Jeune Afrique dresse le portrait de Hammouchi, « le superflic de Sa Majesté »

Dans sa dernière livraison, l’hebdomadaire Jeune Afrique a consacré sa couverture à un intéressant portrait d’Abdellatif Hammouchi, Directeur général de la Direction générale de la sûreté nationale (DGSN) et de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), sous le titre «Abdellatif Hammouchi : le superflic de Sa Majesté».  En voici l’intégralité.

Siège de la Direction général de la sûreté nationale (DGSN), centre-ville de Rabat. Au premier étage de cette vieille bâtisse des années 1950, le bureau du maître des lieux, Abdellatif Hammouchi, 53 ans. « Il y passe généralement une demi-journée, confie Boubker Sabik, porte-parole de la DGSN. Le reste du temps, il est dans son autre bureau de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), à Témara.» Le premier flic du royaume en est aussi le premier agent de renseignement. Un cumul de postes inédit dans l’histoire sécuritaire du Maroc qui en dit long sur la confiance placée en lui par le roi Mohammed VI. «C’est un modèle qui a incontestablement fait ses preuves et qui nous est envié par d’autres pays, assure Abdelhak Khayyam, patron du Bureau central d’investigation judiciaire (BCIJ), bras armé de la DGST, et lui-même ancien de la DGSN. Avoir un seul décideur à la tête de ces deux directions stratégiques ouvre toutes les passerelles de collaboration et supprime tout clivage.»

Lorsqu’il est nommé à la tête de la DGSN, en 2015, certains sécurocrates ne donnaient pourtant pas cher la peau de ce grand commis de l’Etat tant le cumul des casquettes de patron de la Sûreté nationale et de la Surveillance du territoire est difficile. Un familier du sérail confie alors : « La charge de travail est trop lourde pour un seul homme, il va exploser en plein vol. » Mais sa capacité d’absorption est hors norme. « Il n’a pas pris de vacances depuis vingt ans, hormis récemment quelques jours, à la veille du mois de ramadan, pendant lesquels il s’est rendu sur les Lieux saints pour une Omra express en famille », nous apprend l’un de ses rares confidents. Une disponibilité et un dévouement permanents. Avec des résultats à la clé. « En quatre ans, il a accompli ce qui n’avait pas été fait en plusieurs décennies au sein de la DGSN, affirme Mohamed Dkhissi, directeur central de la police judiciaire. Il y a opéré un changement radical avec une équité irréprochable, une humanité admirable et sans tapage. » Une caractéristique de ce personnage très discret.

Une DGSN métamorphosée

Dans l’ombre de la DGST et sous les projecteurs de la DGSN, Hammouchi continue de cultiver le secret imposé par son statut de chef du renseignement. Il n’a jamais accordé d’interview. Il consent très rarement à recevoir des journalistes, même en off. Dans le même temps, le directeur de la DGSN veille à ce que la police s’ouvre plus que jamais à la communication. « Avec Hammouchi, notre devise est de ne rien dissimuler à l’opinion publique à part ce qui est interdit par la loi, alors qu’avant la consigne était de ne communiquer qu’au strict minimum de ce que prévoit la loi », explique Boubker Sabik. La com intensive de la DGSN accompagne une multitude de mesures visant à restructurer les services de police pour gagner en efficacité. Création de nouvelles brigades, renforcement d’unités existantes, renouvellement du parc automobile et des équipements, modernisation des centres chargés de recevoir les appels au secours, rationnalisation des dépenses, paiement des arriérés des fournisseurs, régularisation des avancements, amélioration de la qualité des recrutements, promulgation d’un nouveau statut pour les fonctionnaires de la Sûreté nationale… Les collaborateurs de Hammouchi peuvent disserter des heures sur le bilan de leur boss. « Le concours de recrutement de police a changé de fond en comble. De l’annonce de son organisation jusqu’à la correction des épreuves, tout a été revu pour garantir l’égalité des chances et en finir avec les pratiques de piston ou de triche », affirme Daoud Aït Ja, chef de division à la direction des ressources humaines de la DGST. C’est que le mérite est une valeur sacrée pour ce fils de fellah (agriculteurs), qui doit son ascension à ses seules compétences.

Capacité d’anticipation

C’est en 1991 que la carrière d’Abdellatif Hammouchi démarre au sein de la DGST, après des études à Fès et un service civil au cabinet du secrétaire général du département de l’Information, alors lié au ministère de l’Intérieur. L’islam politique galopant et l’activisme des groupes jihadistes deviennent dès lors les sujets de prédilection de l’officier de renseignement. Les milliers de fiches compilées et les centaines de rapports étudiés ou établis permettent à cet analyste– surdoué selon ceux qui l’ont alors côtoyé – de gravir rapidement les échelons. Quand le général Hamidou Laanigri reprend les rênes de la DST, en 1999, au lendemain de l’accession au trône de Mohammed VI, il repère immédiatement ce trentenaire qui maîtrise sur le bout des doigts les mouvances islamistes et organisations jihadistes. « Quand Laanigri briefait de hauts responsables, des homologues étrangers ou certains journalistes, Hammouchi était toujours là. Il est incollable sur les réseaux terroristes. Il est d’ailleurs toujours capable de vous citer, de mémoire, les noms des membres d’une cellule, de retracer leurs parcours et leurs relations avec d’autres groupes combattants », nous raconte un ancien du ministère de l’Intérieur.

