Karim Medrek : « Le partenariat avec l’Australie est un modèle »

Entretien réalisé par Souad Mekkaoui

En 2005, le Maroc ouvrait une ambassade à Canberra pour renforcer les liens diplomatiques et surtout économiques entre le Royaume et l’Australie. Et depuis octobre 2016, c’est Monsieur Karim Medrek qui est nommé ambassadeur du Maroc en Australie. Avec l’ouverture de l’ambassade australienne à Rabat, la mise en place du groupe d’amitié parlementaire Australie-Maroc et le lancement du Conseil d’affaires Maroc-Australie, on peut dire que l’année 2017 a constitué un tournant majeur dans les relations bilatérales entre les deux pays. Ce qui ouvre bien évidemment la voie à une collaboration plus étroite sur les plans politique, stratégique, économique et culturel. Le Grand entretien que le diplomate marocain a bien voulu nous accorder répond à toutes nos questions sur les relations maroco-australiennes.

 MAROC DIPLOMATIQUE : Mr. Karim Medrek, vous êtes Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire du Royaume du Maroc au Commonwealth d’Australie, en République de Nouvelle-Zélande. Vous l’êtes aussi auprès de la majorité des États du Pacifique, notamment à Fidji, Papouasie-Nouvelle Guinée, Vanuatu, Kiribati et Tuvalu. Est-il facile de jongler avec tous ces titres et toutes les responsabilités qui s’en suivent ?

– Bien sûr qu’il n’est pas facile de jongler avec toutes ces responsabilités. Etre Ambassadeur représente, en effet, plus qu’un simple titre. C’est d’abord et avant tout, une grande responsabilité, celle de représenter, dignement, son pays. C’est aussi un métier passionnant qui requiert un engagement et un dévouement constants.
Devant l’ampleur des changements qu’a connus le monde, qui est en perpétuel agitation, le diplomate doit avoir la capacité de s’adapter rapidement et d’anticiper pour promouvoir une diplomatie proactive et tournée vers l’avenir. D’ailleurs, la diplomatie moderne nécessite, en plus d’une vigilance permanente, la maîtrise d’outils et de concepts de plus en plus techniques, ainsi qu’une compréhension approfondie des différents enjeux.
J’aimerais, ici, me référer au Message adressé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, à la première Conférence des Ambassadeurs, le 1er septembre 2013 et dans lequel le Souverain a souligné que « Nous avons élaboré une vision diplomatique intégrée et cohérente […] Cette vision permet d’exploiter à bon escient la position géostratégique privilégiée du pays, d’être en phase avec ses constantes immuables et de s’adapter avec efficacité et professionnalisme à un environnement international complexe, vivant au rythme de changements et d’événements aussi rapides que variés».

Avec une équipe de diplomates dévoués et enthousiastes, ma mission consiste à oeuvrer au raffermissement des relations entre le Maroc et l’Australie, le Maroc et la Nouvelle-Zélande et le Maroc et les États du Pacifique. Je veille à ce que la distance, qui nous sépare de ces pays, demeure, seulement, géographique

Il s’agit, donc, pour tout Ambassadeur de mettre en oeuvre la Vision diplomatique, telle que définie par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, en veillant à défendre l’intégrité territoriale, à promouvoir le Label Maroc, les avancées démocratiques reconnues et largement saluées, les grands chantiers de développement, à faire connaître les atouts économiques de notre pays et son patrimoine civilisationnel et culturel, pour en accroître son rayonnement à l’étranger.
Depuis ma nomination en Australie, je n’ai cessé de constater combien le Maroc est apprécié et estimé. La longue et riche histoire du Royaume, les réformes entreprises sous la conduite de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, ont modelé la perception de notre pays par nos partenaires.
Avec une équipe de diplomates dévoués et enthousiastes, ma mission consiste à œuvrer au raffermissement des relations entre le Maroc et l’Australie, le Maroc et la Nouvelle-Zélande et le Maroc et les États du Pacifique. Je veille à ce que la distance, qui nous sépare de ces pays, demeure, seulement, géographique, parce que nous partageons beaucoup de valeurs communes et nous travaillons, de concert, pour trouver des solutions aux nombreux défis auxquels nous faisons face : le maintien de la paix et la sécurité, la lutte contre toute forme d’extrémisme, le changement climatique et le développement durable…

 Comment évoluent les relations bilatérales entre le Maroc et l’Australie ?

