Immigration : Régularisation massive, la bonne idée pour une intégration 

Tribune

Par Abdelhak Zegrari (*)

La disapora marocaine en Europe est importante et ancienne, répartie principalement entre la France, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne ; en France elle représente le second groupe ethnico-culturel avec 1.7 million individus selon le recensement de l’INSEE de 2019. 

Et pour l’année universitaire 2021-22, 10% des étudiants etrangers sont marocains.Le Maroc demeure un partenaire incontounable dans la coopération avec l’Europe, en matière de lutte contre l’immigration clandestine et la traite des êtres humains.

Plusieurs Etats membres de l’UE ont décidé de réformer en profondeur leur politique migratoire, afin d’améliorer l’attractivité des talents et compétences étrangères. La zone Euro connait un taux de chômage historiquement bas, certes, avec des disparités géographiques, et une pénurie de main d’œuvre sans précédent.Plusieurs secteurs comme le bâtiment, l’hébergement, la restauration, le transport ou l’agro-alimentaire, sont en proie à la pénurie de profils qualifiés. Les causes de cette situation sont multiples et identifiées de longue date comme la nature éprouvante de nombreux métiers, l’inadaptation des compétences, la rémunération, le logement ou les problèmes de mobilité.

Pour faire face à cette situation, les gouvernements rivalisent de stratagèmes pour remédier à cette situation en décidant de commencer par régulariser les migrants déjà présents sur le sol européen. Ainsi, l’Allemagne a décidé cet été de régulariser 100 000 migrants et d’assouplir son code de la nationalité, avec une politique attractive des talents et compétences étrangères. Il est même prévu d’accorder à certains déboutés du droit d’asile d’une « Duldung » (suspension temporaire d’expulsion), un titre de séjour probatoire d’une année,L’Espagne et le Portugal font de même, et en France, les démarches administratives on été simplifiées pour faciliter le recrutement à l’étranger, mais les délais restent encore trop longs. Prise en tenailles par ses voisins qui régularisent massivement, le gouvernement français tente de réagir en proposant un énième texte sur l’immigration, le 29ième en 30 ans ! Il est vrai que le sujet est hautement conflictuel et revient très fréquemment dans le débat public, avec des prises de position extrêmement tranchées. Cette frénésie législative s’explique par la mutation sociale de l’immigration qui a suivi la déstructuration industrielle de la fin des années 80, avec la décorrélation avec la marché du travail.

Il y a eu au parlement ce mardi 6 décembre 22, pour des raisons, au fond, mystérieuses, un débat sans vote sur le sujet ; G Darmanin le ministre de l’Intérieur, évidemmentmaitre d’œuvre du projet de loi, n’hésite pas de citer quelqu’un qu’on ne cite que très rarement dans le débat public, Jacques Bainville, journaliste d’extrême droite de l’entre-deux guerres, figure majeure de l’Action française, mouvement royaliste d’extrême droite et ami intime de l’antisémite Charles Maurras.«Le peuple français est un composé. C’est mieux qu’une race, c’est une nation. Unique en Europe, la conformation de la France se prêtait à tous les échanges de courants, ceux du sang et ceux des idées. La France est un isthme, une voie de grande communication entre le Nord et le Midi», a déclamé Gérald Darmanin, indiquant que, «comme (Bainville), nous pensons que l’immigration fait partie de la France et des Français» ; une manière fort habile de dire que, finalement, l’immigration est dans l’ADN de la France. Cela dit, on reste toujours dans le fameux « en même temps » d’Emmanuel Macron, à la fois fermeté et humanité, « gentil avec les gentils et méchant avec les méchants », puisque le matin même, il déclarait à la radio: « toute personne en France qui aura un casier judiciaire et qui sera étranger ne pourra pas être régularisé et sera donc expulsé du territoire national, on veut ceux qui bossent et pas ceux qui rapinent ». Le ton est donné !

Automatiser le renouvellement des titres

Cette régularisation concernera 70 000 étrangers tous les ans , auxquels s’ajouteront 200 000 étrangers qui demandent le renouvellement de leur titre de séjour. Il s’agit d’un titre de séjour spécifique pour les étrangers en situation irrégulière qui occupent déjà un métier à tension. Un titre qui ressemble beaucoup à celui qui existe déjà, il serait temporaire, d’une durée d’un an et renouvelable ; il pourrait être demandé par les travailleurs étrangers pour éviter toute situation de dépendance à l’égard de l’employeur. Autre nouveauté, il est question d’automatiser le renouvellement des titres de séjour de tous les étrangers déjà présents sur le territoire, sans un énième rendez-vous des files d’attente numériques, afin de désengorger les préfectures.

