Industrie automobile : Maroc-Chine, un partenariat fécond

Par Abir Ettayache
Auparavant perçu comme un outsider dans le secteur automobile, le Maroc est aujourd’hui le premier producteur de voitures en Afrique. Le plus marquant, le royaume est devenu le principal fournisseur de véhicules vers l’Union européenne, devant la Chine, le Japon et l’Inde. Ce bond spectaculaire ne relève pas du hasard, mais d’une stratégie industrielle méticuleusement bâtie depuis plus d’une décennie. Cependant, alors que les drapeaux marocains flottent fièrement sur les chaînes de montage de Tanger et Kénitra, un nouveau partenaire – s’impose : la Chine.
L’arrivée des géants chinois de l’automobile au Maroc, comme BYD, Geely, Changan ou Chery, a, dans un premier temps, fait craindre une forme de compétition directe. Mais en y regardant de plus près, c’est une complémentarité stratégique qui semble émerger, dans ce qui pourrait être une relation réellement gagnant-gagnant.
La Chine, en pleine conquête du marché mondial avec des ambitions de dominer 33 % du secteur automobile mondial d’ici 2030 selon le Global Automotive Outlook, voit dans le Maroc un relais naturel de croissance. Proximité avec l’Europe, accords de libre-échange avec plus de 50 pays, main-d’œuvre qualifiée, infrastructures logistiques de pointe et écosystème industriel solide : le Maroc coche toutes les cases.
En retour, le Royaume profite de cette ruée chinoise pour diversifier ses partenaires, attirer des investissements massifs – comme ceux annoncés avec les entreprises chinoises Hailiang et Chintem dans les batteries électriques pour près de 910 millions de dollars à la ville Mohammed VI Tanger Tech – et ainsi renforcer sa montée en gamme dans la chaîne de valeur automobile.
Le Maroc, pas simple plateforme… mais un acteur clé
Contrairement à l’image d’un simple pays de transit ou d’assemblage, le Maroc s’impose comme un acteur souverain, à la tête d’un modèle industriel structuré. La montée de la production locale – avec une capacité annuelle visée de 2 millions de véhicules d’ici 2030, et une intégration locale à 80 % visée par Stellantis – illustre cette volonté de se positionner durablement au cœur de la chaîne de valeur mondiale.
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La production n’est plus seulement quantitative : elle est aussi qualitative. Grâce aux investissements dans la micro-mobilité, les technologies embarquées et les composants techniques (puces, capteurs, batteries…), le Maroc ne se contente plus d’assembler. Il conçoit, développe, et exporte des savoir-faire.
Et les voitures chinoises dans tout ça ?
Leur succès au Maroc est indéniable. Design attractif, technologies embarquées, sécurité, prix compétitifs… Les marques chinoises répondent aux attentes d’une classe moyenne en expansion, qui accède plus facilement au crédit et recherche des véhicules bien équipés à coût modéré. Le marché intérieur marocain, qui a vu ses ventes passer de 122 000 véhicules en 2014 à plus de 176 000 en 2024, est un terrain fertile pour ces marques. Mais pour durer, elles devront s’implanter profondément : renforcer les réseaux de distribution, assurer un service après-vente efficace, construire une image de marque crédible.
Toutefois, la relation entre le Maroc et la Chine dans l’automobile ne ressemble en rien à une guerre de parts de marché. Il s’agit plutôt d’un partenariat tactique où chacun joue une carte différente mais complémentaire. Les constructeurs chinois trouvent au Maroc un accès fluide vers l’Europe, des coûts de production compétitifs, une base logistique stable et décarbonée, pendant que le Maroc bénéficie de transferts de technologie, de création d’emplois qualifiés, d’une montée en gamme industrielle et surtout, d’un renforcement de son soft power économique.
À travers Tanger Tech et les dizaines d’accords signés depuis la visite royale de 2016 à Pékin, c’est toute une architecture de coopération qui se dessine.
Le Maroc, carrefour industriel mondial
Le Maroc ne choisit pas entre Orient et Occident, il s’inscrit au carrefour de plusieurs pôles de puissance, et une agilité géoéconomique qui fait sa force. Alors que certains acteurs européens délocalisent leur production pour rester compétitifs, et que la Chine cherche à contourner les barrières tarifaires européennes, le Maroc se retrouve au centre de l’échiquier.
Le « Made in Morocco » est désormais une signature reconnue dans plus de 70 pays. En attirant la Chine sans perdre l’Europe, en développant son propre tissu industriel tout en restant ouvert, le Royaume ne subit pas la mondialisation, il l’organise.
Alors, défi ou complémentarité ? Ni l’un ni l’autre, ou plutôt les deux à la fois, dans une logique d’interdépendance intelligente. La Chine, en installant ses marques et usines au Maroc, parie sur un futur commun. Et le Maroc, fort de sa position stratégique est devenu une force industrielle, où même les géants chinois viennent s’ancrer pour rêver plus grand.