Hubert Seillan : La reconnaissance inéluctable du Sahara marocain

Avocat au barreau de Paris, Observateur international au titre des Droits de l’Homme, Hubert Seillan est le Président de la Fondation France, Maroc, Paix et développement durable. Il est aussi l’auteur de plusieurs livres dont Le Politique contre le Droit, le Sahara, les Droits de l’homme, le procès de Gdim Izik (Ed. La Croisée des chemins). Pour rappel, l’avocat a été auditionné, à New York, dans le cadre de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le sujet du Sahara. Hubert Seillan répond aux questions du MAROC DIPLOMATIQUE.

MAROC DIPLOMATIQUE : Hubert Seillan, vous êtes un spécialiste des risques et à ce titre le regard que vous portez, depuis quelques années, sur le Sahara marocain doit retenir l’attention, notamment lorsque vous écrivez que le Polisario doit être vu comme un phénomène du passé et que le conflit n’a plus d’avenir.

Hubert Seillan : La prévision en forme de prédiction que je fais ne résulte pas d’un calcul de probabilités, parce qu’elle a le caractère irrésistible d’une loi naturelle.

Mais, avant d’en présenter les données essentielles, il est sans doute utile de rappeler certains faits, aujourd’hui, essentiels pour comprendre les raisons qui veulent que le Maroc soit un tout de Tanger à Lagouira.

Le fait premier fondateur est sans doute l’ancienneté du Royaume, né autour de l’an 700 de l’ère chrétienne, avec Idriss 1er descendant du Prophète par sa première épouse Khadija. Cette même ascendance doit être également notée pour la dernière dynastie des Alaouites qui apparaît en 1631. Ainsi le Maroc a été, durant ce long temps, gouverné par des Sultans exerçant l’autorité religieuse sur tout le Nord-Ouest de l’Afrique. Les Sultans ont été, de ce fait, des Empereurs de territoires s’étendant aux pays du Sahel jusqu’au Niger et à tout l’Ouest de l’Algérie actuelle jusqu’à Alger.

Le deuxième fait caractéristique des enjeux politiques actuels se trouve dans le découpage de cet Empire au 19ème et au 20ème siècle.

1°- La France, étant en Algérie, au Sahara, dans les pays du Sahel, au Sénégal, etc., a relié le tout en occupant l’actuelle Mauritanie.

2°- L’Espagne, a colonisé une grande partie du Sahara entre le nord de la Mauritanie, et la région de Guelmim, de 1885 à 1975, et a exercé un Protectorat sur le nord du Pays dans la région de Tétouan jusqu’en 1956.

3°- La ville de Tanger fut une zone internationale de 1923 à 1956.

 4°- Le coeur du Pays fut confié à la France dans le cadre d’un Protectorat de 1912 à 1956.

Le troisième fait significatif peut enfin être vu dans le contexte politique des décolonisations, avec les oppositions frontales des communistes et des tiers-mondistes au monde dit libre dans lequel le Maroc s’était rangé dès 1956.

Quand en 1975, le territoire devint indépendant, sa revendication par l’Algérie annonçait un nouveau conflit de la décolonisation. La position de l’Espagne qui cherchait son ancienne colonie ajoutait du risque. Le Roi Hassan II prit alors une décision stratégique remarquable parce qu’il a pris de court tous les convoiteurs et a évité un bain de sang sur le territoire. Il a engagé son peuple dans la Marche Verte, par laquelle il a souhaité consacrer la souveraineté du Royaume du Maroc.

Mais si celle-ci est pour tous les Marocains une question nationale d’une intensité absolue, sa transposition juridique tarde sur le plan international.

Ces trois types de faits anéantissent toutes les idées hostiles.

MD : Voulez-vous dire que le conflit est essentiellement porté par des idées qui veulent ignorer le réel ?

 H.S : Oui, parfaitement. Il n’y a que cela : le combat d’une idée contre des faits. Sur cette base, l’idée qu’il s’agit d’un territoire non marocain a pris le droit international comme outil. Celui-ci a été instrumenté par cette idée.

