La Chine et les pays du Maghreb : une coopération prometteuse

Dr. Bichara KHADER

Depuis que la Chine s’est ouverte sur l’extérieur, trois zones géo­graphiques ont occupé une place de choix dans sa politique économique : l’Asie du Sud-Est pour sa proximité géographique, l’Afrique Noire pour ses ressources, les pays du Golfe pour le pétrole et le gaz.

Les Pays du Golfe : cible prioritaire de la Chine

La dépendance croissante des impor­tations chinoises de pétrole et de gaz confère aux pays du Golfe ainsi qu’à l’Irak et l’Iran, une place particulière dans la politique économique chinoise.

Si on se limite aux seuls pays du CCG, le total des échanges avec la Chine, en 2015, a atteint $ 136 milliards, avec une balance commerciale équilibrée, plaçant la Chine en 2e position après l’UE qui demeurait, en 2015, le principal parte­naire commercial du CCG avec un total d’échanges de $166 milliards (150 mil­liards d’euros), mais une balance com­merciale largement favorable à l’UE de près de $60 milliards. (Voir tableau) .

Avec $136 milliards d’échanges, les pays du CCG sont devenus, en 2015, le 6e partenaire commercial de la Chine. Mais, compte tenu du rythme de crois­sance des échanges CCG-Chine, l’UE sera dépassée, à son tour probablement, avant 2020, faisant de la Chine le pre­mier partenaire commercial des pays du CCG.

Naturellement, l’énergie occupe une place de choix dans les échanges entre la Chine et les pays du CCG. Avec une po­pulation de 1.300 million d’habitants et une croissance qui frise les 2 chiffres, la Chine est devenue le 2e consommateur de pétrole (2.3 millions de barils/jour en 1993 et 12 millions de b/j en 2016) après les Etats-Unis et le premier importateur. Les pays du CCG fournissent déjà 33% des importations pétrolières de la Chine et cette dépendance ira croissant dans la prochaine décennie.

Outre les échanges commerciaux et énergétiques, les pays du Golfe attirent de plus en plus d’entreprises chinoises. Des centaines d’en­treprises chinoises opèrent, aujourd’hui, dans les pays du CCG dans les domaines de l’infrastructure, de la construc­tion, de la pétrochimie, du raffi­nage et du nucléaire civil. Il y a même des projets d’installation d’usines de drones militaires.

Cette coopération permet aux pays du Golfe de diversifier leurs alliances et leurs marchés et d’inscrire leurs plans de dé­veloppement dans la stratégie chinoise de la « Route » et de la « Ceinture ».

La Chine et le Maghreb

Jusqu’à la fin du XXe siècle, le Ma­ghreb, à l’exception de l’Algérie, était aux abonnés absents. Pour la Chine, le Maghreb semblait lointain et était per­çu comme un marché captif de l’Union européenne. Mais depuis, la Chine a dé­couvert tout l’intérêt que représente le Maghreb, et particulièrement le Maroc, dans sa stratégie de déploiement écono­mique mondial.

Et pourtant, la Chine et le Maghreb en­tretenaient des relations diplomatiques, dès les années 1950 et 1960. En effet, la Chine a été un des premiers pays à reconnaître le Gouvernement provisoire algérien, en 1958, et l’Algérie lui a ren­du la pareille en reconnaissant la Chine populaire, en 1962, bien avant la procla­mation de son indépendance. Quant au Maroc, il a reconnu la Chine populaire de Mao, dès 1958. La Tunisie a fait de même en 1964.

Mais à part les reconnaissances mu­tuelles, la Chine délaissait le Maghreb. L’offensive chinoise au Maghreb débute fin du XXe siècle et elle cible, en premier lieu, la Libye et l’Algérie, deux pays pétroliers. Avec une Union arabe du Maghreb à l’arrêt, la politique chinoise s’est donc articulée sur les relations bila­térales. Cette orientation arrangeait bien les Chinois qui voulaient rester à l’écart des différends intra-maghrébins.

