Hantise des frontières, lignes imaginaires : Le funambule à la carte aux abois

Kamal F. Sadni  (Géopoliticien)

La hantise des frontières et la hantise des cartes ont un dénominateur commun, l’affolement. En termes de géopolitique avec la tête sur les épaules, on peut appeler cela un marchandage en bonne et due forme qui se veut dissuasion et éventuellement persuasion. Car l’objectif est de faire plier l’adversaire dans une équation géostratégique qui ne se résout pas par le jeu à somme nulle.

Depuis des années, la hantise des frontières, acquises injustement au lendemain de la vague de décolonisation en Afrique, en Asie, en Amérique latine, a été une arme de choix entre les mains d’acteurs étatiques nouvellement admis sur la scène internationale. Des Etats ont été créés de toutes pièces et des familles, des tribus et des ethnies ont été séparées comme l’avaient été d’autres à la veille et pendant la pénétration coloniale.

Dès lors, la bataille diplomatique a été forgée sur l’argument de l’intangibilité des frontières. Celle-ci qui n’est pas inscrite dans le droit international, mais elle est plutôt une décision politique que les acteurs bénéficiaires ont fait valoir pour avoir droit au chapitre. Les rapports de forces ont été tels qu’ils ont produit un patchwork géographique qui continue d’agresser les puristes de l’esthétique politique et les partisans de la stabilité et de l’ordre comme facteurs déterminants de la paix dans le monde.

 Qu’à cela ne tienne, cette pratique persiste bien que le contexte et les atouts tangibles des acteurs aient changé ou perdu de leur superbe. On n’en a pour illustration deux exemples limpides. D’une part, la révélation consignée dans un article commandé sur le bornage des frontières entre l’Algérie et une ‘entêté fantôme’. D’autre part, la continuité de la mascarade de certaines chaînes satellitaires arabes de présenter la carte du Maroc, en fonction de leur saute d’humeur ou d’injonctions obscures, amputée des Provinces du Sud. Elles ne sont pas les seules. Mais les autres, les TV 24 aux idiomes d’apocalypse, on comprend leurs motivations, étant soit des antennes indirectes des ministères des affaires étrangères, soit les porte-étendards d’intérêts diffus qui ne bernent plus personne.

Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, le tracé des frontières a été un cauchemar pour les décideurs algériens. Et pour cause, des parcelles de frontières ont été arrachées aux voisins depuis la pénétration coloniale en 1830 (Pennel, C.R, 2000). Car pour la France (les archives rendues publiques le prouvent sans équivoque), l’Algérie était un département d’outre-mer, contrairement à la Tunisie et au Maroc considérés comme des protectorats, c’est-à-dire, avoir été des Etats constitués avant l’arrivée de la colonisation et le demeuraient pendant sa présence. Le Maroc en est l’exemple le plus éloquent dans la mesure où les dahirs du sultan avaient force de loi et étaient une preuve tangible de la pérennité de l’Etat chérifien tout au long des quarante-quatre ans du protectorat.

Daltonisme et strabisme dans le jardin des aveugles 

Le vent en poupe, grâce à des circonstances de fortune tout au long des années 1960, 1970 et 1980, caractérisées par une lutte existentielle entre l’Est et l’Ouest, l’Algérie se présentait comme un acteur majeur régional décidé à faire la loi dans l’espace nord-africain et subsaharien. Les hydrocarbures aidant, les décideurs algériens n’auraient qu’à lever le petit doigt pour voir leurs désirs exaucés. Du moins, ils le croyaient.

Jusqu’à quel point ? Justement, au point où se rencontrent le brassage du vent et l’illusion. Car, ces décideurs étaient loin de comprendre qu’ils n’étaient que des sous-traitants géopolitiques. Tout d’abord, de la France pour des raisons que les historiens et les archives frappées du secret d’Etat finiront par dévoiler un jour.

Ensuite, l’URSS pour des ambitions plus corsées visant à rivaliser sinon à se substituer aux différentes forces coloniales et à braver celles de la Chine et des Etats-Unis. Mais aussi, pour avoir son mot à dire dans l’équation géopolitique à connotation maritime sur les côtes atlantiques.

Et c’est en toute logique que l’Algérie, poussée par une ascendance hégémonique incontrôlable a, en 1983, obligé ses voisins mauritanien, tunisien, malien et nigérien à signer des accords mettant un terme aux litiges frontaliers. Des accords qui n’ont pas pour autant régler les problèmes de sécurité et les tensions politiques à dominante tribale, comme en témoigne la situation qui prévaut actuellement dans la bande sahélo-saharienne.