Je peux donc en conclure que durant 45 ans, le Droit a pu nier le Fait. Je veux dire que les seules règles nées en cette époque, dans le contexte de la décolonisation et des oppositions frontales Est-Ouest et tiers-mondistes, ont occupé toutes les pensées, ont été le seul fondement des discussions internationales sur l’ancienne colonie espagnole du Sahara, et ont même donné un nom, « Sahara occidental », à ce territoire. Dans un tel contexte, les données factuelles très concrètes, liées au temps et à l’espace, qui expliquent et donnent toute sa légitimité à la souveraineté du Maroc, ont été considérées comme relevant d’archaïsmes tout à fait impropres au monde moderne ; le caractère monarchique du Maroc étant, en outre, vu comme tel, par bien des pays « progressistes » de l’époque.

 

 Cette opposition du droit et du fait est cependant un classique qui ne peut faire illusion à tous ceux qui n’acceptent pas le déterminisme dogmatique des idéologies. Il semble pourtant qu’elle soit aujourd’hui élevée au plan d’une méthode, par ceux qui poursuivent des buts politiques manquant d’assises sociales. Ainsi, faut-il ignorer les réalités et brandir des exigences fondées sur des « valeurs », mot à la mode du temps.

La place qu’occupent les intentions morales ou plus exactement moralisatrices dans les médias fait que ces « valeurs » doivent être vues comme un fait nécessaire. En conséquence, l’idée doit s’imposer comme fait. Et pour cela, elle doit être renforcée par une ou des règles, et on en trouve toujours quelques-unes. Cette forme de raisonnement conduit à penser dans l’abstrait, à faire des théories « hors sol », comme il est dit aujourd’hui.

 Le dossier du Sahara a été, dès l’origine, traité de la sorte. Ce territoire colonisé par l’Espagne a été envié autant par l’ancienne puissance coloniale que par l’Algérie, indépendante depuis 1962. Chacun de ces Etats a vu ce territoire au seul plan de ses intérêts économiques et stratégiques propres, et en rien au plan de ceux de ses habitants. Il fallait que ceux-ci nient, contre toute évidence, leurs attaches historiques coutumières et juridiques avec le Royaume du Maroc. Un mouvement, créé antérieurement pour combattre l’occupation espagnole, dit « polisario » a été utilisé par l’Algérie socialiste, pour fonder l’idée d’une « nation sahraouie » et d’une superstructure étatique, qualifiée de « république arabe sahraouie démocratique (RASD) ».

Cependant la force des faits liés à l’espace et au temps a fait litière de cette prétention.

MD : Mais les diplomaties ne peuvent être insensibles à cette réalité marocaine du Sahara que vous soulignez régulièrement dans vos écrits et conférences ?

H.S.: La reconnaissance des faits historiques est aujourd’hui largement majoritaire dans le monde, mais il faut accélérer le mouvement, et pour être efficace, je crois qu’il faut renforcer le combat du fait contre l’idée.

Contesté dans sa légitimité sur ce territoire dès le retrait des Espagnols, le Maroc a logiquement été conduit à engager le combat des faits contre l’idée d’un Etat indépendant. Ces faits sont coutumiers, et de ce fait s’inscrivent dans le système juridique marocain. Ces faits sont culturels avec les marques matérielles que l’on trouve en maints endroits. Ces faits sont cultuels, avec la pratique du rite malékite et la reconnaissance de l’autorité du Sultan.

Un mouvement, créé antérieurement pour combattre l’occupation espagnole, dit « polisario » a été utilisé par l’Algérie socialiste, pour fonder l’idée d’une « nation sahraouie » et d’une superstructure étatique, qualifiée de « république arabe sahraouie démocratique (RASD) ».

Tous établissent le caractère intrinsèquement marocain de ce territoire. Ils ont permis d’avoir raison contre les idées du moment.

 Dans ce combat, le Maroc a fait un travail considérable qui a permis de mettre au jour ces réalités niées par ses adversaires. Cette mise en évidence de cette autre logique a pu interroger dans un premier temps, tous ceux qui étaient fortement influencés par les idéologies communistes et tiers-mondistes et parmi eux, il y avait des Etats libéraux, comme les Etats-Unis. A l’interrogation a succédé une certaine compréhension à l’égard de la position du Maroc. Mais cette compréhension du fait marocain doit être suivie d’actes de reconnaissance.

 Nous en sommes là. L’anéantissement indiscutable de l’idée doit être maintenant confirmé juridiquement

MD : Voulez-vous dire que les faits ayant vaincu l’idée, le droit international doit confirmer la marocanité ?