L’Algérie : partenaire historique de la Chine

Au regard de ses ressources énergé­tiques, de sa taille géographique et de l’importance de son marché, c’est l’Al­gérie qui, la première, a été ciblée par les Chinois . Et c’est elle qui a concentré le gros des investissements et attiré de nombreuses entreprises chinoises. Toutes les grandes entreprises pétrolières et de raffinage chinoises sont présentes en Algérie (CNOOC, SINOPEC et CNPC), tout comme les sociétés d’ingénierie, de travaux publics (ports, autoroutes, aé­roports) et de construction (logements sociaux et centres commerciaux). On ne compte plus, aujourd’hui, le nombre de réalisations chinoises en Algérie : l’Opéra d’Alger, la Mosquée Djamaa Al-Jazaïr, le nouvel aéroport d’Alger, les bâtiments qui abritent le ministère des Affaires étrangères et de la Cour Constitutionnelle, un aqueduc de 750 kilomètres de Salah à Tamanrasset et l’autoroute Ouest-Est, sans oublier les usines d’assemblage de voitures et de pe­tits camions à Tlemsen et Annaba. Il est même question de construire un port en eau profonde pour accueillir des bateaux de containers à El Hamdania. Tout cela s’est traduit par une présence chinoise en Algérie estimée à 80.000 expatriés.

Naturellement, comme au Maroc et en Tunisie, la pénétration chinoise des mar­chés locaux est foudroyante : des pro­duits à faible valeur ajoutée, des produits électriques et électroniques, des jouets, des tissus, des équipements ménagers et de communication, etc. Les habitants ne semblent pas se plaindre d’une telle plé­thore de produits chinois sur les étals des souks. Mais le risque de disparition du savoir-faire artisanal est réel et pourrait conduire à la disparition de nombreux métiers traditionnels. Il est d’ailleurs af­fligeant de constater le peu d’intérêt que portent les responsables politiques à cet aspect des choses.

Début d’un basculement  de l’intérêt chinois vers le Maroc et la Tunisie

Jusqu’à récemment, le Maroc et surtout la Tunisie étaient les parents pauvres de la politique chinoise au Maghreb. Mais on assiste depuis 2000 à une évolution intéressante. Ainsi, la Tunisie a lancé une joint-venture avec la société chinoise Haier Maghreb (HHW) pour distribuer ses produits (congélateurs, réfrigérateurs, fours à micro-ondes, lave-linge, lave-vais­selle, etc.) dans toute l’Afrique du Nord. D’autres entreprises comptent faire de même pour profiter de la position centrale de la Tunisie au Maghreb et tirer profit de sa proximité des marchés européens.

La Maroc commence à intéresser les Chinois à plus d’un titre. Sa stabilité in­terne, la taille de son marché, sa position géographique entre l’UE et l’Afrique sub-saharienne, ses deux façades mari­times, le port de Tanger, l’accord d’asso­ciation entre le Maroc et l’UE ainsi que l’Accord de libre-échange entre le Maroc et les Etats-Unis, sont des atouts considé­rables pour les entrepreneurs et investis­seurs chinois.

Mais il y a un autre atout non négli­geable : c’est le capital de sympathie dont bénéficie la Chine en Afrique du Nord et au Maroc en particulier : il n’y pas de ran­coeur historique et la Chine ne s’immisce pas dans les affaires internes des pays.

  Aujourd’hui,  des millions  de touristes chinois  se déplacent.  Le Maroc peut en attirer des centaines de milliers. Mais pour cela il faut  une politique  de marketing  efficace, des guides parlant le chinois, des structures  d’accueil, une offre hôtelière  qui réponde  aux besoins des Asiatiques, et des liaisons aériennes plus fréquentes.

Du point de vue marocain, la relation avec la Chine est une nouvelle fenêtre d’opportunité : elle permet d’atténuer la verticalité des rapports UE-Maroc en di­versifiant les marchés d’exportation. Elle conforte la politique d’ouverture du Maroc sur l’Afrique Noire faisant du Maroc, non seulement une passerelle entre l’Europe et l’Afrique, mais surtout un maillon fort où la Chine peut délocaliser bon nombre de ses activités. Elle draine des investisse­ments asiatiques dans Tanger-Med contri­buant à faire de Tanger-Med un point no­dal du transport maritime. Elle contribue à l’ouverture du Maroc à la concurrence internationale et donc à son attractivité générale pour d’autres investisseurs. Elle intègre le Maroc dans l’initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie (BRI) fai­sant de Tanger-Med un noeud de commu­nication de la première importance. Lors du sommet sino-africain à Johannesburg, en décembre 2015, le Maroc, par la voix du Chef de gouvernement, Abdelilah Benkirane, a rappelé toute l’importance qu’il attache à l’Initiative chinoise et a même proposé que la Route maritime de la Soie soit connectée à l’Europe atlan­tique, en passant par Tanger-Med. C’est dans cette perspective que, le 16 novembre 2017, Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires étrangères, et son homologue chinois, Wang Yi, ont signé un mémoran­dum d’entente faisant du Maroc le premier pays africain à adhérer au projet chinois.

