L’expression de la violence à l’encontre des femmes dans la littérature marocaine de langue française

Par Sabah Attab*

Les écrivains marocains, porte-paroles des lèvres muettes

« Qu’était-elle, sinon une femme dont le seigneur pouvait cadenasser les cuisses et sur laquelle il avait droit de vie et de mort ? Elle avait toujours habité des maisons à portes barricadées et fenêtres grillagées. »[1] Dénonçait Driss Chraïbi, dans le premier roman, Le Passé simple, publié sous le protectorat, en 1954,récit qui va lever le voile sur une société hautement patriarcale, gangrénée par les tabous et où la femme subissait diverses formes de violence.  De la violence symbolique à la violence physique en passant la violence sexuelle qui n’était pas considérée comme telle, car devenue pratique « légale » dans les coutumes et l’imaginaire collectif.

Pour Abdelhak Serhane, le père est juste un tyran, un despote. Dans son récit autobiographique : L’Homme qui descend des montagnes, paru en 2009, chez seuil, décrit dans son agressivité, sa discrimination, il incarne la domination masculine et le patriarcat dans son expression la plus humiliante : « Ma mère disait entre deux sanglots ou deux soupirs que son bassin était écrasé, son ventre corrodé, ses hanches laminées, et qu’elle cherche à avoir la paix (…) L’abstinence ? »[2]

La nouvelle génération des écrivains marocains de langue française continuent à rapporter le calvaire quotidien des femmes et raconter une violence qui s’exerce dans la société marocaine et même, hors frontières, dans la communauté marocaine immigrée de la diaspora. L’Insoumise de la rue de Flandre, est le roman de Fouad Laroui dont l’intrigue se déroule en Belgique. Un roman féministe et militant où la femme auparavant écrasée, soumise aux dictats de la société finit par s’insurger pour réclamer sa liberté et son émancipation. Tout comme le roman de Mahi Binebine : la rue de pardon, qui est un manifeste féministe de réhabilitation des femmes artistes, déshonorées, humiliées, privées du statut de femme respectable à cause d’un métier jugé illégal, prohibé, tout en étant… fréquentées ! Hypocrisie et schizophrénie !

En 2019, Ahmed Boukous est le lauréat du prix Grand Atlas pour son roman : Rhapsodies de Tanit la captive. Un roman plaidoyer pour la liberté des femmes et réquisitoire des idées rétrogrades qui inhibent et discriminent la femme.

Les écrivaines marocaines, la prise de parole

Dans une poussée de rage, la militante Fatima Mernissi fustigeait dans son premier essai, Le Maroc raconté par ses femmes publié en 1984, le conservatisme qui sclérose la société et l’empêche de décoller, en s’attaquant à un des piliers de l’ossature de la famille marocaine, à savoir le code du statut de la famille : « je suis née exactement à 500 mètres de l’université Quaraouiyne. On ne peut pas être mieux placé pour bénéficier du patrimoine et de ses avantages. Et bien, je suis née là et j’ai été élevée par des femmes analphabètes, enfermées, non seulement physiquement, mais mutilées intellectuellement au nom de l’honneur et du modèle de l’idéal féminin qui animait la bourgeoisie masculine qui, elle, baignait dans ce patrimoine jusqu’à s’y noyer. »[3]

La polygamie figure parmi les formes de violences très présentes dans la littérature marocaine de langue française. Sous prétexte que la religion autorisait à l’homme de se marier à quatre femmes, le mari usait d’une autorité absolue, dans une totale indifférence des sentiments, des émotions ou des répercussions psychiques, physiques et autres sur la première épouse.

→ Lire aussi : La Sûreté nationale résolument engagée contre les violences faites aux femmes

Dans Rêves de femmes : une enfance au harem, premier récit autobiographique de Fatima Mernissi, la sociologue et écrivaine met en exergue une héroïne, brisée par la répudiation, un autre fléau de la société marocaine, à l’époque. Son récit de vie est l’occasion pour elle de dénoncer des injustices envers les femmes. Tante Habiba est une épouse répudiée, un peu comme ces condamnés aux motifs secrets. Sur un coup de tête, elle est répudiée. Et du jour au lendemain, l’épouse se trouve dans une totale précarité, une autre forme de violence à son encontre : « Tante Habiba qui a été répudiée et renvoyée sans aucune raison par son mari (…) Tante Habiba a pleuré pendant des années. »[4] Dénonçait la pionnière et féministe marocaine Fatima Mernissi, dès l’incipit de son récit

Siham Benchekroun nous présentait dans son recueil de nouvelles : Amoureuses, publié 2012 le type de femmes marocaines qui ont inhalé la supériorité de l’homme comme Etat indiscutable. Analphabètes, superstitieuses, barricadées, ces femmes ont la soumission comme seconde peau. « Vassale » est une Nouvelle qui met en exergue ce type de violence qui place le mari comme le chef suprême qui a droit de vie ou de mort sur son épouse.

