Jeunesse marocaine : une vraie ressource que l’avenir désenchante

Souad Mekkaoui

Lors de la cérémonie de présentation du bilan d’étape et du programme exécutif dans le domaine du soutien à la scolarité et de la mise en oeuvre de la réforme de l’éducation et de la formation, un groupe de 12 étudiants et stagiaires lauréats, au titre de l’année scolaire 2017-2018 a été reçu et salué par S.M. le Roi Mohammed VI. N’est-ce pas là un hommage et une mise en avant de jeunes méritants qui se sont distingués par leur parcours scolaire ? N’est-ce pas cette jeunesse même qui redonne l’espoir et retrace les contours d’un Maroc meilleur ? N’est-ce pas cette jeunesse qui représente la meilleure réelle et principale richesse du pays que le Roi a mise au centre de sa vision parce que l’essor économique du royaume et sa stabilité politique et sociale reposent sur elle ?

Rappelons à cet effet que les jeunes étaient au coeur du discours du roi Mohammed VI, du 20 août, célébrant le 65ème anniversaire de la révolution du Roi et du Peuple. Sa Majesté y a dressé un puissant plaidoyer percutant pour cette catégorie de la société. Rappelons aussi que lors du discours du Trône, le souverain avait presque exhorté les partis politiques à ouvrir larges les horizons aux jeunes pour les sensibiliser à la chose publique et participer à leurs encadrements. Il a par ailleurs, exigé que la problématique des jeunes soit placée au coeur du nouveau modèle de développement. Mais c’est à croire que les instructions tombent dans les oreilles de sourds.

Le bonheur de voir ces jeunes étudiants saluer le Roi n’a d’égale que la frustration que l’on ressent quand on voit des vidéos de jeunes en masse qui guettent le zodiac providentiel qui les emmènerait à l’Eldorado qu’ils s’imaginent ou au fin fond de l’océan qui cracherait, quelque part, leurs dépouilles.

Deux jeunesses pour un Maroc

La jeune Hayat qui a rendu l’âme succombant aux tirs de la Marine royale n’est-elle pas l’incarnation même de la détresse de ces jeunes qui ne se retrouvent plus dans leur pays ? Ironie du sort ou signe du destin ? Hayat qui veut dire « vie » n’aspirait qu’à une vie digne et des conditions meilleures pour pouvoir prendre en charge sa famille.
Qu’est-ce qui éloigne alors une jeunesse qui brille et hisse le drapeau national dans divers domaines mais qui reste –à notre grand regret- minoritaire, d’une jeunesse qui sombre dans le chaos pour muter en bombe à retardement ?

Pourtant, lors de l’ouverture du Parlement, le 13 octobre 2017, le souverain a souligné qu’il avait rappelé au gouvernement El Othmani « la nécessité de placer les questions de la jeunesse au coeur du nouveau modèle de développement». «J’ai également appelé à l’élaboration d’une stratégie intégrée dédiée aux jeunes, qui permettrait de définir les moyens de promouvoir efficacement leur condition», avait-il encore insisté. Dix mois plus tard, rien n’est fait et il revient sur le problème. Une stratégie qui attend toujours d’être révélée par l’exécutif. Il en est de même pour l’installation des membres du «Conseil consultatif de la jeunesse et de l’action associative». Et pourtant la loi portant création de cette instance avait été publiée au Bulletin officiel, en janvier dernier.

Tant de blocages font que dans un pays où l’éducation et l’emploi constituent l’épine dorsale, même ceux qui réussissent et brillent, envisagent de quitter ce Maroc qui les empêche de libérer leur potentiel et jette le doute sur leur devenir, une fois leur diplôme en poche. En effet, même les lauréats ne sont pas à l’abri du chômage qui touche un jeune sur quatre, en dépit du niveau de croissance économique atteint globalement par le Royaume. Et l’accès au monde professionnel relève souvent du parcours du combattant surtout quand il ne faut compter que sur sa formation. Ce gaspillage du potentiel des jeunes, de multiples formes d’intelligence et de créativité marocaines qui vont déployer leurs talents sous d’autres cieux est une vraie perte pour le pays qui paie un coût énorme avec ce que cela implique en termes de fuite des cerveaux à l’étranger et de ressources publiques mobilisées pour leur formation et entrave les dynamiques de développement.

 Le Roi Mohammed VI a exigé que la problématique des jeunes soit placée au cœur du nouveau modèle de développement. Mais c’est à croire que les instructions tombent dans les oreilles de sourds.

Des jeunes dont on tue l’élan

Ils sont âgés de 15 à 34 ans, ils se comptent à 11 millions et représentent un tiers de la population, pourtant ils sont marginalisés voire oubliés de la croissance. Tel est le constat alarmant du Conseil économique, social et environnemental du Maroc. Leur insertion dans la société reste un défi majeur à relever surtout qu’elle doit passer par l’emploi.

