La culture du clash dans le rap marocain : un concours d’injures et d’insolence

Par Saad Bouzrou 

Le dernier clash entre Don Bigg (l’un des rappeurs marocains les plus connus au Maroc) et les rappeurs de la nouvelle génération (Dizzy Dros, 7liwa, Komy et Mr Crazy) témoigne d’une bonne stratégie marketing, qui, en plus d’avoir donné à l’incongruité une place qui n’est pas la sienne dans la quintessence de ce style musical, elle est devenue l’ubac d’une montagne qui préfère donner à l’art le luxe de son adret.

« L’art n’a jamais été fait pour la petite durée »

Le rappeur marocain Don Bigg a publié sur Youtube dans la soirée du samedi 22 décembre 2018 son titre « 170 kg ». Un son de cinq minutes et demi dans lequel il lâche ses chiens sur d’autres rappeurs de la nouvelle vague, qu’il qualifie de tous les mots. Il justifie ensuite cette mésaventure en disant vouloir relancer la dynamique du Rap au Maroc en tançant les blancs-becs qui l’ont « cherché ».

Vouloir mettre en lumière un style musical à travers un son bourré d’injures et de menaces ne revient-il pas à faire le contraire ? Il est vrai que le « Rap Game » américain a connu plusieurs épisodes dans lesquels des dérapages ont conduit parfois à des scénarii tragiques, et parfois même au meurtre (Ce genre de conflit a coûté la vie aux rappeurs américains Tupac Shakur et Notorious Big, dans les années 1990). Et vouloir copier le modèle américain pour justifier de telles grossièretés n’est et ne sera jamais une bonne conduite artistique au Maroc. Chaque peuple a ses caractéristiques et ses spécificités qui lui sont propres et qui forgent son identité, et vouloir imposer son style avec un clash démesuré, (L’art a toujours connu des clashs, mais mesurés) est une technique payante à court terme, mais l’art n’a jamais été fait pour la petite durée, car son ambition est de rester éternel.

Les victimes de Don Bigg n’ont pas attendu une belle lurette pour réagir de la même façon. La plupart d’entre eux ont bricolé leur défense en moins de deux jours pour arrêter l’hémorragie, sans se rendre compte qu’ils sont entrés avec leur bourreau par la grande porte du « sous-art ».  Le dernier à avoir répondu est « Dizzy Dros ». Quinze jours après l’estafilade, il s’est retroussé les manches pour arracher à l’adversaire, qui a traité sa femme de coureuse de rempart, la première place dans les tendances Youtube.

Les poètes « assourdissants »

Le huitième péché capital est sans doute le titre que ce dernier a choisi pour dire ses quatre mauvaises vérités : « Al-Mutanabi ». Ce grand poète arabe de tous les temps qui a pu maîtriser les rouages de la langue avec un patrimoine de 326 poèmes, et qui taquinait ses ennemis avec des vers épineux, sans avoir l’estomac d’heurter l’âme de son œuvre artistique : « Je suis celui dont l’aveugle voit la littérature, et celui dont les mots ont fait ouïr le sourd. » disait avec une bonne dose d’orgueil, méritée.

Eriger la dispute au rang des arts n’est pas l’apanage de tout le monde. Il y a 145 ans, Verlaine tire sur Rimbaud en pleine dispute sentimentale, et signe un clash d’une grande classe. Voltaire contre Rousseau, Matisse versus Picasso ou encore Albert Camus contre Jean-Paul Sartre, sont quelques exemples d’embrouilles qui ont fait florès, et qui sont entrées dans la belle histoire de la littérature, de la peinture ou encore de la philosophie.

Il ne faut pas croire qu’il y a une fibre de beauté dans le mal et dans les injures, car il n’existe pas de péché mignon. « Soyez polis, même une déclaration de guerre doit respecter les règles de la politesse », disait un certain Bismarck.

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