La farce politique : Qui pour nous sauver des marchands d’illusions ?
CE QUE JE PENSE
Il faut avoir le courage de nommer les choses. Ce que vit le Maroc aujourd’hui n’est pas une simple crise de gouvernance. C’est une prise d’otage. Une prise d’otage silencieuse du politique par l’argent, des institutions par les intérêts privés, du débat par la peur. En 2021, beaucoup y ont cru. Lassés d’un conservatisme politique stérile, fatigués des sermons creux, désabusés par des réformes sociales vidées de leur sens, des Marocains ont voté, pensant que le modernisme managérial allait remettre le pays sur les rails. Ils ont cru acheter le progrès. Ils ont eu la désillusion. Et nous payons tous aujourd’hui le prix fort de cette erreur collective.
Le gouvernement Akhannouch ? Une machine bien huilée, mais pas pour servir le pays. Non. Une machine d’occupation des espaces. Politique, économique, administratif. Un rouleau-compresseur aux couleurs du groupe du Chef de gouvernement. Ce n’est pas un gouvernement, c’est une holding. Ce n’est pas un parti, c’est une succursale. Ce n’est pas une vision, c’est une entreprise. Il n’y a plus d’organigramme idéologique, plus de pensée politique. Il n’y a qu’un projet et un seul.
Le reste ? Des enseignes en déshérence, des vitrines poussiéreuses où s’agitent des courtiers sans foi ni loi, des marchands d’illusions, des fabricants de slogans, des vendeurs de promesses frelatées qui ont transformé le bal des urnes en une kermesse de dupes. Jadis, nos partis portaient l’écho des luttes, le souffle des grandes causes, le frisson des débats idéologiques. Car le jeu est simple, grotesque même : on ne vote plus pour des projets, encore moins pour des idées ou des projets de société. On vote pour des visages, des marques, des sourires sponsorisés, des noms imprimés à coups de milliards. Les débats ? Évaporés. Les visions ? Étranglées. Place aux holdings politiques, aux slogans marketés, aux affiches lisses, aux deals opaques.
L’homme de l’heure est un « Grand Liquidateur ». Un nom, un empire, une méthode. Derrière le rideau des discours convenus, c’est lui qui finance, qui place, qui verrouille. Son parti ? Une simple extension de son groupe. Pour cela, il suffit de jeter un œil à ce remaniement ministériel de 2024 pour comprendre l’étendue de l’OPA : des ex-cadres, des actionnaires, des redevables. Amine Tahraoui à la Santé, Mohamed Saad Berrada à l’Éducation, Fatima-Zahra Ammor au Tourisme… Et quand ce ne sont pas des gens d’Akwa, – comme l’a si bien dit mon ami Aziz Boucetta dans son dernier billet- ce sont des femmes et des hommes du ministère de l’Agriculture, ce fief personnel où Akhannouch a régné quatorze ans, où l’on se fabrique des carrières sur mesure, où l’on forge des fidélités à vie. Aujourd’hui, plusieurs ministères sont des filiales à ciel ouvert.
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Il est donc légitime de se poser la question : À quoi assistons-nous sinon à une confiscation méthodique signée par un clan d’affairistes ? Une mainmise à visage découvert où les conflits d’intérêts ne sont plus des dérapages, mais des principes fondateurs. Et face à cette normalisation du déséquilibre, que font les autres partis ? Rien. Pas un mot, pas un sursaut, pas même une grimace. Les partis de gauche… Parlons-en. Ils ne sont plus que des sigles en sursis, des slogans usés, des logos que l’on ressort aux commémorations. Ces partis qui jadis portaient les luttes sociales, défendaient les opprimés, rêvaient d’un avenir plus juste… ont disparu. Évaporés. Réduits à des coquilles vides, des appareils fatigués, obsédés par des calculs de congrès, des batailles de micro-fiefs, des négociations de fauteuils dans un théâtre d’ombres du pouvoir.
Le plus tragique dans cette farce, c’est qu’elle se joue sur le dos d’un peuple anesthésié. Spectateur d’une mascarade qui ne dit pas son nom où chaque erreur de casting se paie au prix fort : cinq ans de stagnation, cinq ans de régression, cinq ans de sursis pour un pays qui attend, qui endure, qui se tait. Nous votons pour des noms, pas pour des projets. Nous votons pour des chefs, pas pour des idées. Nous sacralisons des figures, tout en oubliant qu’elles ne sont que des masques. Et chaque fois, nous acceptons. Nous acceptons de nous faire avoir.
Et voilà que l’horizon des prochaines élections se dessine déjà comme une mauvaise pièce de théâtre : non pas un affrontement d’idées, ni de projets, ni même de partis, mais un duel de visages. D’un côté, Akhannouch, le businessman des cimes, l’homme des deals et des milliards. De l’autre, Benkirane, le tribun des foules revenu d’entre les ruines, qui se présente comme « l’homme de la providence », l’unique alternative au naufrage. Le choix est-il donc entre le Grand Liquidateur et le Grand Bonimenteur ? Entre celui qui signe et celui qui promet ? Entre le compte en banque et le verbe enflammé ? Et l’intérêt du pays, dans tout cela ? Invisible. Éclipsé. Sacrifié sur l’autel des ambitions personnelles et des règlements de comptes. Que les autres partis bougent et nous tendent une perche, voyons !
