Jean-Yves Leconte : Les politiques de visas sont susceptibles de bannir toute chance de se retrouver

Ces derniers mois, les relations conflictuelles entre le Maroc et la France n’ont cessé de déstabiliser le paysage diplomatique. Après la crise des visas et le sujet du Sahara marocain, un froid a été jeté entre Rabat et Paris. Si un retour à la normale des relations bilatérales a été annoncé fin 2022, le climat peine à se détendre et les questionnements sont multiples autour de la nature de ces nouvelles relations.

Jean-Yves Leconte, Sénateur des Français établis hors de France, décrypte pour MAROC DIPLOMATIQUE, ce qui ne serait pas un problème exclusivement marocain, mais bien plus africain, en revenant sur les incompréhensions fondamentales qui régneraient entre la France et ses anciennes colonies.

Abordant la mauvaise communication de l’Élysée, la place des diasporas et le potentiel des pays africains, Jean-Yves Leconte, nous apporte des clés de lecture essentielles à la compréhension des nouvelles dynamiques Nord-Sud.

 

MAROC DIPLOMATIQUE : Les relations entre le Maroc et la France sont un peu tendues depuis un certain temps, en tant que sénateur français, quelle lecture faites-vous de la situation actuelle ?

Jean-Yves Leconte : Si on est arrivé à un moment où il y a tant de difficultés, c’est qu’il y a énormément de choses à changer dans les relations entre le Maroc et la France. Je suis très préoccupé par les questions de mobilité qui sont perçues de manière irrationnelle. Tant que l’Afrique n’arrive pas à avoir des échanges et une mobilité normale avec la France, on se comprendra de moins en moins. Je suis profondément inquiet de la relation entre la France et l’ensemble du continent africain. Mais surtout de la compréhension de l’ensemble de l’Europe avec le continent africain. Il faut savoir que même si on parle la même langue, on n’arrive pas toujours à se comprendre, c’est pourquoi il faudra absolument qu’on crée des opportunités pour mieux se connaître.

Emmanuel Macron a évoqué un sentiment anti-français au moment où certains parlent plutôt d’un sentiment anti-politique française. À quoi renvoie cette déclaration de Macron ?

Il s’agit, à cet égard, d’une question de compréhension et de respect. Rappelons qu’il y avait des difficultés mémorielles entre l’Afrique et la France. Avec François Hollande, on a assisté à une crise majeure entre la France et le Maroc probablement plus importante que celle-ci qui est moins maroco-française, mais plus globale, dans la mesure où elle est plutôt liée aux relations entre l’Afrique et la France, ainsi qu’aux comportements arrogants, constatés sur les trois et quatre dernières années, du côté français, et qui étaient parfois totalement inappropriés. Même quand il (Emmanuel Macron, ndlr) disait des vérités, il le faisait de manière à humilier les pays africains plutôt que d’essayer d’améliorer les choses. C’est d’ailleurs le cas notamment pour le Mali et le Burkina Faso.

Une situation qui fait que les incompréhensions s’accumulent. Chose qui est dommageable alors que nous avons énormément besoin de travailler ensemble.

Le journaliste Michael Pauron a écrit un livre dans lequel il a remis en question la politique de la France vis-à-vis de l’Afrique. Il y décrit que « le logiciel diplomatique français est dépassé ». Comment voyez-vous l’évolution de la diplomatie française en Afrique ?

Malheureusement, je pense que c’est plus large que cela. Il y a une incompréhension fondamentale entre les populations françaises et les populations africaines d’une manière générale.

Si le sujet des migrations est utilisé de manière absolument irrationnelle en France par certains responsables politiques, c’est parce qu’ils savent que cela aura un écho au sein de la population qui sera contraire à l’écho qui se produira en Afrique, compte tenu des appétences et des besoins. Donc finalement, les responsables politiques devraient s’attacher à retrouver les voies du dialogue et de la compréhension plutôt que de faire du populisme pour faire de la politique intérieure au détriment des relations internationales.

Je vois qu’il y a effectivement des sentiments anti-français qui existent dans un certain nombre de pays de l’Afrique de l’ouest en particulier, et qui sont utilisés et exploités par les puissances étrangères et aussi par des personnes qui veulent justifier des orientations politiques différentes.

En tant que sénateur des Français de l’étranger, pensez-vous que les tensions diplomatiques peuvent impacter les chances des investisseurs français dans le continent ?

Il existe une diaspora qui souffre. Certains résidents à l’étranger sont à la fois français et maliens, d’autres français et burkinabés. Ils sont donc totalement l’une et totalement l’autre et comprennent la manière dont les choses se passent en France et dans l’autre pays. Ainsi quand les deux parties se heurtent, ces diasporas pourraient se trouver en souffrance et aimeraient bien que leurs compatriotes les comprennent mieux. Il ne faut tout de même pas oublier que cette diaspora constitue une force sur laquelle on doit s’appuyer pour essayer de construire des ponts d’autant plus qu’il y a énormément d’opportunités à saisir et de choses à faire pour participer au développement économique du continent africain. J’ai tendance à penser qu’il y a tellement d’investissements à faire dans les domaines de l’éducation, de la santé, des infrastructures…qu’aucun pays non africain intéressé par l’investissement en Afrique ne doit être en compétition avec un autre. Il y a de la place pour tout le monde.

En parlant des investissements, le Maroc met désormais le focus sur les énergies notamment dans ses provinces du Sud. Selon vous, la France ou encore les autres pays européens pourront-ils facilement accéder au marché énergétique en dépit de leur position politique sur les provinces du Sud ?

Il y a un certain nombre d’opportunités en matière d’énergie solaire existant sur le continent africain. Et c’est utile que cette évolution de la consommation énergétique en Afrique soit d’énergie verte.

Je pense qu’il y a énormément d’opportunités d’investissement et de possibilités de faire de nouvelles choses. Des investissements européens, allemands et espagnols se font d’ailleurs en Mauritanie pour exploiter l’hydrogène vert et les sources d’énergie solaire pour ensuite permettre à certaines industries en Espagne de fonctionner de manière décarbonée. A mon sens, ce sont de bonnes orientations qui doivent se faire en bonne intelligence. Pour cela, il faut essayer de retrouver les voies du dialogue. Sachant que les politiques en matière de visas sont particulièrement susceptibles de bannir toute chance de se retrouver.

Selon vous, quel serait l’avenir des relations entre la France et le Maroc ?

Le Maroc a d’énormes atouts sur lesquels il faut impérativement qu’on s’appuie si on veut refaire les choses. Je tiens à préciser qu’il y a énormément de pays africains dont les principaux problèmes sont la stabilité, la gouvernance et l’absence d’État. Or, le Maroc possède ces trois choses. Plus encore, il sait vivre avec des voisins qui sont compliqués. Pour cette raison, il est absolument indispensable de pouvoir bien se comprendre.

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