Des accords arrachés dans la foulée de la constitution de l’axe Alger-Tunisie-Mauritanie parallèlement à une poussée diplomatique de l’Algérie en Amérique latine auprès des pays anti-américains a la faveur de l’arrivée au pouvoir des partis de gauche prosoviétiques. L’implication de l’Algérie dans le processus de construction de l’Union du Maghreb arabe en 1989 a été dictée par le souci de contrôler l’échiquier politique interne à un moment où les prémices de l’effondrement du Bloc de l’Est se faisaient de plus en plus imposantes.

Tant et si bien que la dernière mise en scène de l’accord sur les frontières imaginaires entre l’Algérie et une ‘entité inexistante’ est insipide et relève d’une hantise qui ne cesse de prendre des propositions paranoïaques. Un croquis qui fait fantasmer des habitants égarés à Tindouf dont les dirigeants ne peuvent plus se vanter d’incursions dans les ‘territoires prétendument libérés’ depuis que la parenthèse des zones séparant les Provinces du Sud de l’Algérie et de la Mauritanie est fermée définitivement à la suite de l’épisode d’El Guerguerat.

A moins que l’Algérie n’ait des ambitions sur le nord de la Mauritanie, personne ne voit pas de quoi l’institution militaire parle. Et la Mauritanie gagnerait bien à être vigilante, car le dessein de l’Algérie d’avoir un accès sur l’Atlantique -par agents interposés- n’est pas abandonné.  De même la Mauritanie serait avisée de comprendre la signification réelle du vote en 2020 par le parlement algérien d’une loi autorisant l’armée nationale populaire d’opérer hors des frontières.

 Le danger réside non seulement dans l’instauration ‘d’un protectorat’ dans le nord malien et nigérien (et mauritanien), mais aussi dans la gestion, après la fin de l’opération Barkhane, des divergences entre groupuscules terroristes à sa solde et dont certains dirigeants viennent des camps de Tindouf. Le Mali ayant été puni pour avoir tenté, il y a un an et demi, de négocier avec les mouvements dissidents sans l’aval, semble-t-il, de Paris et d’Alger. C’est ce qui explique la saccade des coups d’Etat et de la valse entre militaires et civils que connait ce pays.

La hantise des frontières rappelle le précédent français durant les années 1950 et le début des années 1960. La France était contrainte d’accepter la fin du protectorat sur le Maroc et la Tunisie et la décolonisation de l’Afrique de l’Ouest en vue de garder la main sur l’Algérie qu’elle avait créée à partir de 1830.  Elle a perdu sur toute la ligne.

 Ce sort risque d’être celui de l’Algérie actuelle. Depuis son indépendance, elle voit gros. Outre sa boulimie de grignoter des parcelles de territoires aux voisins sur la base de délimitations approximatives que les archives de la colonisation refusent de rendre publique, l’Algérie lorgne les pays voisins en oubliant qu’elle souffre d’une faiblesse congénitale, en l’occurrence les revendications indépendantistes de la Kabylie et les suspicions des Touaregs.

A force de viser une ouverture sur l’Atlantique via les Provinces marocaines du Sud et le nord de la Mauritanie, l’Algérie risque de voir lui échapper la Kabylie, dont le mouvement indépendantiste gagne en force et commence à faire entendre sa voix. Il en va de même pour les Touaregs, lesquels, à la faveur du retrait des troupes françaises de la bande sahélo-saharienne annonçant la fin de l’opération Barkhane initiée en 2014, pourraient être tentés de relancer leurs revendications autonomistes voire indépendantistes au détriment du Mali, du Niger, de la Mauritanie et de l’Algérie.

Car, il ne faudrait pas oublier que le sentiment tribal et ethnique des Touaregs est, toute proportion gardée, aussi fort que celui des Kurdes partagés entre la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran et dont certains dirigeants influents cherchent, sans langue de bois, à obtenir l’indépendance totale et constituer une nation.

Le risque pour la Mauritanie, le Mali et le Niger est de voir les accords sur les frontières signés en 1983 avec l’Algérie partir en fumée dans la foulée de l’intervention militaire algérienne dans la région et de son interprétation cavalière des différents accords frontaliers qu’elle a conclus grâce à une opportunité asymétrique inouïe lui donnant l’ascendance sur les cosignataires.