Qu’on se rassure, cette régularisation ne sera pas aussi massive que certains milieux populistes laissent croire. : il y a une sorte d’hypocrisie, car il y a une importante régularisation qui se fait « au fil de l’eau » qui se rajoute aux 30/35 000 titres de séjour qui sont donnés annuellement au titre du travail. Même pendant le covid, on a continué à faire venir des travailleurs, et en particulier dans les hôpitaux et l’agriculture, et du reste, sans se soucier tout le temps, sur l’impact que cela peut avoir sur les pays de départ. La nomenclature des métiers en tension n’est pas à jour, puisqu’un secteur comme la restauration, grand employeur au noir, n’en fait pas partie. La grande difficulté de cet important secteur, c’est quand même l’articulation entre le niveau de salaire et le logement, qui constitue une grande difficulté occultée dans le débat actuel. On est aujourd’hui dans une situation de perte de la production de logement, et pour rappel, 20% des personnes qu’on trouve sur les trottoirs parisiens ou les campements de fortune qui défrayent la chronique, ont déjà un titre de séjour et n’arrivent pas à trouver un logement. Et la particularité du système global, et qui est une difficulté sociale , c’est la concentration de plus en plus forte de l’immigration, quel que soit son origine dans l’introduction sur le territoire français, dans certains quartiers, alors que le centre-ville voit la diminution de sa part d’immigrés dans la population de base. Aujourd’hui, on a la réalité du travail et on a la réalité des symboles que peuvent représenter par exemple les J.O de 2024 à Paris, où certains chantiers emploient des travailleurs sans-papiers. On a ces situations, c’est-à-dire l’utilisation d’un « alias », d’un nom, qui est souvent un nom vendu par quelqu’un, en contrepartie de cette vente, tous les mois, il va donner une partie de son salaire pour utiliser cet alias qui va permettre à la personne de travailler. Or, il y a un système de contrôle qui n’est pas un système de contrôle vraiment, puisque bien souvent, les entrepreneurs, les patrons, comme d’autres dans la société, ne contrôlent pas automatiquement la régularité du séjour, et en tous cas, ne s’adressent pas à la préfecture pour demander si la personne a le droit de travailler ou pas. C’est un problème, ça génère des amendes qui sont régulièrement données mais pas suffisamment. Le bâtiment est historiquement une activité avec une cascade de sous-traitants, et le problème du travail illégal y est historique. On peut se demander si la régularisation va amener ces mêmes patrons à avoir un comportement légitime ; rien n’est moins sûr, surtout sur des métiers où les choses sont beaucoup plus fluides.

50.000 morts en 10 ans

Concernant l’asile, l’air du temps n’a guère changé malgré l’accueil des Ukrainiens ; le gouvernement veut pouvoir accélérer les expulsions, notamment dès le rejet d’une demande d’asile en première instance sans attendre un éventuel recours, en territorialisant l’appel et en réduisant les fameuses 12 procédures de la CNDA (cour nationale du droit d’asile) à 4, sachant que ces voies de recours ne concernent pas les travailleurs sans-papiers.

En conclusion, cette régularisation serait une avancée politique majeure, et un enjeu social sur la voie de l’intégration, dans un cadre sécurisant qui garantisse l’égalité de traitement. Il faut veiller à ce que cette intégration par le travail ne soit pas un artifice et ne soit pas dépendante d’une liste de métiers en tensions aléatoire et variable qui créerait à nouveau de la précarité. La délivrance d’un titre pluriannuel d’emblée permettrait cette intégration. Il faut inciter les employeurs à accompagner la formation professionnelle et l’accès au logement. Simplifier cette régularisation, briser le pouvoir de l’employeur dans le cadre de l’admission au séjour et des renouvellements de titres de séjour « salarié » serait un changement de logique extrêmement positif.. Jouer sur les peurs et déshumaniser les personnes, c’est le contraire de la fraternité républicaine. On comprend qu’il y ait des critères définis par chaque Etat pour la régularisation, mais il est un autre plus déterminant : Ce sont les étrangers qui survivent et ceux qui meurent, car avant d’être un immigré on est migrant, et on dénombre quelque 50 000 morts en Méditerranée en 10 ans.

(*) – Abdelhak ZEGRARI et économiste, chercheur (United Nations Network on Migration)

 

 

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