 H.S. : Il est évident qu’il n’y a plus d’obstacle sérieux à la reconnaissance juridique de la marocanité. Il s’agit maintenant d’entreprendre le dernier combat de la confirmation. Quand le sujet est international, deux voies sont ouvertes.

 La plus ancienne, la plus responsable, la plus logique est celle de la confirmation par les Etats eux-mêmes. Examinons la situation sans a priori. Les Etats se sont, soit déclarés en faveur du Maroc ou de l’Algérie et du « polisario », soit abstenus. Mais aucun des 5 grands membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que des Etats de l’Union européenne n’a appuyé l’idée d’indépendance. Enfin, au fil du temps, cette thèse n’est plus soutenue que par quelques Etats sans grande influence politique, économique et sociale. De sorte que sa légitimité internationale est aujourd’hui très faible.

On doit en déduire que les Nations Unies sont à même d’enregistrer, dès maintenant, cet état de fait en provoquant une conférence sur un ordre du jour précis permettant la reconnaissance de la souveraineté du Royaume du Maroc.

En parallèle à ces pratiques diplomatiques, les accords commerciaux d’importation et d’exportation, intégrant le Sahara, se multiplient avec le Maroc. Ce qui permet au « polisario » d’en contester la validité devant les juridictions ad hoc. Opposé à la logique du fait, il fait appel à celle des nouvelles règles internationales postérieures à 1975.

Dès lors que sur le plan international, la situation du territoire n’est pas stabilisée, les tribunaux devraient analyser globalement et contradictoirement apparaît le conflit entre le fait historique et les règles du moment. A ce jour, ils n’ont pas jamais pris en compte le fait coutumier et n’ont retenu que ces dernières. Ces contentieux sont donc traités de manière très inéquitable pour le Maroc, car la coutume, fondée sur une tradition populaire est universellement retenue comme une norme juridique, comme une règle contraignante. Ceci vaut tant dans l’ordre interne que dans l’ordre international. Elle devrait dès lors être au coeur des procès.

On fera donc observer que la méthode même du droit, devant être vu comme un système, fait défaut dans les décisions rendues. Cette iniquité judiciaire doit être mise en exergue avec d’autant plus de démonstration que la naissance des règles post 1975 est due à une première iniquité légale et règlementaire celle-là, puisqu’elles ont été justifiées par l’idée d’un tel vide juridique. Le Sahara a été en effet considéré comme une terre sans attaches, comme une nouvelle terre à qui l’on devait attribuer un statut. Ces règles ayant eu mission de combler un vide ont conduit logiquement à écarter tout rappel des faits qui contredisaient ce fondement.

 Hors du contexte politique qui a donné naissance à ce conflit, on ne peut donc comprendre qu’aient pu être entièrement écartés des discussions, des faits de nature coutumière aussi bien établis dans le temps et dans l’espace de ce terroir. Mais l’érosion régulière et nous ajouterons de nature systémique, du bloc des tenants de l’indépendance, indique clairement que, faute de combattants, le combat va cesser à très court terme.

Mais aucun des 5 grands membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, ainsi que des Etats de l’Union européenne n’a appuyé l’idée d’indépendance.

Le contexte d’aujourd’hui est bien différent. Le tiers-mondisme et le panarabisme ont vécu. Après la disparition de l’URSS, d’autres blocs plus hétérogènes sont apparus. L’Algérie, Cuba, le Venezuela affrontent des périodes de transition qui ne leur permettent plus d’accorder une attention soutenue à la cause du territoire. Leur appui au « polisario » se délite. Il devient même critique. Des groupes terroristes criminels à dimension internationale s’opposent aux Etats, singulièrement à l’Est et au Centre du Sahara et en Afrique sahélienne. L’idée d’une « nation sahraouie » est aujourd’hui entendue avec étonnement, parce que bien loin des préoccupations du moment.

 MD : En tant qu’avocat de la famille d’Ahmed el Khalil, un membre important du « polisario », vous avez présenté une pétition devant la 4ème Commission des Nations Unies, en octobre dernier. Quelles ont été vos intentions ?