Ses compétences sont telles que la CIA tente de le débaucher. « George Tenet » (directeur de la centrale de 1997 à 2004) lui a proposé la nationalité américaine et un haut poste à Langley, nous confie l’un de ses proches. Hammouchi a répondu : “Marocain je suis né, marocain je resterai, marocain je mourrai.” » Le royaume reconnaît aussi Abdellatif Hammouchi à sa juste valeur. En haut lieu, sa capacité d’anticipation et la qualité de ses rapports sont grandement appréciées. Mohammed VI en personne lui en commande souvent… et le nomme directeur de la DGST en décembre 2005. À 39 ans seulement, il est le plus jeune patron du renseignement que le Maroc ait connu, mais aussi le benjamin des patrons des services de renseignements dans le monde.

Normalisation de la DGST

Comme il l’a fait avec sa réforme progressive de la DGSN, Hammouchi a déjà marqué de son empreinte l’image et les pratiques de la DGST. Fini le temps des « haj barbouzes » adeptes des disparitions et des interrogatoires musclés dans des caves obscures ! La DGST apparaît aujourd’hui comme une institution normalisée et fréquentable. Son Groupe de recherche et d’intervention (GIR) est acclamé par la foule : les hommes cagoulés qui le composent risquent leur vie sur le terrain lors d’opérations antiterroristes. En 2011, une commission parlementaire a pour la première fois de l’histoire eu accès au fameux siège Témara, longtemps l’un des centres sécuritaires les plus secrets du royaume.

Quelques médias ont également pu accéder à l’antre de la DGST, en marge d’une inauguration royale. « Le siège de la DST et son bureau du deuxième étage du centre d’opérations sont à son image : monacaux, propres, rangés, fonctionnels », nous confie l’un des rares journalistes à avoir été reçu « à titre amical et privé » par le patron du renseignement. Il garde le souvenir d’un « personnage, affable, lisse, ordonné et structuré ». De leur côté, ses proches et ses collaborateurs rivalisent de qualificatifs pour encenser l’intégrité, la piété, le sérieux et la sincérité du haut fonctionnaire. Solitaire, on ne lui connaît aucune fréquentation mondaine. Peu d’amis. Jamais de restaurants. Un côté « moine-soldat », constamment disponible pour le roi. Jamais de frasques.

Cette réputation d’homme exemplaire a failli être ternie par les accusations de « complicité de torture » portées contre lui en France. En février 2014, et alors que l’intéressé se trouve au Maroc, des policiers viennent frapper à la porte de la résidence de l’ambassadeur du royaume, à Neuilly-sur-Seine, porteurs d’une convocation de la justice à son nom. L’épisode tourne à la crise diplomatique entre les deux pays et à la suspension de la coopération judiciaire. Ses collaborateurs ont beau jurer que « ces affabulations lui passaient par-dessus la tête », Hammouchi n’a pas oublié l’offense, quand bien même Manuel Valls, Premier ministre à l’époque, et François Hollande, alors président, lui ont juré par la suite qu’ils n’étaient pas au courant.

Les excuses de la France sont intervenues un an après cette crise, d’abord à travers un vibrant hommage rendu par le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve au travail de la DGST et à son directeur en matière de lutte antiterroriste.

« Tu as sauvé la France », renchérit Patrick Calvar, patron de la Direction générale de la sécurité intérieure, au lendemain des attentats de Paris de novembre 2015. C’est grâce à un tuyau marocain que le terroriste Abdelhamid Abaaoud et ses complices avaient été localisés. Puis, au début de 2016, Abdellatif Hammouchi a été élevé au rang d’officier dans l’ordre de la Légion d’honneur.

Une marque de reconnaissance supplémentaire envers le directeur de la DGST, souvent félicité et remercié par des chefs d’État ou des responsables gouvernementaux étrangers pour la précieuse collaboration des services marocains et pour leur professionnalisme.

Le dernier témoignage en date est celui des autorités sri-lankaises, qui ont tenu à exprimer leur gratitude aux services marocains, qui, les premiers, leur ont communiqué les identités et photos des auteurs des attentats survenus sur leur sol en avril. Et il n’y a pas qu’en matière d’antiterrorisme que la collaboration avec les services étrangers est exemplaire. « En quelques semaines, nous avons livré aux Espagnols et aux Italiens deux grosses pointures du crime organisé recherchées depuis des années et nous avons démantelé avec les Français un réseau de trafic de cannabis à travers une livraison surveillée », recense le directeur d’Interpol Maroc. Abdellatif Hammouchi et ses hommes veillent au grain sur tous les fronts.

 

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