Kenya: l’élection du 26 octobre à hauts risques

Le Kenya est censé élire son président le 26 octobre à la suite de l’invalidation, historique sur le continent, de la réélection du président Uhuru Kenyatta le 8 août par la Cour suprême.

Mais à une semaine du scrutin, la polarisation des deux camps et la mise en garde pessimiste du chef de la Commission électorale laissent craindre une nouvelle élection tronquée aux conséquences potentiellement dramatiques. A priori oui, mais dans quelles conditions et avec qui ? L’élection présidentielle 2017 a été marquée par de nombreux rebondissements, chaque jour apportant son lot de nouvelles, souvent mauvaises. Mercredi, dans un discours où il a pris le pays à témoin, le chef de la Commission électorale (IEBC), Wafula Chebukati, a indiqué que d’un point de vue technique et logistique, celle-ci est prête.

Mais l’extrême défiance qui sépare désormais le camp de M. Kenyatta de l’opposition du candidat Raila Odinga est telle qu’elle fait peser de claires menaces sur le scrutin lui-même. M. Odinga a annoncé son retrait de la course à la présidentielle, invoquant l’absence de réformes au sein de l’IEBC, indispensables selon lui à la tenue d’une élection transparente et équitable. Mercredi, il a appelé à des manifestations de masse le jour du scrutin et assuré qu’il n’y aura « pas d’élection » le 26, laissant clairement entendre que ses partisans pourraient tenter d’empêcher les opérations de vote, à tout le moins dans les bastions de l’opposition.

En l’état, sept des huit candidats du 8 août sont en lice, y compris M. Odinga, qui n’a pas formalisé son retrait auprès de l’IEBC. Un huitième petit candidat est absent du scrutin, après avoir été déclaré en faillite personnelle. Avant toute chose, le leader de l’opposition, 72 ans, veut enfin devenir président du Kenya après quatre tentatives (1997, 2007, 2013, 2017). M. Odinga affirme que si les élections sont libres et transparentes, il remportera la victoire, un argument déjà avancé en 2007 et 2013, quand il avait dénoncé des fraudes électorales massives. Il estime que son retrait de la course aurait dû automatiquement entraîner l’annulation du scrutin de fin octobre et provoquer le début d’un nouveau processus électoral, en se fondant sur un arrêt de la Cour suprême de 2013.

Après avoir organisé des manifestations relativement peu suivies et brutalement réprimées par la police, M. Odinga les a suspendues, organisant à la place un meeting à Nairobi mercredi, l’un des très rares depuis l’annulation du premier scrutin. Il a appelé à de nouvelles manifestations, sans en préciser la date, hormis celles du 26. Aller aux urnes pour en finir au plus vite avec cette période d’instabilité qui affecte déjà l’économie du pays. Le président de 55 ans et son vice-président William Ruto se disant confiants de l’emporter une nouvelle fois.

Le président, dès la décision de la Cour suprême, est reparti en campagne. Il semble disposer d’un budget illimité, au contraire de l’opposition qui a épuisé une bonne partie de ses ressources lors de la première élection. Chemisette et casquette rouge vissée sur la tête, toujours flanqué de son vice-président, M. Kenyatta multiplie les meetings en insistant sur le droit fondamental du peuple souverain à désigner ses dirigeants. Selon lui, l’opposition n’a jamais vraiment eu l’intention de retourner aux urnes, de peur de perdre.

Un boycott de l’opposition affecterait sérieusement la crédibilité du scrutin, les cinq petits candidats étant promis aux rôles de figurants face au sortant Kenyatta, assuré dans ce scénario d’une très large victoire. De même, a affirmé le chef de l’IEBC, le scrutin ne sera libre, crédible et transparent qu’à la condition que les dirigeants politiques des deux bords cessent leurs interférences et que plusieurs membres de la Commission occupant des postes clés se retirent du jeu. M. Chebukati, qui apparaît bien isolé, a également invité MM. Raila et Kenyatta à se rencontrer sous sa supervision, pour faire baisser la tension dans le pays.

Une anxiété diffuse s’est installée dans le pays. Chacun a en tête les violences politico-ethniques de 2007-2008, lorsque le pays s’était embrasé à la faveur de la réélection controversée du président Mwai Kibaki face à Raila Odinga. Plus de 1.100 personnes avaient été tuées et quelque 600.000 déplacées. Les violences cette année sont sans commune mesure – 40 victimes -, et elles sont pour l’essentiel le fait des forces de l’ordre qui ont réprimé avec brutalité les manifestations de l’opposition. Pour ajouter à l’inquiétude, les appels au dialogue et à la concorde des autorités religieuses, des milieux d’affaires et des alliés traditionnels du pays sont restés en l’état lettre morte. Comme si les deux leaders et leurs lieutenants étaient devenus imperméables à toute forme de pression.

AFP

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