Il est certain que le but ultime de l’Algérie est de pénétrer dans le vaste nord subsaharien, créer une brèche entre les Provinces du Sud marocaines et l’Afrique subsaharienne et instaurer, avec l’assentiment implicite de certains pays européens, ‘un protectorat sécuritaire’ sur les pays susvisés.

Le récent baroud d’honneur de l’ancien-nouveau chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra à l’occasion de la réunion ministérielle des pays non-alignés tenue par vidéo-conférence les 13 et 14 juillet 2021 à Bakou en Azerbaïdjan, est la confirmation d’une obsession qui ne surprend plus personne.

→ Lire aussi : Intervention provocatrice de Ramtane Lamamra : La réponse de Omar Hilale

C’est comme si Lamamra ne se rétablissait pas encore de l’illusion qu’il avait nourrie en 2015 quand il avait déclaré tambour battant que cette année-là était celle de l’épilogue du dossier du Sahara. La confiance exagérée du diplomate algérien en chef venait d’une lecture erronée de la géopolitique, mais surtout de la soutenance par sa fille Amel Nesrine, d’une thèse de doctorat à Cambridge sur le thème du Sahara en parlant de l’existence d’une entité artificielle.

Une thèse pleine de contre-vérités qui confirme une seule réalité : le complexe de l’absence de tradition étatique de l’Algérie qui a été créée par la France, comme le signalait déjà Charles de Gaulle deux ans avant la décision de mettre fin à la présence de la France dans ce pays (allocution télévisée le 4 novembre 1960). A force de souffrir de ce complexe, les décideurs algériens ainés et descendants voient des entités étatiques partout. Du daltonisme associé de belle manière au strabisme politico-diplomatique.

Le père et la fille, très futés du reste, ne serait-ce que sur ce point particulier, avaient profité de la tendance pro-autodétermination dans certains milieux politiques et académiques britanniques pour défendre une thèse truffée d’arguments vides de substance et de consistance.

En réalité, ces milieux défendent le principe de l’autodétermination sélectif parce qu’il appuie la position du Royaume uni au regard de Gibraltar et des Malouines –ceci sans parler d’autres précédents qui remontent à l’époque coloniale, notamment le patchwork confectionné en Amérique latine.

Cependant mêmes milieux britanniques ne perçoivent pas le principe de l’autodétermination de la même manière quand il s’agit de l’Irlande ou de l’Ecosse. Au contraire, ils défendent la consolidation de l’intégration en l’entourant de garde-fous juridiques imbattables.

La question de la sécurité nationale martelée à tout bout de bout de champ par les décideurs algériens, sous forme d’hostilité presque congénitale à l’égard des voisins, le Maroc en tête, est en réalité une affaire de l’institution militaire et des familles de civiles à leur solde. En effet, à défaut de mobiliser le peuple algérien, les planificateurs politiques cooptent des personnes appartenant au cercle restreint qui est le leur.

Deux exemples. Le premier est représenté par Anissa Boumediene, épouse de l’ancien président Houari Boumediene qui s’est démenée comme impossible pour convaincre ses interlocuteurs étrangers de l’existence ‘d’une cause sahraouie’ à travers une association dite ‘Comité algérien de soutien au peuple sahraoui’. Le deuxième est celui déjà évoqué d’Amel Nesrine Lamamra. Les deux ont fait long feu.

Lamamra a déchanté en 2015 ; il déchantera encore une fois cette année et les années à venir. Car, il ne faut pas se tromper d’analyse : le retour de Lamamra à la tête de la diplomatie algérienne est motivé par un seul objectif : empêcher que la pseudo-rasd ne soit congédiée de l’Union africaine. En effet sa présence est sujette à toutes les interrogations : quelques pays seulement la reconnaissent encore, et seuls trois la défendent en brassant du vent, l’Afrique du Sud, la Namibie et l’Algérie.

Lamamra se trompe d’époque, car le temps où il était président de la Commission à la paix et à la sécurité de l’Union africaine (2008-2013) est révolu. Il avait profité de l’absence du Maroc pour faire le beau et le mauvais temps grâce à des complicités bien connues. Plus maintenant, depuis le retour du Maroc en 2017 à l’Union. Les Africains, qui n’ont jamais été dupes quant aux visées hégémoniques de l’Algérie dans son entourage et au-delà, ne sont pas prêts à entrer dans de nouvelles combines, d’autant que la pandémie du Covid-19 a révélé au grand jour qui est vrai africain et qui ne l’est pas en se surpassant, de surcroit, dans la vente des chimères et sans pouvoir répondre aux attentes politiques et sociales de son propre peuple.