– Les relations entre le Maroc et l’Australie sont et ont toujours été amicales et prometteuses, basées sur le respect mutuel et une convergence de vues sur les principales questions d’ordre régional et international. Ces relations sont fondées sur des valeurs que nous avons en commun, à savoir le respect des principes démocratiques, des Droits de l’Homme et d’une foi inébranlable dans le système international multilatéral.
L’année 2016 a marqué, en effet, le 40e anniversaire des relations diplomatiques maroco-australiennes, dont l’établissement remonte à l’année 1976. Ces relations ont, depuis, connu une évolution pérenne et positive, aboutissant, l’année dernière, à l’ouverture d’une ambassade australienne à Rabat.
Nous sommes, aujourd’hui, à la veille de la tenue des 3es Consultations politiques entre les deux pays, à Canberra, trois ans après celles tenues, le 3 avril 2014 à Rabat. Ces consultations constituent un rendez-vous important pour évaluer nos relations et examiner les moyens à même de leur insuffler une nouvelle dynamique.
Ces dernières années, plusieurs visites officielles ont été entreprises par les responsables des deux pays. Du côté australien, il y a eu, notamment, les visites de M. Steven Ciobo, ministre du Commerce en 2017 et de la ministre des Affaires étrangères Mme Julie Bishop en 2016, lors de la COP 22. Du côté marocain, les dernières visites ministérielles remontent à 2014 et 2013, celles respectivement de M. Mohamed Nabil Benabdallah, en sa qualité de ministre de l’Habitat et de la Politique de la Ville et de Monsieur Saâd Eddine El Othmani, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération.
Les relations bilatérales sont marquées, également, par le soutien mutuel des deux pays à leurs candidatures respectives au sein des Organisations internationales, grâce à une convergence des points de vue sur les principales questions globales.
En dépit des avancées qu’ont connues les relations commerciales, le potentiel économique des relations Maroc-Australie reste sous-exploité. À titre d’illustration, les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Australie ont connu d’importantes variations au cours des dernières années. En 2014, ils avaient atteint 100 millions AUD, pour baisser en 2015 à 72 millions AUD et s’établir aux alentours de 105,866 millions AUD en 2016/2017, avec une balance excédentaire de 22,834 Millions AUD, pour le Maroc.
Il est temps d’encourager les acteurs économiques des deux pays à explorer davantage les opportunités existantes entre les deux pays, à travers la participation aux missions économiques afin d’intensifier les échanges commerciaux et favoriser les investissements.
Une mission d’hommes d’affaires australiens vient d’effectuer, du 24 au 28 février courant, une visite de prospection économique au Maroc, consacrée, essentiellement, au domaine de l’agro-alimentaire, l’horticulture, les viandes, les technologies de l’agriculture et à la recherche agricole.
Le Maroc peut attirer davantage d’entreprises australiennes d’autant plus qu’il existe, encore, un certain nombre de pistes à explorer, notamment dans les secteurs de l’agro-alimentaire, des infrastructures, de la gestion de l’eau, de l’exploitation minière, des énergies propres et de l’exploration pétrolière et gazière, sans oublier les secteurs de l’éducation, la formation et le renforcement des capacités.

 Pourquoi à votre avis, l’Australie n’a pensé à ouvrir une ambassade au Maroc qu’en mai 2017 alors que les deux pays sont considérés comme des portes d’entrée vers leurs régions respectives?