H.S. : Il y a plusieurs raisons à ce choix. Toutes sont fondamentales. Il est de la mission d’un avocat de rechercher tous les moyens de défense. On sait qu’Ahmed el Khalil, a été arrêté à Alger en janvier 2009 et n’a jamais été revu. En portant ce fait au coeur de la diplomatie mondiale, j’ai mis en évidence la violation des droits de l’Homme. Un fait parmi bien d’autres, pourra-t-on dire, mais qui doit être considéré à l’aune des leçons qui sont adressées sur ce point au Maroc par les tenants de l’indépendance. Les donneurs de leçons sont déconsidérés par de telles pratiques. Certes, cette instance onusienne n’a pas de pouvoirs d’investigation, mais elle est une caisse de résonnance qui donne à l’information une portée mondiale.

J’ai souhaité également montrer au monde que ceux qui refusent d’envisager les faits historiques qui veulent que le Sahara soit marocain, ont une éthique très élastique. Des faits comme ceux qui sont à l’origine de l’affaire Ahmed el Khalil rongent jusqu’aux os les théories indépendantistes.

 MD : Pouvez-vous préciser en quoi vos analyses globales ouvrent sur la reconnaissance inéluctable de la marocanité du Sahara ?

H .S. : J’ai évoqué en tout début de cet entretien le caractère déterministe et non probabiliste de l’évolution que j’entrevois. La méthode du fait en d’autres termes !

Depuis quelques années, la reconnaissance juridique de la souveraineté marocaine pouvait être entrevue à très court terme pour les raisons qui viennent d’être brièvement exposées. En 2020, ce qui était évident est devenu irrésistible.

 Les petits actes qui se multiplient depuis quelques mois en sont le signe. Ainsi en septembre 2019, la ville historique de Bazas, près de Bordeaux, s’est engagée dans une procédure de jumelage avec une délégation de la très symbolique ville de Smara, près de Laâyoune. Au mois d’avril prochain, la mairie de Bazas sera reçue à son tour par les édiles sahraouis de Smara.

Ainsi, trois pays africains viennent d’ouvrir, en 2019, des consulats dans le territoire. La Côte d’Ivoire avait ouvert le mouvement le 26 juin en se déplaçant à Laâyoune pour installer un Consul honoraire. Il est à noter que celui-ci a été choisi parmi les descendants de la grande famille sahraouie Ma El Ainin, symbole de la résistance à l’Espagne coloniale dès le 19ème siècle.

Puis ce fut la République des Comores, le 18 décembre, avec un Consulat général. Enfin, conformément à l’annonce faite, le 12 décembre dernier, par le ministre gambien des Affaires étrangères, la Gambie vient d’ouvrir un Consulat général à Dakhla, seconde ville du Sahara, plus proche de la frontière mauritanienne. En cette occasion, le 7 janvier 2020, Monsieur Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères du Maroc a déclaré lors d’une conférence de presse avec son homologue gambien, que «de nombreux pays ont manifesté leur intérêt pour ouvrir des représentations diplomatiques dans les provinces du Sud, et réitéré leur soutien à la marocanité du Sahara». La prévision n’a pas tardé à recevoir confirmation. Le 17 janvier, la République du Gabon a inauguré un consulat général à Laâyoune, dans une cérémonie présidée par les ministres des Affaires étrangères des deux pays. Le 23 janvier, deux autres Etats ont ouvert un consulat à Laâyoune : SaoTomé et Principé, ainsi que La Centrafrique.

 Le droit naturel a ainsi pris le dessus sur les petites règles de circonstance.

La doctrine juridique française qui fait souvent état d’un « grand droit », fondé sur le temps et les principes, qu’elle oppose à un « petit droit » qui réunit les règles particulières, nous enseigne que le premier a mission de leur donner tout leur sens et le second de le compléter sur les questions du jour.

Ainsi, ce vieux grand droit coutumier initié par les premiers royaumes Idrissides doit maintenant être naturellement perçu comme la bonne clé capable de libérer les forces de l’analyse, emprisonnées depuis 45 ans par ce conflit idéologique.

 Comme nous ne doutons pas de la dynamique irrésistible de cette logique naturelle du fait, la seule question qui mérite l’attention est celle du Quand ?

De deux choses l’une. Soit les Nations Unies seront le Vecteur, soit elles seront l’Enregistreur de la transposition juridique du fait. Nous espérons la première hypothèse, plus rapide et plus franche.

Quoiqu’il en soit, la solution est inéluctable.

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