Les décideurs au sein de l’institution militaire qui ont remis Lamamra en selle sont les mêmes qui ont fait appel à l’ancienne garde du parti unique algérien pour jouer le rôle de l’homme providentiel, capable de triompher et de venir en aide aux plus démunis. On ne peut dire autant de ces professionnels du chaos (vedettes de la décennie de la terreur), lesquels, au lendemain de leur retour au pouvoir à la faveur d’une amnistie qui déroute tout juriste chevronné à cheval sur les principes, ont renoué avec l’Iran et le Hizbollah pour semer la zizanie en Afrique du Nord. Ils n’en ont cure, bien qu’ils soient conscients que le tribut à payer sera lourd : la propagation du prosélytisme chiite dans la société algérienne, qui a déjà atteint des proportions inquiétantes aux dires des voix algériennes averties et préoccupées.

Puis, plus hallucinante encore est la nervosité sidérante du chef de la diplomatie algérienne intervenant devant la réunion ministérielle des pays non-alignés à Bakou qui se lamente que la question du Sahara ne reçoive plus l’attention de la communauté internationale. La réponse de la diplomatie marocaine a été on ne peut plus directe et a fait mouche.

Pourtant, la réponse aux lamentations de Lamamra peut être trouvée, en changeant de contexte et de thème, dans le geste de l’ancien président américain George H. Bush en 1988. En s’adressant à son électorat républicain à la veille des élections présidentielles, Bush articula : ‘Read my lips : no new taxes’. Il fit cette démonstration de communication dans la foulée des prémices de la naissance un nouvel ordre mondial qu’il annoncera deux ans plus tard.

Et l’emprunt que l’on peut faire en s’adressant à l’institution militaire algérienne et à Lamamra : ‘Read my lips, the international system has undergone a dramatic transformation since the fall of the Berlin Wall in 1989. Henceforth, no room for wishful thinking or false hegemons in potential issue areas such as the Maghreb and Sub-Saharan Africa’.

La hantise, c’est également le refus de la réouverture des frontières avec le Maroc à l’ouest. L’argumentaire algérien ne convainc personne, car l’Algérie n’est pas compétitive et elle a peur des performances des entreprises marocaines. Ces entreprises risquent de porter atteinte aux monopoles détenus par des hommes forts de l’institution militaire et leurs prête-noms à différents niveaux de l’économie algérienne plus rentière que productrice de richesses et de plus-values.  Les entreprises égyptiennes, chinoises, turques etc., par exemple, si sollicitées, pourraient produire des rapports à n’en pas finir.

L’argumentaire poudre aux yeux de la fermeture des frontières est aussi ridicule que celui de la géopolitique des médias à la carte au sujet des cartes géographiques d’Etats souverains.  Les chaînes arabes satellitaires se livrent à un enfantillage médiatique burlesque. Des comédies de mauvais goût.  Des scènes de cache-cache visant des épilogues genres ‘We wish we could help‘ ou ‘It is over !’ ou ‘We’ll think about it’, fusent dans l’arène et indisposent plus qu’elles ne divertissent.

La carte et l’encre du brouillard

Des clins d’œil hostiles sentant le marchandage à travers la présentation des cartes de certains pays amputés de parties importantes de leurs territoires sous prétexte d’une objectivité tirée par les cheveux.

Il était passionnant ce feuilleton présenté par des chaînes satellitaires arabes jouant au chat et à la souris avec de nombreux pays arabes, notamment le Maroc. Dans cet exercice, la chaîne Al-Jazeera se taille la part du lion. Utilisée comme un instrument de marchandage entre les mains du Qatar, cette chaîne, n’en déplaise à ses fans, aura été de tous les stratagèmes sources de zizanie dans la périphérie arabe.

C’est en fonction de l’air du temps politique que la chaîne, sous prétexte de la défense de la parole libre, se donne à cœur joie à la promotion d’opinions dissidentes en essayant d’accréditer l’idée que sa ligne éditoriale est indépendante de celle du gouvernement qatari. L’un des instruments les plus utilisé est la présentation des cartes des pays arabes où il y a tension amputées. Ce faisant, elle provoque l’ire des gouvernements et des peuples concernés.

