Le grand remplacement : La « bible » des terroristes d’extrême-droite

On se rappelle l’attentat contre la mosquée de Christchurch en Nouvelle-Zélande, le 15 mars 2019, qui a coûté la vie à 51 personnes, ou encore les attaques d’El Paso au Texas et d’Utoya en Norvège. Le point commun entre ces tragédies, les convictions de ceux qui les ont perpétrées. Des suprématistes, qui adhérent à la théorie du grand remplacement. Une idéologie développée en 2010 par Renaud Camus, l’écrivain français d’extrême droite, auteur de l’ouvrage éponyme qui séduit de plus en plus les identitaires.

 Le grand remplacement : une théorie complotiste

 La crainte d’un remplacement de population ne date pas d’hier. Déjà, vers la fin du XIXe siècle, l’officier et écrivain Emile Driant, dit Capitaine Danrit, exprimait à travers son ouvrage « L’invasion noire », sa peur obsessionnelle de voir les populations d’Afrique subsaharienne envahir l’Europe. Il dénoncera quelques années plus tard, dans « L’invasion jaune » la mobilisation sino-japonaise. Le succès de ces ouvrages qui deviendront des Best-Sellers, témoigneront de la montée de la xénophobie et du racisme, en particulier en période d’après-guerre. Dans la même période, un certain Maurice Barrès, figure du nationalisme français, constatera dans un article de l’Association Nationaliste de la Jeunesse publié en 1900, que « parmi nous, se sont glissés de nouveaux Français […] qui veulent nous imposer leur façon de sentir. Ce faisant, ils croient nous civiliser ; ils contredisent notre civilisation propre. Le triomphe de leur manière de voir coïnciderait avec la ruine réelle de notre patrie ». Des idées qui seront reprises par la suite par de nombreux auteurs, notamment Renaud Camus qui trouvera une appellation pour résumer cette obsession : le grand remplacement.

Selon cet auteur «un peuple était là, stable, occupant le même territoire depuis quinze ou vingt siècles. Et tout à coup, très rapidement, en une ou deux générations, un ou plusieurs autres peuples se substituent à lui, il est remplacé, ce n’est plus lui». Sa principale crainte, c’est de voir la population européenne disparaître au profit de Maghrébins, Arabes, Noirs, plus généralement, de personnes issues du monde arabo-musulman. Une théorie conspirationniste, selon laquelle le grand remplacement serait organisé délibérément par les élites politiques, via l’immigration, pour servir leurs intérêts et accélérer l’africanisation et l’islamisation de la région.

Fantasme, manipulation ou réalité ?

 Cette théorie prend une ampleur sans précédent en Occident et galvanise de plus en plus les groupes nationalistes. Pire encore, non seulement elle conforte les idées complotistes des groupuscules extrémistes, mais cristallise les peurs d’une population plus large. Et ce, grâce au soutien de certains médias et politiques qui en font désormais un fonds de commerce. Des Unes de journaux provocatrices : « La conquête de l’islam », «L’invasion des mosquées », des caricatures, des émissions télévisées donnant la parole à des personnes déjà condam- nées pour provocation à la haine raciale et l’acharnement des partis politiques extrémistes. Le tweet de Robert Ménard, maire de Béziers, suite à l’élection de Sadiq Khan comme maire de Londres, avait suscité un tollé. «Londres a désormais un maire musulman. Un tournant historique qui symbolise le grand remplacement en cours». Marion Maréchal le Pen n’hésite pas, elle aussi, à citer du Renaud Camus, légitimisant et diffusant ainsi des idées xénophobes et racistes. Cette croyance est donc, en quelque sorte, un fantasme, voire une obsession pour certains, à tel point que des conférences sont organisées, en France, sous des thèmes comme : « L’islamisation de nos pays », dans lesquelles les principales idées véhiculées sont, que les Français issus de l’immigration, sont des « voyous armés, les bras de la conquête ».

 Dans le monde des croyants du « grand remplacement », l’Europe est profondément colonisée, et même plus que ne l’a jamais été l’Afrique. Pourtant, en France, une étude de l’Insee publiée en 2014 révèle que 6.4% de la population française est étrangère (c’està- dire qui réside en France sans posséder la nationalité française ou en attente de la recevoir). 9.1% de la population est immigrée (ce sont les personnes qui depuis leur arrivée, ont pu acquérir la nationalité). Parmi ces immigrés, une grande partie provient de l’Europe, le reste est originaire du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne ou bien d’Asie. Ces derniers représenteraient seulement 5% de la population française. Certaines données comptabilisent également les descendants de ces immigrés. Ces derniers possèdent, certes, la nationalité française et sont donc français, mais pas de souche. Un sondage IFOP révèlera par la suite que près de 50% croient qu’une population provenant massivement d’Afrique serait en train de remplacer la population européenne. Mais si l’on compare ces chiffres avec les voisins d’Amérique par exemple, le Canada compte 21% d’immigrés et les Etats-Unis en comptent 13%. Cela ne suffira pas pour convaincre des suprématistes radicalisés qui pensent que les chiffres officiels sont manipulés par les mêmes élites afin de cacher la réalité et l’ampleur du phénomène migratoire aux citoyens.

 Pour Hervé Le Bras, démographe et historien, auteur de «Malaise dans l’identité», et de «L’invention de l’immigré», il n’y a pas d’invasion de population étrangère. Il y a certes, une arrivée d’étrangers et un départ de Français mais il n’est en aucun cas question d’un remplacement. Ce qu’il y a en revanche, c’est l’augmentation d’une population mixte, puisque de plus en plus d’étrangers se marient avec un non-immigré. Il dénonce alors un « mythe racial », un « concept fallacieux » et rappelle que la population mondiale a toujours été confrontée au métissage.

 La fenêtre d’Overton, est donc grande ouverte. Le langage et la communication deviennent de puissants instruments de manipulation des populations, et il n’en fallait pas plus pour guider les criminels qui souhaitent assouvir un désir de purification ethnique.

La théorie qui assassine

Si ces théories alimentent les programmes de certains partis et les rapprochent des électeurs potentiels, elles deviennent aussi une référence pour des fous-furieux, à l’instar du tueur d’El Paso qui craignait l’invasion d’Hispaniques aux Etats-Unis. Il avait assassiné 29 personnes près de la frontière mexicaine, après avoir publié un manifeste de 4 pages où il déclarait avoir été inspiré par la tuerie de la mosquée de Christchurch. Le tueur de Christchurch avait, lui aussi, fini par dévoiler qu’il avait commencé ses préparatifs après un voyage en France, où il s’était inspiré des idées d’extrême droite, notamment, celle du «grand remplacement ». Pourtant, le carnage s’est déroulé dans une ville qui compte moins de 1% de musulmans. Même mode de fonctionnement que les terroristes de Daech, tirs à l’aveugle, volonté de « nettoyage ethnique» et de faire le « ménage » par leurs propres moyens, pourtant, cela ne semble pas alarmer qui que ce soit dans les hautes sphères.

Face à l’émergence de ces idéologies, la sécurité et le vivre-ensemble semblent en péril. Mais le plus inquiétant demeure non seulement les indignations sélectives, de ceux qui condamnent la violence, mais surtout la banalisation de ces idées à travers la politique et certains médias. Ces derniers se transforment en outils efficaces, au service de la haine et du terrorisme d’extrême droite, et soulèvent un certain nombre de questions. À quelques semaines des élections municipales en France, un grand nombre de villes s’avère à la portée du parti de l’extrême droite, les populations étrangères seront-elles menacées ?

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