Un gouvernement sans quatre ministres majeurs, c’est l’exception marocaine

Vous l’avez certainement remarqué, le calme reprend ses droits, un tant soit peu, sur notre scène politique. D’aucuns diront que les sorties clownesques et houleuses de l’ancien chef de gouvernement qui animaient leur quotidien leur manquent. Mais force est de constater que le populisme, qui a failli secouer le Royaume, a quitté bel et bien le champ politique. En effet, les punchlines tous azimuts -langage favori entre Abdelilah Benkirane et Hamid Chabat- qui ponctuaient les journées des Marocains et qui dominaient la scène, ces dernières années, font désormais partie d’un répertoire propre à une période mouvementée où on assistait, en spectateurs amusés, dans un premier temps, mais outrés et impuissants par le niveau bas qui engloutissait la politique au pays, ensuite. Aujourd’hui, grâce est plutôt rendue à Saad Eddine El Othmani qui a ramené l’accalmie sur le paysage bien que certains lui trouvent un excès, tout de même. Il faut dire que nous vivons un choc thermique passant de l’extrême agitation d’un ancien chef de gouvernement qui divulguait, à grand bruit, toutes les messes basses des hauts lieux à l’extrême silence d’un chef de l’Exécutif qui rase les murs! Le populisme dans sa version marocaine est donc derrière nous, Dieu merci. D’ores et déjà, un phénomène de liquidation s’est opéré en nous faisant faire l’économie d’une certaine anarchie politique où la médiocrité tenait lieu de vision et de système.

Aussi certains « cavaliers » de la clique radicalisée qui s’octroyaient tous les pouvoirs du temps de l’ancien numéro 1 du parti islamiste du PJD  tel un certain El Habib Choubani ou Abdelali Hamieddine et bien d’autres, se font-ils, de moins en moins, voir, depuis que le chef d’escorte a quitté le navire.

Banalisation du PJD et délivrance d’El Othmani ?

Faut-il souligner que le dernier congrès du PJD a remis les choses à leur place ou, du moins, a opéré une certaine clarification en l’asseyant sur de nouvelles bases tacites ? Ce parti, qui jusqu’à juste il y a quelques mois, affichait de façon ostentatoire son étiquette religieuse, est, aujourd’hui, un parti comme les autres, civique avant d’être religieux. Et cela est dû, incontestablement, au nouveau secrétaire général élu avec 1006 voix sur un total de 1943, au terme du huitième congrès national, qui a abrité une longue et dure polémique opposant le camp de Benkirane à celui d’El Othmani. Score toutefois serré face à Driss Azami Idrissi, candidat de l’ancien secrétaire général. Dès lors, le parti qui se targuait d’être uni se voit craquelé.

Or on croyait Abdelilah Benkirane intouchable dans sa stature de dirigeant, au sein du bureau et sur le fauteuil auquel il s’agrippait en ambitionnant un troisième mandat au lieu de laisser la place à des leaders potentiels. On le croyait adulé et vénéré par les siens qui, finalement, se sont rendus à l’évidence qu’à chaque temps, ses hommes et qu’il était temps pour lui de laisser le gouvernail à un autre. « Le PJD a donné une nouvelle leçon de démocratie interne » a affirmé le nouveau secrétaire général tout en soulignant que parmi les priorités de la prochaine étape figure le lancement d’un dialogue interne afin d’élaborer « une nouvelle vision en ce qui concerne les structures et le statut du parti ».

Il aura donc fallu beaucoup de temps avant que Saad Eddine El Othmani ne soit, enfin, délivré de la tutelle que l’ancien N1 du parti  imposait de par son don manipulateur à tous les membres du parti. Mais si le nouvel élu a pu amener Mustapha Ramid et Aziz Rebbah à voter contre Benkirane c’est qu’il peut se vanter d’avoir évincé son prédécesseur tout en gardant son sang froid. Tout à son honneur, d’ailleurs, lui qui avait un sérieux problème de légitimité au sein de son propre parti face aux partisans du meneur déchu qui rejetait catégoriquement, depuis toujours, le choix Royal d’El Othmani. Or celui-ci, ayant besoin d’avoir les coudées franches, est, aujourd’hui, aux commandes et peut, enfin, se déclarer libre dans ses propositions, ses choix et ses décisions. N’est-il pas finalement délivré des boulets qui pesaient sur sa nomination et les doutes qui entouraient son choix par le Roi ? N’a-t-il pas affranchi le parti de la lampe de l’emprise de l’ancien secrétaire général surtout qu’il a même refusé qu’il fasse partie du bureau ? De facto, cela lui a valu les reproches des partisans de Benkirane qui ont qualifié ce fait de trahison politique et traité El Othmani de Ben Arafa. Pourtant, force est de rappeler qu’il ne fait que reprendre les rênes d’un poste qu’il avait déjà occupé, durant neuf ans, avant l’arrivée de Abdelilah Benkirane.