Récemment, après la reconnaissance par les Etats-Unis de la marocanité des Provinces du Sud, la chaîne est revenue par moments à la même méthode : séparer le Sahara de l’ensemble du Maroc. Une entreprise de marchandage au moment où le Qatar renouvèle son soutien à l’intégrité territoriale du Maroc dans les fora internationaux.

Un jeu qui ne passionne plus personne. Il est aussi insignifiant que celui exhibé par intermittence, depuis deux ans, par d’autres chaînes telles que Al-Arabiyya, ou des chaînes moins virulentes, mais tout aussi de mauvaise foi, en Egypte, en Tunisie, en Turquie ou émettant, comme Al-Arabiyya, à partir de Dubaï aux Emirats arabes unis, à l’image de Sky News Arrabia.

 Ces chaînes ont été remontées contre le Maroc parce qu’il a décidé de se retirer de la coalition arabe intervenant au Yémen et n’aurait pas accepté que l’on intervienne dans ses choix politiques intranationaux au regard de ce qu’il était convenu d’appeler improprement ‘islam politique’. Comble d’ironie, c’est que ces actions ne font plus mouche au Maroc. Si l’entreprise du départ était de le déstabiliser par des compagnes sponsorisées, le résultat était un échec cuisant. Si l’action visait à porter atteinte à sa sérénité et à sa confiance dans la justesse de sa cause, les efforts n’étaient qu’un coup d’épée dans l’eau.

Ces chaînes font des heureux ; et ceux-là le leur rendent sourires aux lèvres. Tout le monde se souvient de la colère des autorités algériennes en mars 2021 à l’occasion de l’adoption à l’unanimité par la Confédération africaine de Football d’une décision courageuse. Selon cette décision, toute fédération africaine sollicitant faire partie de la Confédération doit appartenir à un pays membre à part entière de l’Organisation des Nations unies.

Cette mise en scène a été suivie, le 18 mai 2021, par le retrait de la délégation algérienne de la réunion des administrations des douanes des pays d’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et du Proche-Orient sous prétexte qu’il y avait la présentation de la carte des pays participants avec les frontières intégrales du Maroc, soit l’intégration des Provinces du Sud.

Plus sérieusement maintenant, les promoteurs de ce marchandage insipide devraient réfléchir par deux fois s’ils ont l’intention de continuer sur cette voie. Tout d’abord, l’histoire. L’histoire révèle que les frontières de l’Afrique ont été tracées au gré des arrangements lors de la Conférence de Berlin (1884-1885) à laquelle ont participé l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Empire ottoman, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, la Suède-Norvège et les Etats-Unis.

L’Afrique a fait l’objet d’un ‘découpage à la hache’ pour reprendre l’expression de l’historien Bernard Lugan. Le partage, comme le signale encore le professeur Christian Bouquet, s’est fait sur la base que ‘toute puissance civilisée qui dispose d’un point d’appui sur la côte africaine peut pénétrer jusqu’à rencontrer une autre puissance civilisée’ (Rémy Nsabimana, 2019).

Et ce n’est pas un hasard que des pays européens qui ont poussé vers l’adoption de la formule de l’intangibilité des frontières se trouvent parmi les participants à la Conférence de Berlin. Et ce n’est pas une surprise non plus que deux d’entre eux au moins ont déclaré leur rejet exprès de la reconnaissance par les Etats-Unis de la souveraineté du Maroc sur ses Provinces du Sud, en feignant d’oublier que les Etats-Unis étaient présents à Berlin.

Maintenant, le Moyen-Orient ! La mémoire des promoteurs des cartes amputées ne doit pas être amnésique. Qu’ils n’insultent pas l’avenir ! Ils devraient cependant revenir un peu en arrière pour faire une lecture géopolitique de la région. On leur rappellera tout d’abord, l’histoire tragique de l’empire Abbasside sous le calife Annacer Lidin-allah qui, en 1221, fait appel à l’empereur Genghis Khan pour le soutenir dans sa lutte contre le shah Khwarezm. Ce dernier s’était révolté contre le pouvoir abbasside. Genghis Khan détruit Samarkand et Boukhara (en actuel Ouzbékistan) et se met en tête de conquérir l’Irak.

