Immigration et unité: Enjeux clés de l’élection européenne en 2019

Par Abdellah MEHREZ

 Aujourd’hui, alors que l’Europe se prépare aux élections euro­péennes, prévues en mai 2019, le sujet de prédilection, encore et toujours, serait celui de l’im­migration et par extension ce­lui de l’Islam et du terrorisme orchestré dans un grotesque amalgame. Mais qu’importe, ce mélange explosif sert, depuis toujours, de fonds de commerce commode pour tous les politi­ciens en mal de programme, d’imagination ou tout simple­ment d’éthique.

Le principal sujet de cam­pagne des prochaines élec­tions européennes serait donc l’immigration, qui oppose nationalistes et populistes, re­présentés par les dirigeants de la Hongrie, de l’Italie et de la Pologne d’un côté. Et les sou­verainistes et les européistes conduits par les dirigeants de la France, de la Belgique et du Luxembourg, tandis que les autres comme les Allemands, les Espagnols et les Portugais, sous l’effet de la division de leur opinion nationale, sont dans une position mitigée.

Lors de récentes élections, les forces nationalistes et po­pulistes ont considérablement progressé en manipulant les inquiétudes justifiées ou non relatives à l’immigration.

En France, 16 listes du Front national devenu depuis « Rassemblement National » ont obtenu 27,73 % des voix lors du 1er tour des élections régionales, en décembre 2015, devançant les listes UDI-Les Républicains (26,65 %) et net­tement devant les listes du PS (23,12 %).

Et au cours des dernières élections législatives, dans nombre de pays européens, les forces nationalistes et popu­listes ont progressé de manière très rapide.

  Un rapport du Conseil de l’Europe contredit toutes les idées reçues  selon lesquelles  les migrants  menaceraient  l’emploi  et les régimes  de sécurité sociale des pays où ils s’installent.

« Au Danemark, le parti du peuple (Dansk Folkeparti, DF) est passé de 12,3 % des suffrages exprimés en 2011 à 21,1 % en 2015 ; en Suède, les Démocrates suédois (SD) ont progressé de 5,7 % en 2010 à 12,9 % en 2014 ; en Hongrie, le mouvement Jobbik qui avait rassemblé 16,7 % des suffrages en 2010 en a attiré 20,3 % en 2014 ; l’UKIP britannique est passée de 3,1 % en 2010 à 12,6 % en 2015 ; en Pologne, le parti Droit et Justice (PiS), mouvement national- conser­vateur a remporté les élections législatives d’octobre 2015, avec 37,6 % des suffrages contre 29,9 %, quatre ans plus tôt. En Autriche, le candidat du FPÖ s’est qualifié pour le 2e tour de l’élection présiden­tielle avec 35.1 %. »

D’après l’analyse du politologue français Roland Cayrol, l’immigration joue à 90% dans la montée des populistes, C’est là-dessus que se font désormais les cam­pagnes électorales. C’est l’im­migration et « quand on dit immigration, on dit en réalité les mu­sulmans, les immi­grés venant de pays musulman. » En ef­fet, ce qui surprend selon le politologue que ce soit au Nord ou au Sud de l’Eu­rope, chez les Ca­tholiques ou chez les Protestants, avec ou sans pré­sence excessive des immigrés, de toute façon, l’hostilité à l’islam provoque le même psycho­drame, dans les mêmes conditions et avec les mêmes phrases de méfiance, d’amalgame et de rejet.

En effet, l’interrogation sur la place des immigrés musulmans en Europe et en France en particulier ne cesse de remettre en question leur existence. Qu’il soit explicite ou implicite, ce questionne­ment est constamment dans diverses controverses et polé­miques politiques, populistes ou médiatiques sur l’identité nationale, la citoyenneté, la laïcité, la double nationalité, le vivre-ensemble, l’immigra­tion, l’intégration et l’assimi­lation, les choix vestimentaires et alimentaires, les problèmes de sécurité, de radicalisation ou de terrorisme. Cette stig­matisation des musulmans en Europe et dans le monde s’est amplifiée depuis l’invasion américaine de l’Irak, présentée par le Président Bush comme une croisade et théorisée par les concepts néo impérialistes de « la fin de l’Histoire » et du « Choc des Civilisations ».

L’apport positif et multiforme de l’immigration en Europe

Un rapport du Conseil de l’Europe contredit toutes les idées reçues selon lesquelles les migrants menaceraient l’emploi et les régimes de sécurité sociale des pays où ils s’installent. Chiffres et exemples à l’appui, il dé­montre, au contraire, que les migrants contribuent de façon décisive à la richesse écono­mique et culturelle des pays qui les accueillent.

Ce rapport exhaustif sur l’impact effectif des migrations en Europe s’inscrit en faux contre tous les discours xéno­phobes, hostiles aux migrants, ou contre les gouvernements qui refusent de favoriser l’ins­tallation des immigrés. Pour aborder la question des migra­tions de manière constructive, il en appelle à un renversement complet des manières de voir, en appelant les Etats à régula­riser les migrants parce qu’ils représentent une chance pour l’Europe, aussi bien d’un point de vue économique que cultu­rel. Pour les auteurs de cette étude, l’absence de politiques migratoires coordonnées au niveau européen est la cause directe de la montée des peurs irrationnelles de rejet des mi­grants au sein de la population européenne.