 A voir les chiffres atterrants du rapport annuel de 2017 du CESE, le moins que l’on puisse dire est que la situation est vraiment critique et inquiétante. Le décrochage scolaire concerne deux jeunes marocains sur trois, le taux de chômage avoisine les 20%, la moitié de ceux qui tra­vaillent occupent des postes à bas salaires et 75% n’ont aucune cou­verture sociale, dans un pays porté par une croissance favorable de 4% (contre 1,2% en 2016). Une situa­tion bien alarmiste pour les jeunes ayant un faible niveau d’instruction et qui vivent en milieu rural, indique le rapport. Ainsi, le sentiment de frustration et de marginalisation res­senti engendre la tentation de quit­ter le pays pour d’autres horizons dans les meilleurs cas, autrement c’est la délinquance, la criminalité et l’extrémisme qui tendent leurs tentacules. Et comble de désarroi, le rapport officiel du Conseil avise qu’un jeune sur cinq souffre de troubles psychologiques causés par des fléaux comme l’addiction aux drogues, le tabagisme et le suicide mais aussi par des dérives qu’im­pliquent les réseaux sociaux et leur utilisation abusive.

C’est dire que nos jeunes souffrent d’un mal-être désespérant qui tisse sa toile dans un terreau où non seu­lement la formation et l’emploi font défaut, mais où l’ouverture d’esprit et l’épanouissement intellectuel ne trouvent pas de place. C’est ainsi que cette catégorie de compatriotes sombre dans la précarité dès son jeune âge. D’ailleurs, le Haut-com­missariat au plan qui a tiré la son­nette d’alarme sur la situation des jeunes au Maroc, a signalé que plus de deux millions de jeunes maro­cains âgés entre 15 et 24 ans ne font rien au quotidien, n’ont ni forma­tion, ni travail.

Un système éducatif à fabriquer des chô­meurs

«Nous ne devons plus accepter que notre système éducatif fonc­tionne comme une machine à fabri­quer des légions de chômeurs», des diplômés qui «peinent énormément à intégrer le marché de l’emploi» souligne S.M le Roi dans l’un de ses discours. Cela dit, faut-il rappeler que le système éducatif marocain s’est transformé en un appareil à produire des diplômés en décalage avec les besoins réels d’une éco­nomie en plein essor ? Force est de constater que l’enseignement dis­pensé à ces jeunes n’est souvent pas en adéquation avec leurs attentes ni en phase avec les besoins du marché de l’emploi. Si l’université et l’école produisent donc l’analphabétisme et l’exclusion, comment peut-on es­pérer qu’elles feront émerger des forces vives aptes à prendre le re­lais ?

Sans oublier que cela handicape l’économie marocaine et empêche les jeunes de profiter des retombées de ses performances, par ailleurs, incontestables. De fait, ces jeunes se trouvent orientés vers un avenir abstrait et chimérique.

La jeune Hayat qui a rendu l’âme succombant aux tirs de la Marine royale n’est-elle pas l’incarnation même de la détresse de ces jeunes qui ne se retrouvent plus dans leur pays ? Ironie du sort ou signe du destin ?

Aussi est-il urgent d’ « offrir du concret » à ces jeunes qui ont perdu tout espoir et confiance en l’avenir. Et là, on ne peut ne pas penser au service militaire et à la décision de sa restauration pour les jeunes marocains avec tous les sens et va­leurs que cela implique, à savoir le vivre-ensemble, la citoyenneté et l’amour de la patrie. Or l’esprit d’appartenance ne peut avoir lieu dans un contexte où les jeunes se sentent marginalisés et laissés pour compte. Pourtant chaque citoyen, quel que soit le milieu dont il est issu, a droit aux mêmes opportuni­tés et aux mêmes chances d’accès à un enseignement de qualité et à un emploi digne.

Notre jeunesse qui est notre vraie ressource est malheureusement notre grand mal. On passe le temps à faire des diagnostics qui restent sans appel au lieu de prendre cette pro­blématique à bras le corps et passer à des mesures concrètes.

Il est impérieux donc que les ac­teurs et responsables concernés se penchent, sérieusement, sur cette grande problématique pour prendre, d’urgence, les mesures qui s’im­posent afin de remédier, de façon ef­ficiente, à ce problème épidémique et arrêter les dégâts qui risquent d’être encore plus dévastateurs. En conséquence, les grands remèdes sont nécessaires et doivent cibler une meilleure harmonisation entre la formation et les exigences du marché du travail. Réduire, de ma­nière significative, le chômage des jeunes, leur donner une perspective de vie et un espoir d’évolution sont les défis à relever pour les rassurer et leur donner un espoir de transfor­mation pour l’avenir en les mettant au coeur des préoccupations de tout le pays et du nouveau modèle de dé­veloppement.

Nos jeunes sont l’avenir et le salut du pays. C’est pourquoi il faut leur ouvrir les portes de l’espoir, lancer des initiatives, penser à des solu­tions nouvelles et adéquates, bref, formuler des résolutions pratiques pour leur épargner le chômage qui constitue, désormais, la phobie de toute une catégorie de la société qui ne se donne plus le droit de rêver tellement l’avenir est flou.

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