout un champ d’autres interrogations subsidiaires : Comment en sommes-nous arrivés à tout cela ? A ce point de non-retour, que pourrions-nous faire pour nous en sortir ?

Ce qui nous fait peur aujourd’hui, c’est ce sentiment d’être submergé par un cou­rant d’abandon et de passivité voire de laisser-aller qui confine à la résignation. Or, rien ne détruit une société que la perte de confiance en elle-même et le sentiment de désabusement et de désillusion. Les grandes batailles se gagnent collective­ment avec la volonté de souder les espoirs et de fédérer les ambitions. Les questions nationales, régionales et locales nécessitent un consensus qui ne souffre d’aucune am­biguïté. Aujourd’hui, non seulement il n’existe pas de consensus, mais la notion de débat nous fait cruellement défaut.

La société marocaine est diffractée, livrée à elle-même et souvent contre elle-même, parce que le débat est absent, n’existe pas et parce que le bavardage, l’invective et les condamnations sans ap­pel prennent le pas sur la raison. A cela plusieurs causes : l’éducation, l’enseigne­ment et la culture ne relèvent pas, depuis longtemps, de la tradition chez nous. C’est d’autant plus vrai que le parti de l’obscu­rantisme est en train de dominer les pans entiers de la société et que, par défaut, les conservateurs se substituent aisément à l’Intelligentsia censée animer le débat et nous sortir de l’ornière des sentiers battus.

Les gouvernements se succèdent, les gestions se superposent avec le même discours, les satisfécits, les proclamations vertueuses et les suffisances manifestes. A l’ère du numérique où les opinions toutes faites et massifiées sont le lot des popula­tions paresseuses, convaincues, à l’avance, et peu portées sur l’effort, les dérives radi­cales deviennent la tentation totalitaire. Le moindre effort – je veux dire ici la culture du sens critique – ordonne une lignée moutonnière. Les fake-news, concoctées dans les officines troubles, deviennent la règle du jeu, pour la mise en réseau d’une sous-culture, sous-jacente de médiocrité livrée, chaque seconde, à l’état brut, ava­lée comme vérité intangible, partagée à l’échelle mondiale.

Nous sommes confrontés – et c’est l’autre inquiétude grave – à une vision apocalyptique qui confine au désastre in­civique. La religion qui est censée nous réunir et solidifier les liens, est désormais l’enjeu d’une vaste manipulation menée par des sicaires engoncés dans leur ver­tu, adeptes de cette rhétorique usée de « revanche des humiliés » qui sèment la haine…

Notre mode de vie est devenu tellement caricatural, superficiel et vide de sens! C’est l’ère du prêt-à-penser, du prêt-à-consommer, du copier/coller, du confor­misme intellectuel et de l’abêtissement en masse. Plus d’effort personnel… les prototypes sont abondants… On ne pense plus à penser : passifs que nous sommes devenus, on reçoit tout, on avale tout, tout est bon parce que tout s’offre à nous. La paresse gangrène, la réflexion n’est plus la bienvenue, la mésintelligence la supplante. Ne doit-on pas avoir, aujourd’hui, peur de cette société de loisirs, de spectacle, de voyeurisme et de consommation où la culture n’a pas de place ? De cette torpeur où on plonge, insensiblement, loin de la pensée qui réveille les consciences ?

Or comment espérer mieux sans esprit critique ni autocritique ? Celui-là même qu’on a étouffé dans nos écoles donnant l’avantage à un bourrage de crâne inutile. Faut-il rappeler que tout enseignement qui n’aboutit pas au développement et à l’épanouissement de la personnalité de l’apprenant est foireux et voué à l’échec ? Pourquoi alors en vouloir aux élèves et aux étudiants dont on n’arrête pas de blâmer le manque voire l’absence de réflexion et d’analyse? C’est à eux d’en vouloir à tout un système qui, par une vision étriquée et étroitement techniciste, a fait d’eux des victimes passives d’un système asphyxié!

Notre grand malheur est que la paresse intellectuelle est l’alliée de la renonciation à ce qui fait notre humanité et ouvre la porte au dérapage et aux dérives fascisantes. Les masses plongent dans un abattement effrayant, obnubilées par de nouvelles ad­dictions qui éloignent les gens des réalités de la vie et les empêchent, sciemment, de s’ouvrir et de s’intellectualiser. Aussi nos jeunes deviennent-ils des proies faciles à l’endoctrinement, au lavage de cerveau et à la manipulation. Ceux-là mêmes qui, dans un délire collectif, se travestissent en bombes humaines, commettent l’irré­parable au nom de la religion, terrorisent, tuent au nom de Dieu, sèment la psychose.

Et ce sont des scènes pareilles qui nous maintiennent en otage de doute et de peur pour nous et pour nos enfants. Oui, On a peur de l’avenir, on a peur de demain, on a peur de l’ « hogra », des abus de pouvoir et de l’injustice. On a peur de et pour ces jeunes qui se déchaînent parce qu’ils en veulent au monde entier d’être nés dans des familles pauvres et exclues. On a peur de et pour ces jeunes qui n’ont plus rien à perdre et n’ont peur de rien. Animés par une haine sociale qui engendre rage et dé­sir de vengeance, vandalisme et agressions ne sont toujours pas loin. On a peur de et pour ces jeunes qui n’ont plus de re­pères, de valeurs, de civisme et qui ne mesurent pas la portée de leurs actes irréfléchis et inconscients, s’attaquent aux biens publics, aux jeunes qui réussissent et à tous ceux qui repré­sentent l’autre modèle de vie qu’ils ne peuvent espérer mener.