– L’ouverture d’une Ambassade est une décision souveraine d’un État. Elle répond à plusieurs paramètres. Elle reflète, sans doute, la volonté de l’Etat de renforcer sa présence dans un pays et ouvrir de nouveaux horizons pour la coopération économique et commerciale entre les deux pays.
Tenant compte de la place qu’occupe l’Australie dans l’espace Asie-Pacifique, le Maroc avait décidé, pour sa part, d’ouvrir une Ambassade à Canberra en 2005, sachant que l’établissement des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Australie remontent, quant à elles, à 1976.
Depuis, le Maroc et l’Australie entretiennent des relations confiantes basées sur une convergence de vues au sujet des questions régionales et internationales. J’estime que cette relation a évolué sereinement et atteint une certaine maturité permettant d’ouvrir une nouvelle page dans les relations diplomatiques.
Après avoir longtemps privilégié les liens politiques, culturels et économiques avec l’Asie et l’Europe, l’Australie a saisi l’importance et l’opportunité de renforcer ses relations avec d’autres régions. Aujourd’hui, elle s’ouvre davantage sur une Afrique en pleine mutation. En effet, les responsables politiques et les hommes d’Affaires australiens sont, de plus en plus, attirés par le potentiel économique du continent.
Dans ce contexte et conscient de la position géographique privilégiée du Maroc, sa stabilité politique consacrée, sa croissance économique avérée, ses liens historiques, culturels et politiques avec les pays de la région, l’Australie considère le Royaume comme un partenaire privilégié dans la région.
Dans ce sens, l’annonce de l’ouverture de l’Ambassade d’Australie à Rabat, par Mme Julie Bishop, la ministre australienne des Affaires étrangères et du Commerce, lors de sa participation à la 22e Conférence des Etats parties à la Convention cadre sur les changements climatiques (COP 22) a donné une nouvelle impulsion aux relations bilatérales entre les deux pays.

Il est important de rappeler que le processus qui a conduit à cette ouverture a été marqué par un consensus bipartisan sur l’opportunité de l’ouverture de ce poste diplomatique. Cette décision fait suite à une recommandation issue par la Commission parlementaire pour les affaires étrangères et le commerce. A ce jour, l’Australie dispose de huit autres postes diplomatiques au niveau du continent africain.

D’ailleurs, Mme Bérénice Owen-Jones, nommée depuis mai 2017, premier Ambassadeur-résidant d’Australie au Royaume, avait affirmé, récemment, que l’ouverture de l’ambassade d’Australie au Maroc est « un symbole fort de l’engagement renouvelé » de son pays envers le Maroc.

Vous tenez plusieurs rencontres avec des responsables australiens, notamment de Sydney, Adelaïde et Melbourne. Quelles sont les opportunités d’investissement que le Maroc offre aux investisseurs australiens et quels sont les atouts que vous mettez en exergue ?

– Je voudrais juste rappeler quelques éléments pour aider à mieux appréhender les enjeux économiques et les possibilités que pourraient offrir une telle destination.
* L’Australie, avec une superficie de plus de 7,5 millions de kilomètres carrés, est le 6e plus grand pays du monde ;
* L’Australie est membre du G20 et 12e puissance économique mondial, avec un produit intérieur brut (PIB) par habitant de près de 58.000 USD ;
* L’Australie est le seul pays de l’OCDE, qui a connu plus de 26 années consécutives de croissance – une moyenne de 2,5 à 3 % depuis 1991 et est restée l’une des économies les plus performantes parmi les pays développés pendant et depuis la crise financière mondiale ;
* Le taux de chômage (5,8%) est faible et la dette nette de l’Etat fédéral (16,9% du PIB), l’une des plus faibles des pays industrialisés ;
* L’Australie est, aujourd’hui, le 2e marché de financement de projets en Asie, le 6e marché d’actions au monde et le 5e marché mondial des introductions en bourse ; et enfin :
* L’Australie est un État fédéral, divisé en six États (l’Australie-Méridionale, l’Australie-Occidentale, la Nouvelle-Galles du Sud, le Queensland, la Tasmanie et le Victoria).
Cette organisation territoriale explique tout l’intérêt de ne pas limiter les actions au niveau de la capitale fédérale. Bien au contraire, toutes les opportunités économiques et commerciales se trouvent au niveau des États. Ce qui explique, comme vous l’avez bien relevé, mes différents déplacements à Sydney, chef lieu de la Nouvelle-Galles du Sud, Melbourne, capitale de Victoria ou encore Adélaïde, chef lieu de l’Australie-Méridionale.

