Hydroxychloroquine : Qui peut trancher ?

À presque une année depuis l’émergence de la Covid-19, le débat sur l’hydroxychloroquine, la molécule la plus médiatisée depuis le début la pandémie, est décidément loin d’être tranché. Suscitant un échange houleux entre les scientifiques à travers le monde, entre les pro-hydroxychloroquine, dont le Pr Didier Raout directeur du prestigieux temple de l’infectiologie mondiale l’IHU de Marseille et ses détracteurs soutenus par des équipes un peu dispersées en Europe et aux États-Unis. Dans cet article, MAROC DIPLOMATIQUE s’attarde sur les raisons derrière cette grosse polémique.

Faisant objet de milliers d’études scientifiques, de débats télévisés, d’articles de presse, de posts sur les réseaux sociaux, la chloroquine, ou encore l’hydroxychloroquine, ont défrayé la chronique depuis le début de la crise covid. Deux molécules clés dans le protocole thérapeutique de la covid, souvent confondues dans les médias. C’est bien l’hydroxychloroquine qui est actuellement à l’essai pour traiter la Covid-19. Elle est considérée comme deux à trois fois moins toxique et mieux tolérée que la chloroquine. Son autorisation de mise sur le marché indique qu’elle peut être prescrite dans le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, du lupus érythémateux disséminé, ou en prévention de l’allergie solaire. Commercialisée sous le nom de Plaquenil, l’hydroxychloroquine est un dérivé de la chloroquine. Ce médicament, dès le début, a montré des pistes prometteuses pour traiter certains patients atteints par la Covid-19.

Un débat sans fin 

Devenu l’enjeu d’un débat politique, ce médicament a été défendu par de nombreux politiques notamment Donald Trump. Du côté des scientifiques, pas de terrain d’entente sur le sujet. Cette saga a été marquée par un scandale académique en début juin, la prestigieuse revue The Lancet a dû retirer une étude critique sur l’hydroxychloroquine à cause de forts soupçons de fraude.

Plus récemment, deux vastes études publiées début octobre, concluaient que l’hydroxychloroquine (HCQ) ne diminuait pas le taux de mortalité de la COViD-19, et ne réduisait pas la durée des séjours hospitaliers, notamment, la fameuse étude randomisée britannique « Recovery », qui avait conclu à l’absence d’efficacité de HCQ en matière de décès à 28 jours. Ces résultats ont été publiés dans la célèbre revue à comité de lecture, NEJM (The New England Journal of Medicine), confirmant ainsi pour la première fois sous cette forme, et d’une manière scientifique que l’HCQ n’est pas un traitement de la Covid-19 et ne réduit pas la mortalité. Est-ce le mot de la fin, pour ce traitement peu cher, mais controversé ? Pas complètement.

Le feuilleton continue. Dans une vidéo diffusée le mardi 3 novembre, le professeur Raoult a confirmé son intention de saisir la justice alors que son hôpital n’est plus livré en HCQ pour traiter les patients atteints par coronavirus. Une procédure visant en particulier le directeur de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui, le 23 octobre dernier, a refusé de délivrer une recommandation temporaire d’utilisation (RTU) en faveur de l’IUH-Méditerranée Infection qui administre le Plaquenil aux malades atteints par le Covid-19.

Ce n’est pas un remède !

Au Maroc, le département la Santé a tranché dès le départ. Le ministre de la Santé avait confirmé, lors d’un passage radio, qu’il ne s’agit pas d’un remède, mais d’un médicament qui freine l’infection au départ et réduit la contagiosité. Lors de cette sortie médiatique, Khalid Aït Taleb avait déclaré :« Vous dites que certains pays avaient interdit ce protocole : je dirais que non ; il y en a certains qui se sont acharnés, qui se sont attachés davantage ; je citerais par exemple la Russie qui est revenue sur la chloroquine, le Brésil qui a traité ses patients par la chloroquine, certains pays d’Afrique qui sont sur la chloroquine, et nous avons certains résultats qui sont très probants et satisfaisants, depuis que nous avions commencé ce protocole sur la recommandation du comité technique et scientifique ».

Le Maroc s’est positionné dès le départ parmi les pro-hydroxychloroquine. D’ailleurs, en juin dernier, le ministre de la Santé a clairement dit que « le Maroc a eu raison de maintenir le protocole thérapeutique à base de chloroquine pour traiter les malades de la Covid-19 ». Malgré les tractations au niveau mondial et la suspension des essais cliniques par l’OMS, le Maroc, lui, est resté attaché à sa décision initiale depuis le début de la pandémie, dont « la pertinence a été démontrée quelques jours après ».