Les gouvernements ont réussi à creuser une excavation entre les classes sociales qui se regardent, dé­sormais, en ennemies et s’affrontent à couteaux tirés.

Quand la société à laquelle nous appartenons ne correspond plus à nos aspirations, le doute et les incer­titudes règnent majestueusement et la peur nous colle à la nuque laissant fuser des interrogations qui nous triturent et nous torturent.

Pour plusieurs, le tableau n’est pas aus­si opaque que je donne à voir, dira-t-on. Mais ne fuyons pas notre regard dans le miroir parce que la réalité des choses nous rattrape par la nuque. J’ai mal parce que j’aime mon Maroc et j’ai mal pour mon pays. J’ai peur dans ce Maroc en marche, qui avance à la vitesse du TGV – nouvelle réalité du Maroc – mais où les mentalités régressent à grands pas. J’ai peur pour ce Maroc dont l’excellente image de marque arborée dans les quatre coins du monde, bouge à plusieurs vitesses pour ses habi­tants. J’ai peur pour mon pays de ses en­nemis qui le lorgnent de l’extérieur mais surtout de ceux qui sont nichés dans son giron et qui sont connectés à l’international malveillant. J’ai peur de tous ceux dont le but est de semer la terreur et d’installer une psychose générale afin de porter atteinte à la sécurité et à la stabilité du Maroc.

Heureusement qu’un modèle sécuri­taire performant est mis en place sous la conduite de Sa Majesté le Roi.

Il est vrai que le monde entier est en perte d’harmonie, en effervescence et qu’il n’y a plus de sanctuaire sur la planète Terre. Crise mondiale, révolutions, chô­mage, décisions politiques contraignantes et impopulaires … les médias nous ren­voient une vision de l’avenir pas très ras­surante à croire que les prémices d’une troisième guerre mondiale pointent à l’ho­rizon. Il est vrai que le Maroc a fait face à grand nombre de perturbations en gardant sa stabilité à un moment où plusieurs pays arabes ont cédé aux secousses. Il est vrai que notre pays s’est donné les moyens pour hisser le drapeau rouge dans tous les domaines. Il est vrai que tout ce qui se passe, actuellement, est normal dans l’histoire de tout pays en pleine mutation. Il est vrai que le monde est devenu aléa­toire qu’on soit en Californie, en Syrie, au Yémen, en Afghanistan ou au Japon. Mais force est de constater qu’un malaise géné­ral et un sentiment d’inconfort, de mal-être, de blues collectif, d’incertitude, de peur, de déception et d’apathie déploient leurs ailes, ravivés par l’incompétence de certains dirigeants et l’inefficience de plusieurs institutions. C’est pourquoi l’ur­gence nous interpelle. Et pourtant, que faisons-nous pendant ce temps ? Nous sommes là, égoïstes, individualistes, vindi­catifs, aigris, cupides, sexistes, antisémites et racistes!

Bien évidemment, de l’autre côté du vent, il y a ceux qui nous regardent du haut de leur tour d’ivoire, avec un regard dédai­gneux limite sarcastique pour nous ren­voyer à nous-mêmes. « Vous êtes sérieux ? Vous angoissez ? Mais pourquoi donc ? Tout va bien » semblent-ils nous balan­cer, railleurs et aigres. Oui, tout ira bien, c’est sûr. En tout cas, c’est la réponse que l’on donne souvent à ceux qui ne voient en l’avenir qu’un flou inquiétant et angois­sant. D’ailleurs, le vrai grand courage, au­jourd’hui, c’est résister et ne pas céder au pessimisme ambiant.

Le Maroc a toutes les ressources hu­maines, notamment au sein de sa jeunesse, pour devenir acteur de changements et d’évolution. Mais au grand malheur du pays, ces jeunes qui dépassent la moitié de la population se voient freinés dans leur élan par une génération de responsables qui résiste au changement et freine des quatre fers. Aujourd’hui donc nous assis­tons à un choc culturel et à des paradoxes insaisissables parce que l’évolution socié­tale se fait dans les conflits et les contradic­tions. D’autant plus que les Marocains se trouvent confrontés à la mondialisation à laquelle le pays s’ouvre sans que le peuple n’y soit préparé. Sans parler du contexte politique plus enclin à créer, ou du moins, à participer aux nombreuses crispations qui remuent le Royaume. Ce qui, dans la plupart des temps, donne naissance à des débats extrémistes et stériles qui ne font qu’enfermer et maintenir, un peu plus, notre société dans sa propre bulle de dou­leur. Heureusement qu’à côté, il y a ces jeunes Marocains conscients et éclairés, qui militent et oeuvrent pour contribuer au changement autour d’eux et dans leur pays.

Beethoven disait : « Si tu veux être in­ternational, chante ton pays ». Moi, je le chante et le déifie parce que c’est MON Maroc. Et je veux que mes enfants puissent y vivre à l’abri de cette peur de l’arbitraire à tous crins, de l’aléatoire à tous vents, de demain tout simplement et de l’inconnu.

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