En 2000, le roman : Ni Fleurs ni couronnes, écrit par Souad Bahéchar relate une des violences les plus insoutenables à travers la condamnation, le rejet et la maltraitance d’un bébé, née de sexe féminin. Ce livre primé en 2001 du prix littéraire Grand Atlas traduit la misogynie et la barbarie d’une société qui privilégie avec orgueil et légalité la suprématie du sexe masculin.

Dans La Domination masculine, Pierre Bourdieu explique que : « rappeler que ce qui dans l’histoire apparait comme éternel n’est que le produit d’un travail d’éternisation qui incombe à des institutions (interconnectées) telles que la famille, l’Eglise, « La mosquée » l’Etat, l’école.» (Pierre Bourdieu, La Domination masculine, Paris, Seuil, 1998).

Dans le jardin de l’ogre, 2014, premier roman de la romancière franco-marocaine Leila Slimani est la relation d’une pathologie, la nymphomanie, séquelle d’oppression millénaire et brutale sur la sexualité des femmes.

Primé par le prix Orange pour livre africain en 2021, le roman de Loubna Serraj : Pour vu qu’il soit de bonne humeur, brosse le tableau d’une violence entêtée qui traverse les générations, héritage funeste d’une discrimination aux racines tentaculaires et solidement ancrées. La violence qui est dans le couple de la grand –mère se voit se perpétuer chez la petite-fille. Réquisitoire d’une situation qui semble sans issue.

En 2021, Une Femme au pays des fouqaha, l’appel du houdhoud, essai et récit autobiographique écrit par Nouzha Guessous nous plonge dans les moments décisifs de l’élaboration du nouveau statut de la famille, la Moudawana de 2004. Des débats houleux entre les tenants du courant réformiste et les gardiens du temple, agrippés à garder la femme sous tutelle permanente et criant à la débauche et à la décadence au moindre demande de droit.

Dans le Monde arabe au féminin, en 1985, Ghita El Khayat, psychiatre et écrivaine marocaine écrivait : « Le rapport des femmes à l’écriture est le problème frontal de leurs luttes. Et les femmes, peuple sans écriture sont absentes de l’Histoire à cause de cela, et sont entrées dans la lutte, diminuées par cette infirmité à manier la langue, l’écrit et la pensée (…) Il y a nécessité historique, tactique et politique à ce que les femmes lisent et soient lues. »[5] La prise de parole des femmes se fait dorénavant à travers l’écriture qui est à la fois espace de création et tribune de lutte pour les droits et contre la violence.

Le combat contre les violences faites aux femmes devrait mobiliser toutes les forces, et la littérature est un des espaces susceptibles d’initier des changements dans les mentalités et les comportements. La lutte est rude et se fait à travers l’univers fictionnel comme relai majeur dans la société en vue de sensibiliser, mobiliser et créer de nouvelles visions et une nouvelle culture d’égalité, de droit et de justice.

 La violence psychologique est : « Toute agression verbale, contrainte, menace, négligence ou privation, soit pour porter atteinte à la dignité de la femme, sa liberté et sa tranquillité, soit pour l’intimider ou la terroriser. »[6] Elle a une grande prévalence dans société marocaine avec le taux le plus élevé (47,9%), selon La Fédération des ligues des droits des femmes, chiffre révélés lors d’une conférence en 2020, suivie par les violences économiques (26,9%) et les violences physiques (15,2%).

En 2018, la loi 103- 13 est votée. C’est une avancée majeure en matière des droits des femmes au Maroc. Elle vise à assurer une protection juridique aux femmes victimes de violences de toutes sortes en vue d’assurer la prévention, la protection, la lutte contre l’impunité et à une prise en charge de qualité. La loi 103-13 contre la violence à l’égard des femmes est entrée en vigueur en 2018 et son application en 2019.

« La violence psychologique est sanctionnée par la loi, porter plainte est donc un droit ! »

 Telle est la thématique portée par ONU femme Maroc à l’occasion de la campagne mondiale des 16 jours d´activisme contre la violence basée sur le genre du 25 novembre et le 10 décembre 2021.

[1] Driss Chraïbi, Le passé simple, Paris, Seuil, 1954, p.43.

[2] Abdelhak Serhane, L’Homme qui descend des montagnes, Paris, Seuil, 2009, p. 130.

[3] Fatma Mernissi, Le Maroc raconté par ses femmes, Rabat, SMER, 1984, p. 25.

[4] Fatima Mernissi, Rêves de femmes, une enfance au harem, Paris, Albin Michel, 1996, p. 7.

[5] Ghita El Khayat, Le monde Arabe au féminin, Casablanca, EDDIF, 1985, pp. 306- 307

[6]Dahir n° 1-18-19 du 5 joumada II 1439 (22 février 2018) portant promulgation de la loi n° 103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes,  Chapitre premier : Définitions Article premier, p. 3.

Dr.  langue et littérature française*

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