La campagne électorale est déjà là, à peine voilée, rampant dans les arrière-salles des partis, sur les plateaux télé, dans les tribunes populistes, sur les réseaux sociaux où l’on façonne l’opinion à coups de slogans creux et de propagande déguisée, bref, partout où l’on peut séduire et manipuler. Elle avance à deux vitesses : d’un côté, la démagogie crasse, le populisme outrancier ; de l’autre, le rouleau-compresseur des milliards et les achats d’influence, l’arme fatale des puissants qui raisonnent comme on achète des actions dans une société en liquidation. Le citoyen, lui, est réduit à un pion dans un Monopoly cynique.
Alors, que nous reste-t-il de nos partis historiques ? Rien. Des ruines. Des vestiges. Des holdings à la place des partis. Des actionnaires à la place des leaders. Des publicités à la place des programmes. Nous n’avons plus de gauche, nous n’avons plus de contre-pouvoirs, nous n’avons plus que des ombres qui se disputent des miettes. Et un peuple qui regarde, qui subit, qui endure. Mais ne nous voilons pas la face. Nous sommes aussi responsables. Nous avons voté pour cette farce. Nous avons confondu image et vision, fortune et compétence, slogan et projet. À force de réduire la politique à un choix par défaut, nous avons livré le pouvoir à ceux qui le traitent comme un bien à gérer non une mission à servir. Le pire crime dans tout cela est de rester spectateur. Car à force de s’habituer à la farce, le citoyen finit par devenir complice. Il est temps de se réveiller pour savoir pour qui voter.
Le résultat est là : un désert politique soigneusement entretenu. Plus personne n’ose s’opposer franchement. La scène est plate, aseptisée, vidée de toute vigueur démocratique. Il n’y a plus de débat, il n’y a que de l’alignement. Et pendant ce temps, les préoccupations du peuple ne trouvent plus aucun écho. À notre grand malheur, à force d’avoir été trahis par presque tous les partis qui se sont succédé, les Marocains tournent le dos aux urnes. Ils s’éloignent des scrutins comme on se détourne d’un marché de dupes. Et c’est là le vrai danger : car il suffira d’un petit million d’électeurs, comme en 2016, pour décider du sort de tout un pays. Un petit million de bulletins pour verrouiller cinq ans de sursis.
Ainsi aujourd’hui, écrire n’est pas un luxe. C’est une nécessité. Parler n’est pas nuire. C’est résister. Critiquer n’est pas s’opposer pour exister. C’est rappeler, encore et toujours, qu’on ne gouverne pas contre un peuple, qu’on ne dirige pas au-dessus de lui, qu’on ne construit rien de durable en méprisant ceux qui regardent, qui souffrent, qui attendent. Loin d’être rhétoriques, plusieurs questions s’imposent. Elles sont brûlantes, viscérales et habitent chaque citoyen qui aime ce pays et qui refuse de céder à la résignation. Car aujourd’hui, dénoncer des dérives flagrantes, c’est se voir accuser de populisme. Pointer l’inaction, c’est être taxé de provocation. Questionner, c’est s’exposer à être blacklisté.
C’est dire qu’on ne parle plus de mal-gouvernance. On parle d’abandon. Le Marocain, aujourd’hui, n’attend plus grand-chose. Il subit. Il endure. Il serre les dents et baisse les yeux en attendant que le mandat arrive à son terme. Alors non à l’instrumentalisation des causes sacrées pour masquer l’absence de vision. Non aux promesses faciles et aux sermons creux qui maquillent l’incompétence. Non à ces partis de gauche qui ne sont plus que des slogans en lambeaux. Il est temps de briser ce cycle morbide, d’exiger des comptes. D’exiger des idées. D’exiger des projets. D’exiger enfin une politique qui serve enfin le pays, pas des intérêts privés. Car oui, le Maroc mérite mieux, mais encore faut-il que nous ayons le courage de l’exiger. Mais ce mieux ne viendra pas d’un miracle ni d’un messie. Il viendra du courage d’un peuple qui se lève, qui questionne, qui refuse, qui reprend sa place. Et qui doit savoir pour qui voter … quitte à exiger la refonte de certains partis.
Il est donc temps de réveiller les consciences. De refuser ce simulacre de choix. De refuser d’être réduit à un pion sur l’échiquier des puissants. Et cela, nous ne pouvons plus nous le permettre. Pas dans les tribunes des campagnes spectaculaires. Pas dans l’ombre des meetings creux. Pas sous la coupe des puissants. Mais dans l’arène des décisions, dans le tumulte des débats. Ce courage, c’est maintenant ou jamais.
Et comme à l’accoutumée, quand le peuple ne croit plus en ses partis, quand il ne croit plus aux statistiques, quand il ne trouve aucun écho dans ses représentants, il lui reste une seule foi. Une seule confiance. Celle qu’il place dans son Roi. C’est là notre dernière certitude et notre rempart. C’est là que bat encore le cœur de la Nation. Car le Marocain croit encore à la verticalité bienveillante et à la Monarchie protectrice. Il croit en ses Forces Armées Royales, en la DGSN, en ces Institutions et ces piliers de l’État qui ne l’ont jamais trahi. Qui ne l’ont jamais abandonné.