Très tôt, le Maroc a saisi le rôle im­portant que joue la Chine à l’échelle de l’économie-monde et dès le début XXIe siècle et bien avant le lancement des Nou­velles Routes de la Soie en 2013, le Ma­roc a pris une série d’initiatives visant à renforcer les relations sino-marocaines : Groupe d’amitié parlementaire (2000), Association d’amitié Ibn Batouta (2000), Association sino-marocaine d’échanges (2012). La Chine, de son côté, a multi­plié la création de centres « Confucius » comme celui de Rabat en 2009, après ceux de Sfax, en Tunisie en 2005 et ceux du Caire et d’Ismaïlia en 2008.

Au niveau diplomatique, on a assisté à une multiplication d’initiatives : visite du ministre marocain du Commerce ex­térieur en Chine en 2009, visite de son homologue chinois en 2011, la tenue du Forum sur l’investissement Chine-Maroc, en 2011, l’organisation à Marrakech du « Sino-African Entrepreneurs Summit », en 2015, et enfin la visite du Roi du Maroc, en Chine, en 2016, au cours de laquelle une Déclaration conjointe a été signée concernant l’établissement d’un partena­riat stratégique entre la Chine et le Maroc.

Cette politique marocaine d’ouverture semble porter ses fruits : la Chine est de­venue le 3e fournisseur du Maroc et son 18e client. Mais le commerce Chine-Maroc est très inégal, puisqu’en 2014, les expor­tations marocaines ne couvraient que 7.7 % de ses importations.

Quant aux investissements chinois, ils se développent à un rythme soutenu. Selon Fathallah Oualalou, il y avait une ving­taine d’entreprises chinoises installées au Maroc, en 2014, dans le secteur du textile (Li Fung), de la communication, dans le secteur de la pêche avec l’exploitation de chalutiers congélateurs, dans des équipe­ments de base (LENOVO, HAIER, ZTE, SEPCO, FORPETRO, HUAWEI etc.). Mais il reste un potentiel considérable de coopération dans de nombreux autres domaines.

Naturellement, les banques doivent affûter leurs services pour faciliter les opérations d’investissements. La banque chinoise Eximbank est déjà installée à Casablanca. La BMCE est présente en Chine. D’ailleurs, au dernier « China-Afri­ca Investment Forum », tenu à Marrakech les 27 et 28 novembre 2017, M. Othman Benjelloun, président du groupe « BMCE Bank of Africa » a fait un plaidoyer appuyé pour une coopération triangulaire Chine, Maroc et Afrique et a mis en exergue le rôle de premier plan que le Maroc entend jouer dans les nouvelles Routes de la Soie.

Enfin, il y a un domaine où le Maroc détient un avantage comparatif important mais encore insuffisamment exploité : le tourisme culturel. Aujourd’hui, des mil­lions de touristes chinois se déplacent. Le Maroc peut en attirer des centaines de mil­liers. Mais pour cela il faut une politique de marketing efficace, des guides parlant le chinois, des structures d’accueil, une offre hôtelière qui réponde aux besoins des Asiatiques, et des liaisons aériennes plus fréquentes.

En conclusion, les pays du Maghreb intéressent de plus en plus les Chinois. Certes, l’appétit des Chinois pour le gaz et le pétrole est insatiable et continue à déterminer la politique commerciale de la Chine conférant aux pays du Golfe et à l’Algérie et la Libye une importance par­ticulière. Mais de plus en plus, les Chinois veulent se connecter au monde extérieur à travers les « Nouvelles Routes de la Soie » pour devenir un acteur global. Dans ce déploiement des nouvelles stratégies chinoises, le Maroc va occuper, à coup sûr, une place plus importante, en tant que marché de consommation, hub maritime, point de jonction entre les continents, porte-d’entrée de l’UE et de l’Afrique.

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