Durant ces visites, outre les rencontres officielles avec les responsables politiques de ces États, je consacre l’essentiel de mon agenda à tenir des conférences et à animer des tables rondes sur les multiples opportunités d’affaires qu’offre le Maroc.

Les Australiens sont séduits par la stabilité économique du Royaume, ses performances de croissance, la modernisation de ses infrastructures, ses performances macro-économiques et l’amélioration constante du climat des affaires.
Outre, cette situation économique dynamique, stable et constante, avec une croissance moyenne de 4,6 % par an depuis 2009, la vocation africaine du Royaume, qui a pris un élan sous le règne de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, dans le cadre d’une vision à long terme basée sur les principes d’une coopération Sud-Sud solidaire et agissante, semble être un atout d’attrait majeur pour promouvoir le Royaume auprès des décideurs australiens.
Le Maroc est perçu, ainsi, comme étant un hub régional, économique et financier offrant aux entreprises, qui s’y installent, une opportunité indéniable pour être présentes en Afrique, en l’occurrence en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale.

Monsieur Karim Medrek reçu par le Gouverneur général de l’Australie.

Avec l’ouverture de l’ambassade australienne à Rabat, la mise en place du Groupe d’amitié parlementaire Australie-Maroc et le lancement du Conseil d’affaires Maroc-Australie, on peut dire que l’année 2017 a marqué un tournant majeur dans la coopération bilatérale maroco-australienne. Pourquoi ce regain intensif ? Peut-on envisager un partenariat gagnant-gagnant sur tous les domaines entre Rabat et Canberra ?

– Le terme année charnière semble particulièrement adéquat, en effet. Il s’agit d’un départ nouveau, avec des paramètres renouvelés et des ambitions résolument revues à la hausse de part et d’autre.
La mise en place des outils évoqués dans la question, à savoir le Groupe d’amitié parlementaire Maroc-Australie et le Conseil d’Affaires représentent un pas très positif. Ils permettent de disposer de structures dédiées à accompagner la diplomatie officielle, entendue au sens des relations intergouvernementales, par des entités pouvant efficacement constituer des relais en matière de diplomatie parlementaire et de promotion économique.
Cette année charnière comme vous l’avez décrite, devrait être suivie par le lancement, en 2018, d’actions concrètes qui devront donner lieu, d’une part à un dialogue politique renforcé par l’introduction d’une dimension parlementaire aux échanges et à la coopération entre les deux pays, à travers ledit Groupe.
Il s’agira, aussi, d’accompagner, à travers le Conseil d’Affaires et d’autres initiatives qui seront mises en place par la suite, la priorité accordée par les deux Gouvernements à l’approfondissement des relations économiques.
Ce sont ces dernières, d’ailleurs ,qui cimenteront et qui permettront de donner une consistance plus épaisse à nos relations bilatérales avec l’Australie. C’est l’une des principales priorités de l’action de l’Ambassade du Maroc à Canberra.
Sur un autre registre, l’expérience, internationalement reconnue du Maroc dans la lutte contre l’extrémisme violent a suscité un vrai intérêt de la part des responsables australiens à différents niveaux. En effet, l’Ambassade a organisé, en 2017, la visite de Dr Ahmed ABBADI, Secrétaire Général de la Rabita Mohammedia des Oulémas qui a eu l’occasion de présenter l’approche marocaine dans ce domaine. C’est là un autre aspect de la coopération qui devrait, par la suite, connaître un approfondissement conséquent.
Un autre secteur d’intérêt est l’échange d’expériences en matière de gouvernance locale. En effet, avec le lancement du chantier de mise en place de la régionalisation avancée au Maroc, le modèle australien pourrait fournir des idées intéressantes en la matière.
Toute ceci devrait conduire, sinon à un partenariat à tous les niveaux, à élargir grandement les horizons actuels en incluant des domaines d’intérêt commun pour les deux pays.

En 2017, le Maroc a été le seul pays arabe à avoir été retenu par l’Académie diplomatique australienne pour prendre part à son cycle de formation. Peut-on dire que sur le plan diplomatique, il y a plus de connexion entre les appareils diplomatiques des deux pays ?

à suivre …

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