Ce qui est certain, c’est que le chef écarté, dont la tristesse était à peine masquée parce que lâché et mis à mort par les siens, lors du dernier congrès, quitte la scène politique sans gloire. Il aura besoin de temps pour avaler sa défaite cuisante, lui, tellement sûr de lui et doté d’une ambition démesurée où les excès du « Moi » l’ont achevé. Lahcen Daoudi n’avait-il pas souligné que le PJD n’était pas « une zaouia mais une affaire de principes » ?

Convaincue donc que Benkirane, faisant feu de tous bords et suscitant conflits et polémiques, a toujours le dos qui démange et lui fera perdre la course, la formation islamiste qui dirige le gouvernement, depuis 2011, a donc opté pour une lucidité politique loin de tout sentimentalisme afin de faire l’économie de tensions que ce soit avec l’Etat ou avec les autres partis politiques.

En tout cas, pour Benkirane, pris de revers, 2017 n’aura pas été son année de chance. Ecarté du pouvoir, la période de sevrage sera, certainement, longue et dure. Toutefois et bien qu’il ait lui-même annoncé que sa mission au sein du PJD était finie, il est presqu’impossible de le croire. Il surgira là on l’y attend le moins, à coup sûr.

Crise institutionnelle ou de représentativité ?

Aujourd’hui, et presque deux mois après le séisme provoqué par la décision du Roi, le 24 octobre, quatre postes de ministres  –et pas des moindres- sont toujours vacants. C’est dire qu’une équipe gouvernementale qui fonctionne sans quatre ministres majeurs et essentiels, cela n’arrive qu’au Maroc !

Pourtant tout va bon train… Dire donc que c’est le pays de l’exception n’est pas fortuit ! Les noms des nouveaux ministres se font toujours attendre ardemment. Ce qui nous amène à nous demander si un nouveau blocage ne pointe pas à l’horizon. Le chef de gouvernement avait pourtant assuré qu’il allait se mettre à l’œuvre aussitôt les suspensions annoncées. Ne doit-il pas organiser des tractations et inciter voire exhorter les partis à proposer des noms valables pour remplacer les ministres écartés maintenant que les affaires au sein du parti majoritaire sont plus au moins rentrées dans l’ordre ? Pourquoi ce vide au sein des partis qui n’ont pas de cadres de relève à proposer pour ces ministères ? Le parti de la lampe où les pics de tension ne sont pas prêts de tomber et où les promesses de vengeance ne sont pas loin, a-t-il des profils pour représenter la formation islamiste dans la nouvelle composition ? L’Istiqlal va-t-il faire son entrée par la grande porte ? Quel sera le modèle de la nouvelle composition gouvernementale ? A analyser l’atmosphère d’un calme à se poser des questions, et dans une scène politique brouillée et ouverte à tous les vents, un casting digne des attentes des citoyens relèverait-il d’une mission impossible ? Serait-ce une politique de « continuité » gouvernementale ?

Ce qui est sûr c’est que si au lieu de rebattre les cartes et revoir les alliances, on nous sert du réchauffé, cela risque d’exaspérer le peuple. Et le Royaume ne peut tout de même pas se payer le luxe de rester, éternellement, sans gouvernement.

N’est-il pas nécessaire dans ce cas de figure de procéder à une refonte et à un véritable réaménagement du Cabinet ministériel ?

Les citoyens sont assoiffés de nouveaux visages, de profils compétents, d’un sang jeune et frais pour réajuster au mieux le gouvernement.

Or des rumeurs sorties des entrailles du PJD – mais rapidement démenties par le chef de gouvernement – avaient annoncé que des noms proposés par Saad Eddine El Othmani ont été réfutés par le Souverain. Auquel cas et si on a une crise de représentativité politique doublée d’une crise de choix ou de quête de profils, le danger est à bord.  C’est qu’on n’est pas sortis de l’auberge surtout quand on ne voit pas de nom digne de remplacer un Hassad qui commençait à peine à raviver l’espoir chez les citoyens.

En somme, désormais, Saad Eddine El Othmani sera sous les projecteurs. Il est appelé à jouer son rôle pleinement et exercer ses attributions comme le lui dicte la Constitution pour rompre avec une période où le populisme battait son plein. Sa mission ne sera, certainement, pas aisée lui qui devra jongler avec les deux casquettes sans tomber dans l’erreur de l’opposant du week-end. Avec un Exécutif fragilisé, dès ses premiers pas, par les événements d’Al-Hoceima où il a dû réagir dans l’urgence sans vision stratégique préalable et jusqu’au limogeage des quatre ministres, la tâche serait-elle facile pour un chef de gouvernement tel El Othmani qui devrait faire entendre sa voix là où les échos de la bête politique qu’était Benkirane résonnent sachant que celui-ci sera toujours dans les parages?

De grands dossiers qui nécessitent leadership politique et soutien populaire sont en instance et le nouveau chef de gouvernement, maintenant qu’il a pris le train en marche, doit faire preuve d’efficience et peser d’un grand poids. Espérons pour lui qu’il fera long feu et qu’il ne laissera pas la porte ouverte à tout venant…

 

 

 

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