Son petit-fils Houlagou retourne dans la région en 1258 à la demande de Muayad al-Din Ibn al-Alqami, ministre puissant nourrissant l’ambition de s’emparer du pouvoir pour se substituer au calife Al-Musta’sim bi-llah. Houlagou détruit Khurasan, l’Irak et une grande partie de la civilisation abbaside. Tamerlan le suivra plus tard et détruit la Syrie.

Dans le même ordre d’idées, entre le drame des dignitaires de Syrie et d’Arabie qui adressent en 1516 une demande au calife ottoman Selim 1er pour les débarrasser du sultan Mamelouk d’Égypte Al-Achraf Qânsûh Al-Ghûri. L’intervention du sultan ottoman met fin au règne exclusif des Mamelouk. Cependant les chefs militaires mamlouks ont été gardés dans des postes clés jusqu’à la conquête de l’Égypte par Napoléon (1798-1801).

On leur rappellera ensuite les chevauchées de Lawrence d’Arabie et le sort réservé à l’Empire ottoman. La conséquence, entre autres, en a été la signature des accords de 1916 sur le partage du Moyen-Orient par les ministres des affaires étrangères du Royaume-Uni et de France, respectivement Mark Sykes et François Georges-Picot avec l’assentiment de leurs collègues de Russie et d’Italie.

Toutes les tragédies que connait le Moyen-Orient de nos jours sont la résultante directe de ce partage et du patchwork étatique qui s’en est suivi. Le message du ‘printemps arabe’ n’a pas été bien reçu. Il s’est agi d’un rappel à l’ordre et pas une approche de ‘changement de régime’ ou d’instauration de la démocratie à l’occidentale.

Le message était également de rappeler à des acteurs mineurs étatiques et non-étatiques qui sont dans leurs jupes qu’ils doivent se contenter de leur statut de sous-traitants géopolitiques et de ne pas se prendre pour les maîtres de cérémonie dans la confection des complexes sécuritaires imaginés par les grandes puissances (David A. Lake, & Morgan M. Patrick 1997). Ces puissances qui connaissent mieux que quiconque la structure mentale des Arabes déjà bien appréhendée par Patai (R. Patai, 1910 ; 2002).

Le message peut aussi intéresser les locataires des camps de Tindouf. Ils se doivent d’être convaincus qu’ils ne sont qu’une pâte à modeler entre les mains de l’Algérie toutes tendances politiques confondues. Preuve en est que depuis la débandade concoctée par Madrid et Alger, on n’entend plus parler d’eux. Ils ne font pas le jeu ; ils le subissent. Le temps presse. Ils se doivent de se rendre à l’évidence. Les exemples historiques cités plus haut doivent les édifier sur ce qui les attend quand les jeux seront faits, sans eux et sans l’Algérie.

Les fauteurs de trouble ont trouvé dans la manipulation des cartes géographiques par Google Map ou tout autre moteur de recherche sur le Web une matière à broder sur les passions. Ils ont fait mine de ne pas comprendre que les concepteurs des cartes les adaptent en fonction des consommateurs de chaque région géographique sans considération aucune des litiges politiques dont la solution n’est pas du ressort de leur compagnie.

Tout comme cette pratique maligne que des diplomates racontent avoir constaté dans leurs pays d’accréditation ou à l’occasion de conférences internationales. Les cartes géographiques sont exhibées en fonction des rapports de force et de la position du pays hôte sur des litiges frontaliers locaux et internationaux.

Plus malins, certains responsables ont dans leurs bureaux plus d’une carte géographique et les exhibent en tenant compte de la nationalité et de l’intérêt du visiteur principalement si son pays a un différend frontalier avec un autre pays accrédité. Ces responsable disposent de cartes différentes selon que le visiteur est chinois ou taiwanais (Taiwan est revendiqué par la Chine), marocain ou algérien (interprétation controversée de l’accord de 1972 et Provinces du Sud convoitées par l’Algérie par agents interposés), iranien ou émirati (îles occupées par l’Iran et revendiquées par les Emirats arabes unis), israélien ou palestinien (cartes avant 1948, après la guerre de juin 1967 et les accords d’Oslo de 1993), azerbaidjanais ou arménien (litige sur Nagorno-Karabakh dont une grande partie a été récupérée par l’Azerbaïdjan en 2020), russe ou ukrainien (casse-tête de la Crimée, du Sébastopol et de Donbass), mauritanien ou sénégalais (litige sur Rosso), libyen ou algérien (tracé des frontières non reconnu par la Libye), turc ou grec (division de Chypre entre grecs et turcs), indien, pakistanais ou chinois (Jammu-Cachemire), argentin ou anglais (îles Malouines), espagnol ou anglais (Gibraltar) etc.