 Pour Andrea Rigoni, le rapporteur libéral italien sur les migrations, la différence – relayée par les médias et des responsables politiques – entre réfugiés politiques et mi­grants économiques, n’est pas pertinente, c’est globalement qu’il faut traiter la question. Il n’y a pas de « bons » et de « mauvais » migrants. Les mi­grations sont un fait contem­porain, c’est la conséquence normale de l’évolution de nos sociétés, et au demeurant, le phénomène a toujours existé. Les migrations sont aussi la conséquence de la mondia­lisation et de la mobilité du marché du travail et du désir de chacun d’améliorer sa si­tuation. On oublie aussi de dire qu’entre 20 et 30 des Eu­ropéens sont, eux aussi, des immigrés dans d’autres pays. Et au cours des 10 dernières années, les migrants ont par­ticipé à hauteur de 70% à l’augmentation de la main d’oeuvre qualifiée en Europe dans les secteurs comme la construction, l’hôtellerie, la restauration, l’informatique, l’agriculture, la science, la technologie, l’ingénierie, l’enseignement supérieur, les médias ou les services finan­ciers. L’immigration com­plète par son savoir-faire et ses compétences les emplois mais ne les remplacent pas comme le discours populiste le prétend. Et selon une étude récente de l’OCDE (Organi­sation de la coopération et du développement économique), les migrants contribuent plus aux impôts et aux cotisations sociales qu’ils ne reçoivent de prestations individuelles. Ainsi au Luxembourg et en Suisse, les migrants four­nissent un bénéfice net estimé à 2% du PIB.

Les migrations ont aussi un effet positif sur le renou­vellement démographique, la dynamique sportive, la renaissance culturelle et la diversité sociale car le vieil­lissement des populations européennes impacte néga­tivement les cotisations et la protection sociales. Et au lieu de parler d’intégration de l’immigration, il convient mieux de favoriser l’inclusion citoyenne où chaque indivi­du, abstraction faite de ses origines, contribue au bien-être collectif dans une société multilingue et multiculturelle ouverte et tolérante.

Il faut réapprendre à vivre ensemble. C’est la réhabilita­tion de cet héritage commun et une reconnaissance de cette composante musulmane dans la mémoire collective et l’identité plurielle de l’Eu­rope qui serait une des clés concrètes pour désamorcer l’escalade du terrorisme qui se nourrit aussi bien d’igno­rances réciproques que de xénophobie, d’islamophobie et des clichés réducteurs et harangueurs des extrêmes.

Si on arrive à comprendre le bon sens du destin com­mun, de la cohabitation in­telligente et de l’échange fécond entre l’Orient et l’Oc­cident, plus particulièrement entre les deux rives de la Méditerranée dont le sang est mêlé et le destin est scellé, on serait tous gagnants.

Le Général De Gaulle di­sait, déjà en 1969, décrivant la nécessité de la complé­mentarité entre les deux rives de la Méditerranée :

« Voyez-vous, il y a de l’autre côté de la Méditer­ranée, des pays en voie de développement : mais il y a aussi chez eux une civilisa­tion, une culture, un huma­nisme, un sens des rapports humains que nous avons tendance à perdre dans nos sociétés industrialisées, et qu’un jour nous serons très probablement heureux de re­trouver chez eux.

Eux et nous, chacun à son rythme, nous avançons… mais si nous voulons, au­tour de cette Méditerranée, construire une civilisation… qui ne passe pas par le modèle américain et dans laquelle l’homme sera une fin et non un moyen, alors il faut que nos cultures s’ouvrent très largement l’une sur l’autre. »

Cherchons donc ce qui nous unit plutôt que ce qui nous sépare et faisons un tra­vail nécessaire de mémoire. Expliquons aux générations montantes que les musul­mans en Europe sont des citoyens et des Européens à part entière par trois fois. Une première fois lorsque les descendants des Marocains, au VIIIe siècle ont, par leur civilisation andalouse, ou­verte, tolérante, cosmopolite et multiconfessionnelle pré­cédé et préparé la Renais­sance et les Lumières.

Et puis une deuxième fois au 20e siècle face à la bar­barie du Nazisme et du Fas­cisme, par le sang versé pour libérer l’Europe, par le sacri­fice courageux et désintéres­sé des dizaines de milliers de Maghrébins, d’Africains et d’Asiatiques, en grande ma­jorité, musulmans.

Et enfin, une troisième fois par l’effort de la construc­tion et l’aménagement de l’Europe qui continue après la dévastation de la seconde guerre. Ce qui lui a permis de se relever d’abord par son dur labeur, dans des condi­tions parfois inhumaines, avant même que l’on songe à la communauté du charbon et de l’acier ancêtre de la CEE et de l’Union européenne.

Ce triple rendez-vous avec l’Histoire implique une dé­cence de la mémoire, une modestie de la victoire et une équité des droits et des devoirs pour réunir sans ex­clure, bâtir sans bannir et co­habiter pour réussir.

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