La crise du Venezuela Quelle implication pour le Maroc ?

Jawad Kerdoudi, Président de l’IMRI

Le Venezuela vit, en ce début de Février 2019, une crise économique, sociale, politique et démocratique, la plus dangereuse de son histoire. Ce pays, d’une superficie de 900.000 Km2 et d’une population de 31 millions d’habitants, se situe dans la partie la plus septentrionale de l’Amérique du Sud. Ayant obtenu son indépendance de l’Espagne en 1811, le Venezuela est une puissance énergétique majeure, et affirme avoir des réserves de pétrole de l’ordre de 297 milliards de barils. Ce qui en ferait le premier pays du monde dans le classement par réserves de pétrole prouvées.

Pour comprendre ce qui se passe actuellement au Venezuela, il faut revenir à l’histoire récente de ce pays. Dans les années 1980, le Venezuela était gouverné par une coalition de droite, et le peuple s’est soulevé les 27 et 28 Février 1989 pour protester contre une explosion des tarifs des transports, et des réformes économiques inspirées par le néolibéralisme, suite à des accords avec le Fonds monétaire international. Ce soulèvement a donné lieu à une répression tuant plus de 3.000 personnes, en quelques jours. En 1992, date à laquelle les couches populaires sont ruinées, ont eu lieu deux coups d’Etat dont l’un dirigé par Hugo Chavez. Ce dernier fut élu à la présidence du Venezuela, le 6 Décembre 1998 et exerça le pouvoir de 1999 à 2013, jusqu’à sa mort. Les années Chavez sont caractérisées par une augmentation des dépenses sociales, qui permettent une réduction des inégalités et du chômage, du fait de l’augmentation considérable du secteur informel et du recrutement intensif de fonctionnaires dans le secteur public. Cette politique sociale a été rendue possible par l’envolée du prix du pétrole des années 2000, et par un fort endettement du pays notamment vis-à-vis de la Chine. Du fait de l’absence de réformes, la situation économique devint tendue avec la chute du prix du pétrole à partir de 2008. Avant sa mort en 2013, Chavez désigne comme successeur Nicolás Maduro, son ancien ministre des Affaires Etrangères et Vice-Président.

Celui-ci devient Président par intérim et remporte l’élection présidentielle avec 50,62% de voix, une élection contestée par l’opposition. Il hérite d’un pays dont l’économie est très affaiblie du fait d’un secteur privé et d’un tissu industriel atrophiés, un large clientélisme, une inflation importante, et une population confrontée à des pénuries alimentaires. Les législatives du 6 décembre 2015 donnent une grande victoire à l’opposition dans le contexte d’une crise économique, sociale et politique. Le 25 octobre 2016, le Parlement tente, en vain, de destituer le Président Maduro. Dans un contexte de violences et de contestation sociale, Maduro fait élire, en juillet 2017, une Assemblée constituante, boycottée par l’opposition.

Un pays dans la tourmente

Devant la situation catastrophique du pays, l’exil des Vénézuéliens a atteint 3 millions en 2018, et l’ONU prévoit qu’il atteindra 5,3 millions fin 2019 s’il n’y a pas de solution à la crise. Le 23 Janvier 2019, Juan Guaidó, Président du Parlement, s’autoproclame Président par intérim du Venezuela et prête serment, au cours d’une manifestation organisée à Caracas. Il obtient immédiatement la reconnaissance des Etats-Unis, du Canada, du Brésil, de la Colombie et du Pérou. La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Union européenne lancent un ultimatum à Nicolás Maduro pour l’organisation d’une élection présidentielle libre, avant le 3 Février 2019. Devant son refus, ils reconnaissent Juan Guaidó, qui est également reconnu par les autres pays de l’Amérique latine sauf Cuba et la Bolivie, tandis que le Mexique et l’Uruguay se déclarent neutres. La Russie, la Chine et la Turquie soutiennent, de leur côté, le Président Maduro, alors que Juan Guaidó est reconnu par une quarantaine de pays.

Malgré sa division, la communauté internationale s’active pour trouver une solution à la crise du Venezuela. Le 4 Février 2019 à Ottawa, onze des quatorze pays qui composent le groupe de Lima (10 pays latino-américains et le Canada) ont appelé à un changement de régime sans usage de la force. Ils ont exhorté l’armée Vénézuélienne à se ranger derrière l’opposant Guaidó, et à ne pas s’opposer à l’entrée et au transit de l’assistance humanitaire au Venezuela.

Le 7 Février 2019, à Montevideo, huit pays européens et trois latino-américains de Groupe international de contact ont appelé à une élection présidentielle libre, transparente et crédible. Ils ont recommandé d’éviter la violence intérieure et une intervention extérieure. Le même jour, une cargaison d’aide humanitaire américaine à destination du Venezuela est arrivée à Cucuta, la principale ville frontière colombienne. Pour faire pression sur le régime de Maduro, les Etats-Unis ont appliqué des sanctions contre le groupe pétrolier public PDV SA qui ne produit plus que 1,1 million de barils/jour contre 3 millions dans les années 2000. Enfin, le 9 Février 2019, les Etats-Unis ont proposé au Conseil de sécurité de l’ONU, un projet de résolution appelant le Venezuela à faciliter l’entrée de l’aide humanitaire internationale et à s’engager pour un scrutin présidentiel.

En ce qui concerne notre pays, le Maroc, dans un entretien téléphonique du 29 Janvier 2019, Mr Nasser Bourita, Ministre des Affaires Etrangères et de la Coopération internationale, a exprimé à Mr Juan Guaidó le soutien du Royaume à toutes les actions menées afin de répondre aux aspirations légales du peuple du Venezuela à la démocratie et au changement. De son côté, Mr Manuel Avendaño, Conseiller en Affaires étrangères à l’Assemblée nationale du Venezuela, a indiqué que le Venezuela a l’intention de « reconsidérer sa reconnaissance de la RASD sous le gouvernement du Président par intérim Juan Guaidó ».

En conclusion, on peut considérer la crise du Venezuela comme un cas d’Ecole des relations internationales. On y voit l’acharnement des dictateurs à s’accrocher au pouvoir quel que soit le prix. On relève la difficulté de trouver une solution politique pacifique lorsque la société est divisée en deux. Un autre principe est battu en brèche : la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un pays membre de l’ONU. Enfin, le positionnement de chaque pays dans une crise internationale, où seuls sont pris en compte les intérêts nationaux. C’est ainsi que la Russie et la Chine ont pris position pour le Président Maduro, tandis que l’Occident est plutôt favorable à Juan Guaidó, traduisant ainsi un relent de la guerre froide. Le Maroc, de son côté, soutient Juan Guaidó en espérant que le changement de régime permettra de rétablir des relations saines entre les deux pays.

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