Les médecins disent leur mot

Professeur Ahmed Rhassane El Adib

Pour comprendre les raisons derrière ce débat, nous avons fait réagir plusieurs professeurs sur cette question.« Ce sont certains lobbies de la big pharma qui veulent absolument prouver l’inefficacité de l’HCQ », tranche le Professeur Ahmed Rhassane El Adib, chef de service d’anesthésie-réanimation à l’Hôpital mère et enfant de Marrakech, qui redoute les résultats publiés dans la revue NEJM, concluant à l’inefficacité de l’hydroxychloroquine. « l’étude est menée par l’équipe d’Oxford, qui est elle-même en train de développer un vaccin, donc, il y a un conflit d’intérêts qui pose problème déjà, cela ne les arrangerait pas de dire que les gens guérissent à travers l’HCQ. Comment peut-on être développeur d’un vaccin et vouloir défendre un traitement ? », s’interroge-t-il. Ce professeur remet en question ainsi les raisons derrière l’acharnement des scientifiques sur cette molécule en particulier. Pour étayer ses propos, il évoque les anticoagulants utilisés depuis longtemps, qui seraient plus pourvoyeurs d’effets indésirables, « surtout depuis qu’on a découvert de la thrombose sur une série d’autopsies », affirme-t-il,« alors qu’on n’en parle pas ». Rappelant qu’il s’agit d’un médicament pas cher du tout, ce qui représente un manque à gagner pour l’industrie pharmaceutique au niveau mondial.

Une polémique que le vice-président de la Société marocaine de simulation médicale (Morocco Sim) explique par les enjeux financiers colossaux, soit des milliards de dollars. « Si demain on déclare que la maladie serait curable, tout ce qui se fait donc aujourd’hui en termes d’essais cliniques va tomber à l’eau. Donc, il s’agit plutôt d’un coup médiatique ! », fait-il savoir. S’ajoute à cela les conditions dans lesquels sont effectuées ces études randomisées, en pleine deuxième vague de pandémie à travers le monde, suscitent des interrogations quant à leur conformité à la méthodologie scientifique classique. Pour Pr. El Adib, « L’étude de recovery est reprochable en termes de méthodologie, surtout qu’il y a des conflits d’intérêts majeurs ».

docteur Houda Sefiani

« Cette molécule est prescrite depuis 70 ans, le problème ne s’est jamais posé avant cette crise sanitaire », dénote docteur Houda Sefiani, Médecin Pharmaco-toxicologue au Centre Antipoison et de Pharmacovigilance du Maroc (CAPM), « Ce n’est pas un médicament qui présente un taux de toxicité supérieur à d’autres médicaments qu’on utilise pour d’autres pathologies. D’ailleurs, si on part de ce principe, on ne va pas traiter les cancers parce que les médicaments sont hypertoxiques ». Concernant les doses utilisées, « elles sont largement inférieures par rapport à celles qui sont utilisées dans le traitement du paludisme et cela n’a jamais posé problème », rajoute notre source.

Rappelons que le Maroc était l’un premiers pays à avoir opté pour cette molécule dans son protocole thérapeutique. La décision a été actée suite à une note circulaire adressée aux directeurs des Centres hospitaliers universitaires et directeurs régionaux de la Santé, le lundi 23 mars, affirmant l’introduction de la Chloroquine et de l’Hydroxychloroquine dans la prise en charge thérapeutique des cas confirmés Covid-19. Depuis, les stocks ont été réquisitionnés des pharmacies par les responsables des unités régionales d’approvisionnement et de la pharmacie, dans un local sécurisé avec une liste de délivrance nominative. Ce qui fait que toute prescription se fait sur ordonnance nominative, accompagnée des informations nécessaires conditionnant la délivrance du médicament.

Docteur Hanane Laarej

Tous les patients covid peuvent-ils recevoir l’hydroxychloroquine (HCQ) ?« On ne donne pas de HCQ avant de faire un ECG (électrocardiogramme) pour s’assurer qu’il n’y a pas de contre-indication, mais les effets secondaires on les connait déjà, dont les plus récurrents sont la diarrhée, les troubles du sommeil, les troubles de la digestion, les cauchemars, l’irritabilité, etc. Mais, il y a aussi les effets cardiaques, notamment, les troubles du rythme », nous explique professeur Hanane Laarej. Une surveillance s’impose ainsi pour les personnes souffrantes ou ayant souffert d’une maladie cardiaque. En effet, cette molécule peut exposer à un risque cardiaque. Mais, cette toxicité cardiaque est dépendante de la dose administrée. L’hydroxychloroquine et la chloroquine sont en effet des médicaments dits « à marge thérapeutique étroite », ce qui signifie que la dose efficace et la dose toxique sont relativement proches.