C’est dire que le jeu des cartes géographiques est une obsession pour certains politiciens à la mémoire amnésique ou d’illustres néophytes en matière de géopolitique des atouts tangibles. Et sur ce point, le Maroc est à l’aise. Et ce n’est pas un tweet par-là, une insertion sur Facebook par-ci, une fléchette hors-sujet émanant de personnalités médiatiques en souffrance d’inspiration ou autres apprentis sorciers ou une carte brouillée servant d’écran de fond à un présentateur de fortune qui vont changer une réalité tangible : les provinces du Sud font partie intégrante du Maroc.

Au lieu de faire une fixation sur sa carte, les détracteurs du Maroc sont invités à méditer la feuille de route pour le développement des Provinces du Sud dont il fait son sacerdoce. Le plan de développement porte sur une enveloppe totalisant quatre-vingt-cinq milliards dirhams (85) allant de 2016 à 2021. Le trois-tiers des projets est réalisé.

 Et puis des chantiers gigantesques sont lancés. Le projet du port Dakhla Atlantique, la voie expresse Tiznit-Dakhla sur 1.055 km, l’usine de dessalement de l’eau de mer pour irriguer quelques 5000 hectares au nord  de Dakhla, des sites de l’énergie éolienne et solaire à Laayoune, Boujdour et Tarfaya avec une capacité totale pouvant aller jusqu’à 600 MW, le programme industriel Phosboucraa à Laayoune etc.

C’est pour cette raison que plus d’une vingtaine de pays ont ouvert des consulats à Laayoune et à Dakhla et que des investisseurs sont attirés par les opportunités offertes. Le Maroc étant devenu un passage obligé pour s’ouvrir sur l’Afrique. L’Afrique perçue dans une optique de codéveloppement, de prospérité partagée, de regain de confiance, de disponibilité à être une terre qui offrira à l’humanité sa survie au Troisièmes Millénaire.

De même que c’est cette carte qui préside aux différentes transactions conclues par le Maroc en vertu des différents accords de libre-échange bilatéraux et multilatéraux. Ceci dans le cadre d’une vision d’ensemble qui englobe les quatre coins du Royaume avec la mise en œuvre rationnelle de la régionalisation avancée. Les observateurs neutres ne peuvent pas s’empêcher de constater que malgré les contraintes de la pandémie du Covid-19, aucun projet stratégique n’a été interrompu ou abandonné.

Que les détracteurs continuent de tenir le mur de la désolation ; le Maroc sait maintenant à qui il peut tendre la main et à qui il refusera l’accès à son logiciel de diplomatie tranquille, sereine, et porteuses d’espoir pour les marocains et les voisins pour peu que ces derniers s’avisent et admettent que rien ne pourra être comme en 1969, 1978, 1989, 1991,1999, 2004, 2007, 2015, 2017 et 2019.

 Que leurs planificateurs et stratèges politiques se mettent au travail pour comprendre la signification de ces dates ! Il va falloir qu’ils apprennent à lire les archives, car les acteurs de la Conférence de Berlin finiront par s’apercevoir que le funambule ne peut être indéfiniment le clou du spectacle.

Notes

-De Gaulle Charles : ‘Allocution télévisée le 4 novembre 1960’, INA, 4 novembre 2020.

-Lake David A. & Morgan M. Patrick: ‘Regional Security Complexes: A System Approach’ 45-67, in ‘Regional    Orders, Security in New World’, The Pennsylvania State University Press, 1997.

-Lugan Bernard : ‘Histoire du Maroc : Des origines à nos jours’, Paris, Ed. Ellipses, 2011.

—————— : Histoire de l’Afrique du Nord (Egypte, Libye, Tunisie, Algérie, Maroc) : Des origines à nos jours’ Editions du Rocher, 2016.

-Nsabimana Rémy : ‘Carte à Fric : Qui a tracé les frontières de l’Afrique ?’ YouTube postée le 20 octobre 2019.

-Pennel C.R: ‘Morocco since 1830’, New York University Press, 2000.

-Patai Raphael: ‘The Arab Mind’ (First Edition 1910), revised edition; A Matterligh Press Book, 2002.

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