En tout cas, cette spécialiste en pneumologie affirme qu’à des stades graves de la covid, « le virus engendre des dégâts pulmonaires, à ce moment, il y a très peu de médicaments qui marchent ». Un avis que partage Pr. El Adib, « en général, les patients Covid ne pourraient pas arriver aux stades graves qu’après les premiers 10 jours, à ce moment, forcément l’antiviral ne va pas marcher, d’où l’intérêt d’administrer l’HCQ au tout début de la maladie, quand le patient est toujours en phase virale ».

L’hydroxychloroquine (HCQ) aurait-elle pu être la cause de la mortalité chez certains patients Covid ? « Il n’y a aucun décès déclaré lié à l’administration de l’HCQ au Maroc », tranche professeur El Adib. D’un point de vue scientifique, c’est difficile de faire un lien de causalité, « alors que 30% des patients graves ont des atteintes cardiaques liées à la Covid ». Au niveau de la réanimation, « on ne l’utilise pas comme médicament principal et des fois on ne l’utilise pas carrément », déclare notre source, expliquant que quand un malade dépasse la phase virale, un antiviral ne servirait pas à améliorer son cas.

De toute manière, quelle que soit la nature du médicament administré, il aura certainement des effets secondaires, sur un terrain particulièrement risqué. Donc, la solution pour docteur Laaraj est de mesurer la balance bénéfice-risque.

D’autant plus que le protocole thérapeutique est bien ficelé au Maroc, selon docteur Sefiani, qui a tenu à expliquer que « si le patient présente un seul trouble de rythme, on ne le donne pas et on passe au deuxième protocole ».

Ce qui est sûr, Pour Pr. Laaraj, « c’est que l’évolution de la maladie vers un état sévère n’est pas forcément provoquée par l’hydroxychloroquine ». Dans ce sens, elle rappelle que « le but du protocole thérapeutique est de réduire la charge virale dans la mesure où le patient ne risquerait pas de contaminer son entourage, mais pas pour traiter le virus ni pour éviter le passage à des formes graves ».

docteur Abdelouaheb Bennani

Cependant, docteur Abdelouaheb Bennani, directeur du laboratoire de biologie moléculaire chez l’Institut Pasteur trouve que « le développement de l’infection chez des personnes âgées ou qui ont des comorbidités, aboutit parfois des complications parce qu’il y a un terrain favorisant », mais semble plutôt préoccupé par le taux d’infection qui continue de grimper et préconise ainsi des tests multiplex pour détecter à la fois la grippe et le virus de la covid avec l’arrivée de l’hiver. Interrogée sur les raisons derrière le développement d’une forme sévère de la maladie, docteur Sefiani avance deux hypothèses : soit les patients mettent du retard à aller se faire tester, ils préfèrent rester chez eux de peur d’aller à l’hôpital et ils retardent la prise en charge et le traitement, soit on assiste à une deuxième vague avec une souche avec peu différente.

Par ailleurs, un autre problème se pose, celui de la déontologie. En effet, « les médecins sont confrontés aux challenges de l’exigence de véracité de l’efficacité du traitement tout en prodiguant des soins à leurs patients et aux implications d’une telle exigence. Ils sont confrontés au défi d’équilibrer ces exigences et leur propre conviction. En outre, les principes fondamentaux de bienfaisance et de non-malfaisance, et le respect des personnes devraient sous-tendre tout processus de réflexion pour résoudre ce dilemme », c’est ce qu’explique un article scientifique, signé par les deux professeurs El Rhazi et Adarmouch et intitulé problèmes éthiques liés à la prescription de l’hydroxychloroquine pour le traitement des malades Covid-19. Dans le même document, les deux scientifiques reviennent sur les limites entre les droits et obligations du gouvernement, du praticien et du patient qui ne sont pas toujours claires, ce qui pourrait mettre en danger de manière significative les principes éthiques universels dans la pratique clinique.

Selon le professeur d’épidémiologie Karima El Rhazi, « toutes les recherches liées à l’efficacité de l’hydroxychloroquine pour la covid ont été basées sur des observations cliniques, qui n’avaient pas suivi les règles d’un véritable essai clinique et le patient a droit de savoir qu’il ne s’agit pas d’un traitement à coup sûr, mais ne doit pas le prendre comme étant un traitement miracle de sa maladie ».

Enfin, la « bataille hydroxychloroquine » est devenue un symbole de la guerre qu’une industrie pharmaceutique en quête de gros profits mènerait soi-disant contre un médicament pas cher.

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